“IZ” SOURCE DE VIE
Editions en ligne Xubiltz
Préface
Cet essai n'est pas scientifique bien que de nombreux éléments soient puisés dans la phonétique, la phonologie, l'ethnologie et l'anthropologie. Il provient d'une création artistique. Comme un peintre donnant de vifs coups de pinceaux pour parfaire un tableau conçu depuis longtemps dans ses neurones. Ce roman caresse la morphologie du verbe basque avec une liberté absolue et son but est de rechercher l'origine de la langue basque.
Je me suis complu à compléter le puzzle incroyable que constitue notre langue basque, l'Euskara, en remontant le temps jusqu' à la préhistoire et la vie dans les grottes. L’étude des habitudes préhistoriques des basques m’a poussé à me pencher sur leurs moyens de communication. En fait, j'ai eu du mal à situer cette histoire dans le temps car il est très difficile de dater la période où les humains, les basques pour ce qui nous concerne, commencent à donner un sens à leurs cris et à conceptualiser les onomatopées. Comme la science n'a pas encore élucidé l'origine du basque, je me suis aventuré à émettre des hypothèses d'ordre linguistique sous un angle artistico-poétique, indépendamment des théories déjà existantes.
Bien que de formation littéraire et linguistique, je n'ai pas souhaité donner de caractère scientifique et officiel à ma théorie car je tiens à préserver ma liberté de pensée. La notion du temps oubliée m'a aidé à voyager dans cette aventure, parfois avec humour, souvent avec sagacité, afin de faire le lien entre le basque de nos ancêtres, nos dialectes provinciaux d'aujourd'hui et la langue unifiée, euskara batua, source d'alphabétisation. J’en ai conclu naturellement que tous trois sont issus d'un tronc commun, le ruissellement des eaux des périodes post- glaciaires dans les grottes du Pays Basque.
Certains n’hésiteront pas à traiter cette hypothèse de saugrenue. Libre à eux de le penser. Moi je suis persuadé du contraire. Prêt à franchir le cap, je me suis lancé dans une hypothèse originale, basée sur la tradition linguistique qui nous conduit à penser que les basques ont conçu eux- même leur propre langue sans apports extérieurs significatifs. A vrai dire, cette idée n'est pas très éloignée des théories de Guillaume de Humboldt.*
*Linguiste allemand spécialisé dans l’étude de la langue basque.
Adoptant la poésie et la création comme mères, je me suis engagé dans la recherche de la musicalité phonétique. Le mystère qu'elle renferme est merveilleux.
La méconnaissance de l'origine du basque en revient à avouer qu'il a quasiment toujours existé, du moins depuis que les langues ont fait leur apparition. Certaines plus récentes, fières et arrogantes, connaisseuses de leur provenance de fraîche date, ne prêtent plus d'importance à leur origine car leur histoire récente les situe parmi les grandes langues dominatrices, détentrices de lumières, de littérature et d'histoire. Il ne pourrait en être autrement. Mais en fait, ces idiomes souvent méprisants envers des langues comme le basque, ne sont qu’enfants du latin et du grec.* Ma curiosité a été incitée par l'inconnu. Certains de nos adversaires pensent que la défense des langues minoritaires est d’ordre politique et identitaire. S’il s’agit pour eux de nationalisme basque, heureux d’en être adepte. A leurs yeux, l’emploi de leur langue ne mérite pas ce genre d’accusation car ils l’ont pour un mode d’expression intrinsèque à leur propre identité. Elle fait partie de leur propre personnalité à tel point qu’ils peuvent même s’en extraire et affirmer qu’ils sont citoyens du monde, sans se rendre compte qu’ils le disent dans leur propre langue, que ce soit en français, en espagnol ou en anglais, avec toute la culture inhérente que cela représente. D’autres personnes plus arrogantes et en apparence moins fines, me traiteront d'illuminé. Bien leur en fasse car mieux vaut réfléchir que brouter dans les prairies de l'ignorance. La réflexion qui a pris jour dans cet ouvrage est divisée en trois parties complémentaires. La première met en scène les créateurs de la langue, ci ou là, des hommes et femmes préhistoriques à la recherche de la parole. La seconde, un professeur devant ses élèves qui explique les théories existantes sur l'origine du basque. La troisième met en exergue un groupe de linguistes en séminaire culturel original dans lequel l'humour est le maître de séance. Enfin, un nouveau pays lointain apparaît, le Pays des aliziens ou Alizie, avec sa langue,
* La notion de temps est absolument subjective et le latin et le grec qui sont des langues anciennes sont excessivement récentes par rapport au basque, au ligure et à d’autres langues pré-indoeuropéennes.
l'Alizien, pur produit de mon imagination. Son peuple l'aurait conçue à partir des mêmes paramètres que le basque, l'onomatopée, à la différence essentielle que les aliziens connaissent l’origine de leur langue, beaucoup plus récente que la nôtre car basée sur le réchauffement climatique et la destruction du monde. Elle m'aidera ainsi à démontrer l'origine de la mienne.
C'est alors que l'onomatopée IZ, synonyme d’UR, eau en basque, prend toute son acception.
Avant- propos
Un Whisky, s'il vous plaît! Non un UIZKI* je vous prie! La scène se déroule dans la société gastronomique "Xubiltz". Nous jouons aux Mus. Un poker basque. Deux tables s'évertuent à mentir. Dans la première Ferdinand Saussure, Hyacinthe de Charencey, Guillaume de Humboldt et Louis Lucien Bonaparte, tous quatre éminents linguistes. La seconde est composée de mes amis de toujours, Txema Larrea, Alex Arizkun, Miguel Sanchez Ostiz. Je fais le quatrième. Le bluff est de mise. Les mises sont systématiquement surenchéries. En français, en anglais, en espagnol, en allemand. Le mensonge est le plus souvent décelé. On se connaît trop. De temps à autre, des notes d'humour fusent sur le mot UIZKI et tous rient tous de bon cœur. A l'unisson ils m'implorent de leur expliquer la théorie exposée dans mon essai, celle qui relate les prémices de la langue primitive crée par les propres basques. Le sujet est complexe. L'origine des langues. Des langues pré- indoeuropéennes, tout d'abord, mais surtout celle de l’Euskara, la langue basque. Je suis persuadé qu'une approche poétique pourrait apporter des solutions originales. Ma réflexion suscite de nouvelles pistes là où la science trébuche encore. Les « séminaristes » adorent ce genre d'élucubration car ils la prennent au sérieux.
Le réchauffement climatique post glaciaire a été la cause des grands changements de civilisation. Le climat glacial de la préhistoire cède place au climat tempéré que nous connaissons dès le mésolithique que nous situerons approximativement il y a y a 12000 ans. C'est à cette source précise que je souhaiterais remonter afin de divulguer les hypothèses qui envahissent mon esprit. Ma théorie délaisse la science sciemment et la supplante par l’imagination, pleine, profonde, débordante d'espoir.
Une hypothèse ne demande qu'à être corroborée pour devenir théorie, puis thèse reconnue. C'est le dessein poursuivi dans ce roman.
* UIZKI( prononciation phonétique identique à Whisky)
* Mus ( phonétique: Mouch). Jeu de cartes basque basé sur le mensonge parent du poker.
Qu'importe la partition d'une chanson si les paroles et la musique sont harmonieuses. Tous les chants traditionnels se suffisent à eux- même. Ils n'ont aucun besoin d'accompagnement. Ils sont populaires, naturels, pourvus d'une âme et d'un cœur bouillant. Leur essence n'a rien à voir avec le superflu, les bonnes manières, la frivolité, ou le savoir- vivre. Elle est à la fois corps et âme. Encore moins avec la tenue, la garde- robe, le déguisement ou l'apparence. Elle est base et fondement. Aucun rapport avec la coiffure, la couleur de la chevelure ou le tatouage. Elle est peau, cuir, cheveu et poil. Pas le moindre avec l'humeur de l'instant vécu. Elle est nature et vie. Toute garniture lui est inutile. Elle est essence et identité. Elle est ADN.
Le lieu où je me suis égaré est l'origine du basque, là- bas, tout près du ventre maternel qui renferme son secret, là où plus personne n'existe. A la naissance d’une source égarée. Sans aucun témoin. Si ce n'est nous- même. Nous seuls. Ici. Aujourd'hui. Vivants et dotés de parole. Nous sommes, avec la toponymie, le seul vestige de la création de notre langue.
Imaginez un monde à l' envers qui commence là où se termine cette histoire. Dans le présent. Nous humains, aurions une vision absolument différente de la vie car nous cheminerions ensemble du comble vers le vide, de la connaissance vers l'ignorance. Au bout du tunnel, notre mémoire vivante nous jouerait des tours et nous serions traités de menteurs car personne ne croirait à notre histoire, ni au monde duquel nous sommes issus, à son degré d’évolution que nous rapporterions sagement, aux progrès de la science, au fait d’avoir marché sur la lune ou à la civilisation du numérique. Et pourtant!
Imaginez à présent le contraire, un grand saut en avant de la préhistoire jusqu’ à nos jours bravant ainsi la notion de temps. Qui pourrait admettre que nous- autres, hommes et femmes basques, soyons encore vivants après multitudes d’invasions, que notre langue n'ait pas disparu alors que toutes les autres antiques ont quitté la parole des humains. Qui pourrait croire qu’en plein XXIème siècle nous nous acharnions encore à veiller à son maintien, son développement et sa défense face aux assauts multiples des langues dites supérieures. Et pourtant !
Imaginez maintenant qu'en suivant ce premier schéma, l'homme rajeunisse, qu'il glisse de la vieillesse vers l'enfance, en perdant peu à peu tout son esprit, sa lucidité, qu'il se dirige d' abord vers cette jeunesse volontaire et audacieuse pour s'engager dans la voie de l'innocence infantile. Il frapperait à la porte de la naissance, sur le ventre de sa mère enceinte, prête à donner la vie. Il remonterait le temps et de génération en génération il se trouverait à l'époque ancienne de l'apparition de la parole, du mot, de la phrase. Un vrai délire! Aucun danger de rupture de cette chaîne qui permettrait de gravir le temps sans omettre une seule maternité. Nous sommes là pour le prouver. Ils l’étaient aussi.
C'est exactement ce que je souhaiterais entreprendre aujourd'hui. Je voudrais qu'à la lecture de ce texte vous en puisiez l'essentiel, que vous le lisiez sérieusement, sans à priori, et que vous ne le dénigriez pas à cause de son approche poétique et artistique car la science a été incapable jusqu' à présent de parvenir à trouver l'origine de la langue basque. La bataille est engagée entre art et science, entre poésie et rigueur. L’originalité supplante la recherche scientifique et en arrive à lui fournir de nouvelles pistes de prospection. C’est mon unique but.
Un dernier conseil, si vous avez du mal à saisir les démonstrations linguistiques concernant l’alizien, ne vous y attardez pas trop, elles s’adressent à des initiés. Par contre si la confection des puzzles basque et alizien vous intéressent, approfondissez- les et tâchez de bien comprendre la relation morphologique entre les deux langues. Je reconnais que la création de la langue alizienne est une élucubration mentale. Elle m’a néanmoins passionné et sachez qu’aussi bien les formes verbales que tout le vocabulaire employé ne sont nullement le fruit du hasard mais bien le résultat d’une profonde réflexion.
A
Les dernières glaces entamèrent leur fonte. Nous, hommes préhistoriques si respectueux des vieilles traditions, avions du mal à supporter ces ruissellements agaçants qui perturbaient notre vie et refusions catégoriquement d'abandonner la grotte qui nous abritait depuis longtemps au pied de la montagne.
Lorsque nous choisîmes comme demeure cet emplacement douillet qu’était la voûte la plus proche de l'entrée de la caverne, nous suivîmes les conseils de nos ancêtres. Notre décision fut très mouvementée car elle fut prise à base de gestes et de cris, mais en fin de compte rien ne fut vain car l'ouverture de la grotte béante était sans aucun doute le meilleur choix. Il permettait d’ abord au jour de pénétrer et de nous éclairer et de nous fournir l’oxygène nécessaire qui facilitait la bonne prise du feu indispensable à notre alimentation, à notre bien- être et à notre sécurité car il fallait faire fuir les fauves affamés. Le feu nous avait toujours subjugués et nous avions appris tous ses secrets des anciens. Comment l’allumer, sa position idéale pour éviter les courants d’air, la meilleure manière de l’entretenir afin de faire griller la viande des animaux précipités dans les ravins.
De temps en temps, mon esprit artiste et aventurier me conduisait une torche à la main au fond de la grotte jusqu' à la cavité lointaine où j'avais enterré mon père pour le remercier de tous les enseignements prodigués. J'entraînais souvent avec moi mon jeune fils qui observait en détail les lignes que je traçais sur les parois. Incompréhensibles au début, elles aboutissaient toujours à des formes qui le faisaient sourire dès qu’il entrevoyait leur signification. Je me revoyais alors avec mon père scrutant les représentations des animaux chassés, des chèvres sauvages, des poneys primitifs ou encore des ours féroces. Comment prévoir que ces dessins resteraient gravés toute une éternité en constatant mes gros doigts boursouflés. Une fois, pour l’amuser j’avais réussi à tracer un étrange petit cheval sauvage en utilisant le relief de la pierre et avais façonné son flanc, rendant ainsi la nature artiste. Ce qui le fit le plus rire fut sa propre image qu’il reconnut face au poney. Je vernis l'ensemble de graisse de bouc réchauffée.
Au début la troupe ignorait les raisons de mon entrée mystérieuse au fond de la grotte, jusqu' à ce qu’ils découvrirent par hasard notre art pariétal.
Nous sortions très peu de la grotte, si ce n'est pour chasser. La tradition s’imposait. Nous fallait- il enseigner la même chose à nos enfants? La nature allait nous l’interdire car, faute de météo, la fonte des glaces et des neiges imprévue allait nous obliger à affronter nos anciens et à nous élever contre les concepts reçus.
Ces satanés ruissellements pénétraient insidieusement dans la caverne. Les gouttes incessantes tombaient des interstices de la voûte et nous empêchaient de vivre au sec. L'humidité ainsi créée y rendit la vie impraticable et bouleversa toutes nos habitudes. Le feu perdit définitivement de son intensité à cause des rigoles qui coulaient et des innombrables gouttes qui l'éteignaient. Le maintien de la grotte comme habitat commença à nous affaiblir car certains mouraient de maladie pulmonaire. Nous perdions énormément de temps à prendre les décisions et le manque de communication réelle nous joua des tours insupportables. Tous avaient leur idée et l’exprimait à grands cris et à grands gestes souvent incompréhensibles. La cacophonie était polyphonique. Une voix intérieure féminine et mystérieuse me demanda de me taire et m’assigna la mission de prendre les rennes de la tribu. Je n’en dis mot à personne mais décidai d’adopter la seule résolution incontournable que tous acceptèrent sans protester. Abandonner la caverne. Tant bien que mal, je parvins à convaincre tout le monde du bien fondé de cette décision.
Le ruissellement constant des eaux m'avait meurtri l'ouïe. Il gagna mon esprit à jamais. IZZZZ...IZZZZZ...IZZZZZZ..... Ce maudit sifflement m'accompagna toute ma vie. Matin et soir. Jour et nuit. Il passa rapidement de mes oreilles à ma bouche et peu à peu il se transforma en parole. Ma langue s'humidifia pour toujours et le basque vit le jour comme un embryon aqueux.
B
Le silence règne en classe et les élèves sont ébahis d'entendre ce que leur révèle leur professeur sur l'origine des basques. Une à une, il énumère toutes les hypothèses existantes, certaines sérieuses et dignes d’intérêt, d’autres loufoques et sans importance, les premières thèses doctorales pour la plupart, les secondes pures élucubrations de poètes fantaisistes. Les élèves posent alors toutes sortes de questions auxquelles répond le professeur en expliquant qu’autant les unes que les autres ne sont que des hypothèses demandant à être prouvées car personne jusqu’à présent n'a percé la réelle origine des basques et de leur langue, l’Euskara. D’ où vient- elle, comment s’est- elle transmise, pourquoi a-t-elle réussi à se maintenir alors que toutes les autres du même âge ou même plus jeunes et nettement plus importantes ont totalement disparu? Au milieu de ses explications il précise qu'une revue scientifique d’ordre doctoral de renom a publié récemment un article affirmant qu'il s'agirait de la première langue d'Europe et que toutes les autres seraient issues d'elle. La clef du mystère résiderait- elle là?- Serait-ce la mère des langues du continent européen et serait- elle destinée à l'éternité? Comment expliquer sinon sa longévité ? L’humour s’impose de la part de l’enseignant:
-"Admettons quand même que les humains et leurs langues ne sont pas nés des œufs d'une poule magique qui aurait couvé dans une grotte"- s'écria-t-il pour faire sourire les élèves.
Le professeur mourrait d'envie de leur dévoiler sa propre théorie basée sur le ruissellement des eaux mais il préféra attendre le moment venu.
A
Notre mode de vie avait subi des changements brutaux et nous vivions une période extraordinairement difficile. Il nous fallait quitter la grotte. Nous ignorions tout de la vie extérieure. Les plus conservateurs affirmaient qu'elle était dangereuse, les peureux que nous risquions de mourir de froid, les enfants poussaient des vivats pour manifester que ce nouveau monde pourrait s'avérer amusant et les plus âgés avouèrent qu'ils préféraient périr plutôt que de la quitter. Guidé par la voix conseillère, l'aventurier que j'étais, leur expliqua que n'avions pas d'autres issues.
Jusqu' à présent, notre soif avait été assouvie par le recueil des filets d’eau s’écoulant le long des parois de la caverne ou le puisage de celle du ruisseau qui coulait à petits flots tout près de l'ouverture de la cavité car tout le reste était glacé. Petit à petit, le changement climatique transforma notre vie. La grande déglaciation était en cours. Lorsque nos pieds se mirent à clapoter dans les flaques, nous dûmes définitivement quitter notre demeure habituelle. Trempés, nous commençâmes à éternuer et à frissonner, ce qui en décima plusieurs d' entre nous. Il fallait sortir.
Nous n'avions pas de langue précise pour communiquer et nos cris et onomatopées rendaient nos propos souvent insaisissables. Le sujet de nos échanges se résumait à des OOO!!!, des AAA!!!, ou encore des mixtures phonologiques composées de voyelles ouvertes dont nous étions accoutumés. Nous nous aidions de gestes. Tous avaient une signification précise. Parfois nous levions la main bien haut et la rabaissions brusquement ou nous déplacions nos bras de gauche à droite, d’autres fois nous les levions d'un coup sec. Nous montrions aussi du doigt avec insistance, de la main avec véhémence, du bras avec violence.... Nous étions habitués à ces gestes naturels. Ces mouvements incessants commencèrent un jour à nous agacer et à provoquer des colères insensées. L’incompréhension était de mise. Même dans notre condition d'hommes et de femmes préhistoriques, nous avions, par bonheur, la capacité de nous calmer et les sentiments prenaient le dessus.
Ces voyelles ouvertes servaient à exprimer de nouveaux concepts liés à la vie extérieure. Les I et les U étaient plus rares. Les plus audacieux n'hésitaient pas de temps à autre à introduire une consonne inconnue, produit de l'avancée phonétique que nous vivions. AAR!!! EEEM!!! MMME... Certains comprirent vite leur signification et le concept de mâle fut rattaché à AR et celui de femelle à EM.
Nous connaissions les environs les plus proches. Les sorties sporadiques en période de chasse avec mon père m'avaient familiarisé avec les parages qui s'étendaient vers le bas du plateau. Ce n'était pas le cas des autres. Je me dis que c’était sûrement la raison du choix de la voix. J'eus beaucoup de mal à faire accepter la décision finale à la totalité du groupe car il s'avérait difficile de s'élever contre la coutume. Les prétextes abondaient mais la sauvegarde de la tribu l'emporta. Même les plus anciens se laissèrent convaincre. Pas tous. La tradition était sacrée mais la vie l'était davantage. La survie. Les eaux menaçaient dangereusement. La glace fondait. On n'avait plus le choix. L'aventure primait sur la mort. Quelle révolution!
Les enfants ravis d'enfreindre les lois, s'enfoncèrent rapidement dans la nature qui, à leurs yeux, allait être beaucoup plus distrayante que la caverne. Les premiers pas des hommes adultes vers l'extérieur furent angoissants car ils réalisaient qu'ils quittaient les entrailles maternelles pour toujours. Pleines d'incertitude, les femmes pleuraient tout en avançant avec décision. Elles appréhendaient la découverte. Malgré un avenir incertain, leur esprit était tourné vers l'avenir de leurs enfants. Ils étaient si heureux qu’elles s’y résignèrent rapidement. Certaines d' entre elles s'approchèrent de moi me questionnant du regard. Avaient- elles décelé la présence de cette femme étrange dans mes yeux? L'ordre de mission que m'avait nommé la guide suprême était pourtant secret. L’auraient- elles deviné ? Oubliant ces conjectures et soucieux de leur montrer le chemin, nous nous lançâmes à l’aventure.
L’un d' entre nous s'écria que la direction que j'avais indiquée n'était pas la bonne et qu'il valait mieux gravir la montagne escarpée qui s'érigeait sur notre gauche. Il préconisait de changer radicalement de cap. Qu'en savait- il? Il n'était pratiquement jamais sorti de la grotte. S’agissait- il d’une simple intuition, d’une pure contestation ou d’une marque de jalousie? Il ne m'acceptait ni comme élu, ni comme guide. J’avais déjà décelé son attitude agressive dans la grotte quand il me défiait et étalait devant les femmes sa virilité. C'était déjà une question de pouvoir et de séduction. Son entêtement le poussait à défendre ses idées jusqu’ au bout. Souvent à tort. Percevant le défi, tous le dévisagèrent avec étonnement en le priant de nous suivre. Les femmes sentaient l’affrontement arriver. Vexé, il continua son chemin vers la cime tout seul et personne ne le suivit. Comment pourrait- il s’en sortir sans aide dans ces parages inconnus ? Son sort m'affligea car je savais que son audace le menait directement à sa perte. La tribu entière se tut. Elle avait d’autres préoccupations. Malgré tout il poursuivit son chemin et nous perdîmes tous AL de vue. Ce fut notre première scission.
En longue colonne ordonnée, nous traversâmes le plateau encore enneigé. Mon défunt père me vint à l'esprit. En arrivant au pied des montagnes que je n'avais jamais franchies, je scrutai les sommets encore couverts de neiges éternelles. La pente était rude et la prudence était de mise. Nous atteignîmes le sommet sans encombre. Je me retournai pour la dernière fois pour dire adieu à nos montagnes d'antan qui apparaissaient déjà pratiquement déneigées. Combien de temps s’était-il écoulé depuis l’abandon de la grotte ? Pour certains très peu. Dans mon for intérieur je savais pertinemment que c’était le début d’une aventure intemporelle et l’absence de neige sur nos crêtes me le prouvait. La nostalgie embruma notre regard. C'est alors que nous décidâmes d'oublier pour toujours la vie passée. L'avenir était notre seul destin.
La plaine nous réserva un sort aussi humide qu'inattendu. Nous pataugions dans un bourbier gluant. Nous n'avions jamais vu rien de tel et certains d' entre nous regrettèrent les terres glacées toujours praticables. La fange collait à nos pieds. La marche était éreintante. Nous nous y habituâmes malgré tout. En observant cette eau boueuse, le son qui s'empara de moi dans la grotte me vint à l'esprit, IZZZ. Ce phonème sifflant envahit alors mes pensées, comme si une cigale assourdissante avait percé mon tympan. Il me fallait cependant l'évacuer et la voix me suggéra à nouveau de le déplacer de mon oreille sur ma langue. Quelle fabuleuse idée !
Après de longues périodes de marche, nous constituions maintenant une colonne décomposée. Nous parvînmes à un abîme inconnu. Ce ravin nous sembla effrayant. Sans aucune explication raisonnable, je ressentis une sensation de vécu. Il me semblait avoir déjà vu ce précipice. Peut- être en rêve. Le mystère nous hélait. Nous décidâmes de nous y engouffrer. Au loin on pouvait apercevoir des lumières qui scintillaient. L'avenir luisant nous attendait. Dès cet instant je sentis que notre vie antérieure était définitivement plongée dans la nuit. Nos traditions, nos coutumes, notre vie millénaire, la grotte… Tout devenait obscur, oublié, renié.
La magie de la voix féminine parvint à me le faire oublier. Elle se fit nettement entendre pour la seconde fois. Suivant ses dictats, je me devais de pousser toute la tribu vers un nouveau monde. Nous ne fîmes qu’un.
B
-Adam et Ève, Adan eta Eba, - Le professeur explique la théorie selon laquelle les hommes primitifs pourraient être des basques. Enfin, pas exactement. Adam et Ève. Pas les premiers pithécanthropes. Les produits de la Bible. Pas de la science. Hébreux. Ridicule. Selon cette hypothèse saugrenue, le prénom biblique Eba, Ève en français, aurait pour origine EZ et BA, oui et non en langue basque, la vie et la mort. A l’époque de la création de la Bible, évidemment. Il y a 3500 ans. Pas avant. Un léger sourire ironique apparaît sur les lèvres de l'enseignant qui sait pertinemment qu'Ève se dit Hawaï en hébreu et en arabe et que les premiers hommes n'ont rien à voir avec le conte biblique inventé en Palestine au premier et second millénaire avant JC. Cependant il se doit de commenter toutes les théories, qu'elles soient sérieuses ou excentriques. Les élèves rient de bon cœur.
Il s'engage dans la seconde hypothèse qui place les basques sur l'Arche de Noé et les présente comme des rescapés de l'Atlandide, île hypothétique jadis engloutie et qui avait inspiré depuis Platon de nombreux récits légendaires. Étrange, pour les mêmes raisons anti-scientifiques.*
L'hypothèse la plus sérieuse- souligne-t-il- consiste à faire provenir les basques du Caucase. Les comparaisons des groupes sanguins respectifs, des boîtes crâniennes des deux ethnies, la constatation d'homonymes fréquents dans le vocabulaire de leurs langues et la similitude entre les deux folklores, rapprochent les basques des caucasiens. Fuyant le froid des rives de la mer noire, les caucasiens auraient pu abandonner leur terre, à une certaine période à la recherche d’un climat plus tempéré. De plus, on peut observer sur une carte de la terre que le Pays basque et la Géorgie sont exactement sur la même latitude et comprendre ainsi cet éventuel déplacement massif vers l'ouest lors de ces périodes glaciaires.-ajoute- il. Le professeur fait une pause et explique aux élèves qu'à Tbilissi, encore aujourd'hui, les enfants apprennent à l'école que leurs cousins basques peuplent une zone côtière de l'Atlantique appelée Pays Basque.
* Lire le roman du même auteur : Sortzearen eztandak
- Croyez- moi c'est sérieux- ajoute-t-il- Un de mes amis, adjoint à la culture à la mairie de Saint Sébastien et qui a fait partie de la délégation qui s'est déplacée récemment au Caucase a été stupéfait de le constater. Vous savez,- poursuit- il- la quantité de groupe sanguin O dans les deux zones géographiques est nettement majoritaire, notamment dans son rhésus négatif. Tout ceci ferait pencher la balance vers cette théorie. Il est donc possible que les deux peuples n'aient fait qu'un sur le territoire proche de l'océan, sans pour autant attribuer l'origine des basques et du Basque au Caucase et au caucasien.-
Les élèves empreints de curiosité suivent les explications du professeur qui s'engage à présent dans le domaine touchant à la longévité des langues- Il est du domaine public que de grandes langues comme le latin et le grec n'ont subsisté que 1500 ans environ. Quelles langues indo- européennes les auraient- elles engendrées? Pourquoi n’ont-elles survécu que quinze siècles ? Il enchaîne sur les langues romanes provenant du latin, celles qui sont devenues à leur tour importantes aujourd’hui, l’italien, l’espagnol, le français, le portugais pour montrer que le basque pré-indoeuropéen existe depuis des millénaires. - Il serait donc licite de penser que les premières langues pré-indoeuropéennes, basque inclus, auraient pu être les mères de toutes les autres apparues plus tard. Pourquoi ne pas penser que malgré l'ignorance qui nous englobe, notre langue aurait pu être l'une des premières d'Europe, si ce n'est la première?- leur dit-il.- Je sais bien vous allez sourire car vous êtes jeunes et vous pensez que vos langues actuelles sont les seules dignes de mérite. Vous savez, les langues vernaculaires anciennes ont presque toutes disparu sous la pression des langues dites supérieures qui se sont toujours évertuées à les dénigrer, basque inclus. De nos jours l’anglais menace le français qui pourrait, le cas échéant, disparaître dans quelques siècles, comme l’a fait le latin, pourtant empreint de grandeur.
Comme dans un rêve, son esprit se mit à chantonner, augurant ainsi l’ avenir incertain des langues et laissant supposer que là où la science s'avère ignorante en matière d’origine linguistique, seule la poésie pourrait inventer de nouvelles théories, émettre des hypothèses inédites qui ne demanderaient qu' à être prouvées pour accéder un jour à la science.
D
Mus; Mus; Mus; Mintza!* A la première table, les trois premiers joueurs, mécontents de leur jeu, souhaitent changer de cartes, le quatrième, pas. Il engage un pari qui n’est tenu que par l'un des joueurs et surenchéri par le suivant. La première partie est vite bâclée et nous nous buvons un petit UIZKI.*
Tous les ans à la même époque nous organisons un séminaire culturel à Arizkun, dans la vallée du Baztan, en Navarre essayant de réunir un maximum de linguistes afin de poursuivre des recherches sur le dialecte basque local. Nous parcourons tous les villages pour y relever les différences de vocabulaire et de syntaxe. C'est fabuleux de constater qu'à une distance de 20 kilomètres, les expressions sont modifiées, que d'Erratzu, à l'est, à Oronoz, à l'ouest de la vallée, l’intonation change et la prononciation est modifiée. Nous nous comportons comme des chercheurs qui auraient découvert un trésor, tout en sachant que ces phénomènes existent dans tout le Pays basque, nord ou sud, où on peut trouver diverses manières de s' exprimer d'un village à l'autre, que ce soit en Soule, en Basse Navarre ou dans toutes les autres provinces. La proximité de la mer joue aussi un rôle prépondérant comme si la langue était mouillée par l’embrun persistant. Nous jubilons.
Moi, dans mon coin, je suis obnubilé par mon histoire et le stress ressenti me perturbe beaucoup car mes amis m’ont demandé cette année de consacrer le séminaire à ma théorie linguistique présentée sous la forme littéraire d’un essai. Tous ont lu mon texte intitulé Izotzetik Izanera* qui traite de l'origine de la langue basque, celui qui défend l'idée que notre langue pourrait être née d'onomatopées en relation avec l'eau, IZ. Ils s'apprêtent à en faire des critiques de tout ordre, sans pour autant oublier la seconde raison de notre séminaire,
*Termes propres à l’engagement d’une partie de Mus. Au poker : Parole
*Whisky, écrit salon la théorie du IZ*
* « IZ source de vie » en basque
une bringue aussi intellectuelle que discrète. Ferdinand, Hyacinthe, Guillaume Humboldt, Txema, Miguel, Louis Lucien, Charles, Alex et moi- même ne faisons qu'un lorsqu'il s'agit d’ironiser linguistiquement et de bringuer phonétiquement. Julien est le seul un peu à l’écart.
A
Nous abandonnons le passé. La descente de l'abime s’avère périlleuse et seuls les plus robustes parviennent à atteindre la vallée. Le destin s'engouffre sur notre chemin. Le précipice paraît insurmontable. Nous nous accrochons prudemment aux branches des arbustes pour franchir peu à peu les étapes du ravin mais tels des arcs lançant leurs flèches, pliant sous notre poids elles nous projettent dans le vide, certains des corps impactant contre les rochers qui surplombent le précipice, d’autres retombant sur les esplanades salvatrices de verdure parsemées parmi les blocs rocheux. Pas à pas, les survivants caressent le sol comme si nous avions atteint une étoile inaccessible. Le sourire s'empare de nos lèvres ensanglantées. Combien de lunes avons nous vu défiler? Impossible de le quantifier car la notion du temps nous a définitivement abandonnés.
Nous poursuivons notre route jusqu'à la plaine où nous trouvons enfin un abri. Il est temps de dormir. Impossible. Je suis sur les nerfs. Les rêves et les cauchemars saccadent mon sommeil. Le chemin parcouru restera gravé à jamais dans mon esprit et l'abandon de la caverne imprimé éternellement dans mon inconscient. Nous marchons sans but tout en nous éloignant de la montagne. Nous percevons enfin le bruit d'un torrent dont les eaux tumultueuses semblent se précipiter vers une nouvelle vie. Comme nous elles arrivent de l’est. Elles entraînent des troncs et des branches, des carcasses d'animaux, des os et toutes sortes d'éléments broyés, extirpés, écrasés et arrachés à la vie. En tant que sujets passifs entraînés par les eaux, cet ensemble d'éléments charriés nous ressemble étrangement, si ce n’ est que leur mouvement n’est pas délibéré. Le notre ne l’a été qu’en partie car l’abandon de la grotte a été inévitablement provoqué par le changement climatique et la descente du ravin étrangement dictée par la voix. Mais çà personne ne le sait. Chut ! Je l’entends à nouveau. Faut-il l’écouter ? J’hésite. Pourtant elle est dotée d’un caractère divin inaliénable et a une capacité de persuasion fantastique. Mes doutes disparaissent définitivement et je tends l’oreille docilement. Elle m’ordonne de prendre gîte et de réfléchir.
Nous nous installons près du torrent. Nous allumons un feu et l’entourons de lourdes pierres rondes. Nous nous asseyons en cercle. Cet âtre protecteur me rappelle la sortie de la grotte et, comme dans un rêve, je me mets à imaginer nos parages primitifs engloutis et notre caverne abandonnée noyée par la fonte des glaces. L’environnement n’est plus du tout le même. J’ai l’impression que l’eau nous fuit abandonnant la fange, la boue, la vase et le bourbier, prêts à sécher à la recherche d'une nouvelle existence solide et durable. A leur image, nous nous blottissons autour du feu et nos corps transis de froid se réchauffent lentement. Nos craintes s'envolent en fumée. Je suis troublé par la puissance du torrent et par son écume blanche qui s’échappe dans les airs alors que l’eau nous a sauvés. Le franchissement du terrible ravin nous a également apporté d'innombrables enseignements et je réalise qu'aucun torrent de connaissances ne nous avait jamais ainsi accompagnés dans notre vie d'antan. Nous sommes à l'expectative, affamés d'aventure, avides de savoir. Il fuit irrémédiablement vers l’avenir, comme le savoir ruisselant qui a envahit mon ouïe. Je sens que de nouvelles péripéties vont m’envahir.
Comme par magie, la notion du temps me revient et le fameux son IZ transperce à nouveau mon tympan pour s’installer cette fois dans ma gorge puis sur ma langue pour devenir le premier son intelligent de l’embryon de langue qui s’empare de nous. Incompréhensiblement je me mets à parler. Les miens me suivent et nos cris déraisonnés commencent à nous quitter. La sauvagerie naturelle qui nous a embrassés jusqu’à présent nous abandonne et nous entamons un nouveau processus de conceptualisation des sons qui consiste à prêter une signification précise à chaque phonème sonore. Il s’agit pour nous de nous adapter à ce moyen de communication étrange en laissant de côté notre bestialité innée. Nous entamons l’ébauche d’un nouveau langage. La perception de cette nature inconnue nous conduit à rencontrer des notions tout à fait étrangères à notre existence cavernicole, des notions inhérentes à cette nouvelle vie dans la vallée, tiède, aqueuse, colorée et ensoleillée. Notre gorge devient grotte, notre langue vie et eau.
Cette lente humanisation va attendrir nos sentiments et nos points de vue. Petit à petit nous nous engageons dans une nouvelle forme de vie, une nouvelle civilisation dont le premier besoin est la communication. C'est ainsi que le ruissellement et sa sonorité, IZ, deviennent le ciment de la conception de cette nouvelle langue, un son qui va siffler à jamais dans mon esprit.
Il est temps de l'évacuer. Lorsque je comprends ses premiers sifflements, je me sens enfin libéré. Le destin a fait son lit dans ma bouche et je fais miens les premiers mots versés. IZ ruisselle. Je tiens mon premier concept, celui de l'eau qui nous a tellement fait souffrir, tellement fait mourir, qui d’une part s’échappe à grands flots mais qui d’autre part devient aujourd’hui source de vie.
Peu à peu, l'idée de donner des noms à la nature s'empare de nous. L’eau en est le fondement. Elle devient la source de nos besoins, notre raison de vivre. Nous allons devenir des humains dotés de parole. IZZZZZ m'envahit. Tous ses dérivés m'attendent. Ce délire linguistique humide me ravage et grâce à lui nous nous mettons parler. Ce phonème substantiel devient la fondation de notre nouvel idiome, celui qui rend publique l'idée que l’eau est inhérente à l'existence. L’eau et la vie ne font qu’un et nos premiers mots y sont exclusivement voués.
IZ (eau), Izan( être en langue basque)
IZ Izor( enceinte en basque) Iz hor! (vis là!)
IZ Izotz( glace, eau froide, hotz : froid)
IZ, Izen ( Nom en basque)
BIZi ( Vie) B !IZ.( le B est la lettre de l’ impératif en langue basque)
BIZIL ( Bizi, Hil) vie et mort( Le L est la lettre de l’ éventuel, de l’ inconnu et du mystère) . . . . . . . . .
LIZA( fange, boue, bourbier) LOHIZA.
IZA, Hitza( parole)
LIZE, Lize, Leize, (Grotte).
IZERDI(Sueur), erdi signifie demi, Izerdi, qui n'atteint pas le grade d'eau)
IZur (Couler). Iz, ur, isur ( iz et ur sont synonymes et signifient eau)
IZTIL( flaque) IZ( eau) hil ( morte)
LIZKA, Liska( flaque de boue)
IZAR, IZ zar( étoile)) zahar( vieux) : Vieille vie
AR commence alors à occuper nos esprits, pour signifier la verticalité IZ ar ou gar, flamme. C ‘est ainsi Qu’IZAR devient vie d’ en haut.
PIZ, piztu (allumer)
BerrIZ (vivre de nouveau)
IZIL, Isil, hitz hil ( parole morte. Silence)
IZakIL – Zakil (Pénis, Vie, eau et mystère)
IZtu salive, bave . . . . . . . . .
IZA ( eau) et IHIZA, EHIZA( la chasse), essentielles pour pouvoir vivre.
IZAL, itza l ( l’ombre)
IZAIN ( sangsue ; qui vide la vie).
IZIOTU, (allumer)
Nous ne mesurons encore pas la portée de notre découverte. Une langue ! Celle qui, grâce à la voix, nous projette dans l’humanité. En passant de mon oreille à ma langue le son IZ, initialement encombrant, est devenu primordial et ses premières gouttes concevront un nouvel océan linguistique qui subsistera très longtemps.
B
Le professeur tient le livre d’Hyacinthe de Tharencey dans sa main et en lit certains passages. Le texte constate la similitude de sonorité existant entre langues parlées dans des territoires situés sur la même latitude, actuellement séparés par un océan ou pas. En effet, il insiste sur le fait qu’ il est étonnant de retrouver des sons similaires dans les langues des territoires canadiens, notamment entre les langues de la famille Algi parlé par les peuples indiens Delaware, Algankin, Chiperrey et Abenaki, et le basque. D’autant plus étrange que des ressemblances physiques entre les deux peuples apparaissent. Le scientifique renommé désire ainsi démontrer dans son étude qu'avant le réchauffement climatique, ces territoires aujourd'hui distants, l'ont été beaucoup moins car ils n’étaient pas séparés par la mer. Leur relation s’avère aisée. La séparation de la Grande Bretagne et l'Irlande du continent pour devenir des îles au début de la période mésolithique, 9000 avant JC, montre bien qu’à cette époque post glaciaire, la fonte des neiges remplit d'eau de larges cuvettes pour se transformer en océans, ce qui réduit naturellement la relation entre celtes des deux côtés de la mer, tout en demeurant issus du même peuple.
La théorie de Charencey- ajouta-t-il- montre aussi que les habitants des territoires lointains autour de la Mer Noire, situés exactement sur la même latitude que le Pays Basque, ont parfaitement pu quitter le Caucase pour fuir le froid et après de très longues périodes de marche, buter contre la mer et s'installer sur notre territoire. Il est scientifiquement démontré que de nombreux peuples n'ont pas hésité, en cas de besoin, à s'engager dans des mouvements de foule extraordinaires afin de rencontrer de meilleures conditions de vie. On peut donc facilement envisager leur marche vers l’ouest jusqu'à l'océan Atlantique, donc jusqu’au Pays Basque. Nous sommes ainsi très proches de la théorie de Guillaume Humboldt- poursuit- il- qui affirme que les peuples qui habitaient l'Ibérie étaient d'origine basque et qu'ils ont toujours occupé le même endroit, en s'enrichissant au fil des siècles de l'apport culturel d'autres civilisations. C'est sûrement la raison de leur survie.
Le maître s’engage à présent dans sa propre théorie et prétend que le mot Iberia provient du basque, du mot Ibar signifiant vallée (IZBAR, IZ eau coulant AR des sommets, vers la vallée, puis vers la mer).
- Les apports des autres peuplades ont toujours été bénéfiques- poursuit-il- au même titre que l'émigration massive. Ce n'est que plus tard qu'elle devient guerrière, souvent au nom de Dieu. Il est difficile de préciser la date de ces événements, mais à n'en pas douter, ils sont toujours dus à un phénomène climatique provoqués par la fonte des glaces, la dernière vers moins 10000 av JC, provoquant le remplissage des mers et océans. Les basques occupent alors ce territoire, les uns au bord de la mer, les autres dans la montagne et profitent de leur situation géographique pour occuper les grottes et s’y réfugier régulièrement et à la fois tirer bénéfice de la mer.
Les élèves suivent le cours avec intérêt quand la cloche retentit.
A
La fatigue s’est emparée de nous et nous dormons déjà lorsque le feu s’est éteint. Je rêve toujours et me mets à former des mots qui n’auraient jamais vu le jour en plein éveil. C’est ainsi que le mot IZ OSO, (IZ eau, OSO tout) m'apparaît dans la nuit. Le confluent de toutes les eaux formant la mer (ITSASO en basque, IZ OSO). Les torrents qui dévalent les pentes (IZ et AR, idée de verticalité) vers la vallée IZBAR, IBAR, Les ruisseaux et rivières IZ BAI (ibai en basque). Formidable! Notre langue avance à grands pas!
Mon réveil évite à mon esprit de chuter dans un précipice plein de brume. Un cauchemar. Il n'y a point de ravin et les débris de rêve me font frémir. J'ai peur. La migraine s'est emparée de moi.
Sans perdre de temps, je dois m'attacher à la vie journalière. Comme si mon regard était illuminé par le halo d'un phare tournant, je jette un large coup d'œil autour de moi et la vision enivrante qui m’attire me pousse à sortir mes amis d'un long sommeil.
Quel mystère! Que sont ces formes qui s'élèvent au loin devant nous? Dans notre ancienne vie, nous avions connu les buissons et les ronces mais jamais d'arbres garnis de tronc, de branches et de feuillage abondant. Je constate que c'est le résultat formidable du changement climatique. Il pleut. La nature verte a surgi. – Admirez le spectacle- leur dis-je, abasourdi.
Nous décidons de nous en approcher. Nous franchissons un ruisseau dont les eaux sont absolument limpides. C’est notre première toilette moderne, assis au milieu des eaux, à contre courant. Ces enseignements sont édifiants surtout le manque d’air en plongeant la tête sous l’eau des mares d’eau stagnantes. C'est avec étonnement que je constate mon reflet dans l'une d'elles, celui de mon visage. Je ne me connais pas. Eux non plus. Est-ce moi? Eux? Nous rions. Il suffit de regarder son voisin et son reflet pour se rendre compte que c'est bien nous. Le mot IZTIL surgit dans mon esprit (IZ eau, IL mort en basque. La mare, la flaque et l'eau stagnante, celle qui ne vit pas). Me regardant dans ce miroir, le mot « reflet » (IZLA en basque) voit le jour. Plus tard apparaîtrait « le miroir » (IZPILU), mot peut-être même adopté plus tard par le latin.
Le visage qui apparaît dans l’eau est comme mon jumeau ( BIZki, deux fois IZ, deux fois « être », BI signifiant deux en basque) Il gardera ce nom pour toujours. J'ignore encore que, d'autres grandes langues vont emprunter ces sonorités et, aussi étrange que cela puisse paraître, j'imagine, le sourire aux lèvres, que AR et IZ donneront NARZIS, père du narcissisme, issu de l'eau, du haut et du beau. Même dans la protohistoire l’humour n’est pas interdit.
Trempés, la chair de poule s’empare de nous et le vent froid nous endurcit la peau. Il a cessé de pleuvoir. Le soleil apparaît et sèche nos corps. J'admire de nouveau l'eau cristalline qui éclate à la lumière. Qu'est-il advenu de ce torrent boueux et vaseux, de ces cascades rougeâtres teintes d'argile. Ont- elles tout à coup disparu pour céder place à la limpidité? J'ai l'impression que nous sommes assez près d'un nouveau ravin et afin de l'éviter nous prenons le chemin des arbres. Ils ne m’inspirent pas confiance. Le monde inconnu qui se rapproche m’effraie car ces bruits inconnus ne me sont pas coutumiers. Mieux vaut ne pas s’engouffrer dans la forêt. L’orée du bois nous convient et un nouveau ruisseau vient assouvir notre soif. Le jour décline. Nous tombons à nouveau dans les bras de Morphée, paupières closes face à la lune. L’humidité fait ronfler les hommes. Au réveil, nos sens sont transcendés. La transformation subie est extraordinaire. Tous ces nouveaux sons et ces nouvelles visions nous rendent plus humains. L'homo-sapiens entre définitivement en nous.
La lumière blanche provient du ciel, ARGI, AR GIZ. Son origine élevée m’impose définitivement le son AR (d'en haut) et GIZ, GU-IZ- le soleil qui nous éclaire du haut). Immédiatement je réalise qu'il n'existe pas de couleurs sans lumière. Serais-je artiste ? En me basant sur le I de IZ, de nouveaux sons me viennent à l'esprit, HORI, horiz, (jaune) GORRI, gorriz( rouge), URDI(N)( bleu), de UR( synonyme de IZ, couleur de l’ eau). A vrai dire nous avons constaté depuis longtemps que la viande à la lumière est rouge, la nôtre, celle des animaux que nous chassons, GORRI, GORDIN (rouge, cru). Le I inhérent à IZ nous servira à conceptualiser les couleurs, la lumière et bien sûr son ombre, ITZAL,ITZAR, I, Z, AR (d'en haut qui signifie aussi « éteint »). IZAR devient la lumière d’en haut, l’étoile, IZIMIST, ZIMIST nous servirait à définir l'autre lumière, l'éclair. Le réveil après le sommeil, le jour après la nuit, la vie après la mort, nous conduisent à créer des mots en relation avec la lumière surgie du néant. IZARRI ou ATZARRI, (se réveiller) IZAR,(l’étoile) IZNA ou ESNA (le réveil), GOIZ( gu iz, nous vivants, le matin), IZI et IZIO, à l' allumage du feu après l’ éteinte, IZTA au grand jour, IZPI le rayon de soleil, IZAR, Itzar, IZAL,itzal, ( l' ombre qui vient de la lumière), IZKO, EZKO l' humidité,
Au petit matin la rosée, INTZA, IZA, ihintza, qui a couvert la plaine nous a tous enrhumés. Nous nous blottissons les uns contre les autres. Le mot LIZUN naît. Volupté pleine d’eau. Sécrétions. IZ ON, UR ON (bonne eau). Le L éventuel accompagne la naissance et la mort : HIL( mort), ILUN( obscurité), ILOR( avortement), HILODOL( les règles, de IL le mois) et ODOL( le sang)
IZOR, acte sexuel et enceinte à nouveau.
IZNE le lait maternel.
IZTU mouiller mais aussi éjaculer.
IZTA, IZTAR cuisse, près de la vie, du haut des jambes.
IZTOKI, IZPE l’aine, lieu d’eau, lieu de vie.
IZTAL couvrir, copuler, donner la vie.
IZGAIN IZPAIN EZPAIN lèvre).
TXISTU, salive.
IZTARI, iztarri, gorge.
En frisant ma barbe hirsute, BIZAR, Je suis fatigué de réfléchir. L’espoir que les miens comprendront tous ces concepts atténue ma douleur. Je crois que le sens de tous ces néologismes ne va pas leur échapper car les concepts sont clairs. D' ailleurs ils n'ont pas d'autres solutions. Nous nous devons d’aller de l’avant. Eux comme moi. Nous sommes tous conscients que notre langue forge son avenir.
Je réveille tout le monde et nous nous dirigeons témérairement vers la forêt sans avoir conscience du danger qu'elle renferme. Les femmes préfèrent rester sur place et allumer le feu. Les enfants les aident. Elles décident de nous attendre. Le silence règne. Tous les sons que nous avons entendus pendant la nuit ont disparu comme s'il s'agissait d'un sous- bois dépourvu de vie animale. Nous avançons lentement, oubliant tous les cris, les sifflements et craquements si perceptibles durant la nuit. En silence et à petits pas nous marchons sans bruit sur l'herbe humide. Les rayons de soleil pénètrent en oblique. IZPI, ARRAI, du haut. C’est beau. L'ombre m'émeut. Elle me rappelle l'intérieur de la grotte. Nous observons les arbres. Mon rêve d'ordre sexuel me revient à l'esprit. Ces arbres si raides me font penser à des durs pénis (IZAKIL, ZAKIL). A l’image de notre langue, la flore est en mutation, elle devient verte. La nature change de couleur. Le feuillage, l'herbe, la mousse viennent compléter ce changement de coloris. L’ampleur de la création lexicale me dépasse. Il va pourtant falloir définir toutes ces nouveautés. IZ, UR et AR deviennent les pièces maîtresses de notre vocabulaire, surtout AR pour les arbres. Ce son signifie la hauteur, la verticalité ARGIA (la lumière) puis ARDAPA, ALDAPA ( la pente), MARDA, MALDA ( la côte) ou encore MALKAR, (la colline et tant d’ autres). ARIZ, ARITZ le chêne, IZKUR, EZKUR le gland LIZAR, le frêne, ASTIGAR, l'érable ou encore IZUMAR, ZUMAR, l'orme. Nous adoptons le son LAR pour signifier ce qui se trouve sous les arbres, les ronces, les buissons, les épines... et BELAR, l’herbe de BE signifiant bas et de LAR. Les branches prennent le nom d’ADAR.
IZ est aussi présent dans ces définitions: IZKI, EZKI,( le peuplier); IZAI (le pin), IZPEL, EZPEL (le buis), MIZPIRA ( le néflier)...
UR nous sert à inventer IZUR, couler, IZURI (breuvage à base de lait) et IZUSTA, mais aussi les noms d'arbres qui nous manquent encore INZUR INTZUR, (le noyer), URKI (le bouleau), URRIZA, (le noisetier)...
Il faut définir l'ensemble de ces arbres et nous choisissons ZURAIZ, Zuhaitz, un mot constitué d’UR et d’IZ, sachant que ZUR et EGUR veulent déjà dire bois. Le son AR est utilisé pour définir d'autres arbres et étrangement d'autres langues plus récentes y auraient également recours plus tard, prenant pour base le basque.
La rivière fut définitivement appelée IZBAI, IBAI car nous commençons à employer la suffixes AI pour signifier la descente, l’eau qui s'écoule des sommets vers la vallée, puis vers l’inconnu. A l’image d’IZBAR, (la vallée), apparaissent donc IZBAI (la rivière) et UHAITZ, UHAIZ-( UR IZ) (le ruisseau), IZEKA, (la rigole), Le mot IZGERI, IGERI ( nager), s’avère indispensable à la survie. IZOKIN(le saumon) nous le prouve et leur système de respiration(les branchies, le souffle de vie, d’eau) aussi. IZATS, BIZKAI, nom d'une province basque apparaitrait nettement plus tard mais basé sur le même concept d’IZ et AI, (l’eau qui descend vers la mer). La forêt nous fournit deux façons d'évoquer le rayon de soleil, IZPI et ARRAI de AR et de AI. (Du haut vers le bas).
Les quatre sons IZ, UR, AR, AI deviennent les pièces maîtresses de notre idiome et se transforment en base et fondement de la langue basque. Elles indiquent le mouvement de l'eau descendante le long des pentes qui mènent vers la vallée.
Les voyelles sont encore nos sonorités essentielles, le A, le I, le U mais aussi le O que nous introduisons peu à peu. C'est ainsi qu'à partir de IZ naît OZ, HOTZ (froid). Une grande quantité de mots surgissent de ce nouveau phonème.
C'est par hasard que nous créons IZIZARI, ZIZARI (le ver de terre), I étant plus particulièrement la lettre de la mort. La mort issue de la vie, le vide, la désintégration, la vie enterrée, la vie du vide. Pour la seconde fois j’emploie le mot B !IZIL. Je dois expliquer à mes amis sa signification, la vie et la mort qui sont inséparables, accompagnées du L mystérieux et du B impératif. Il nous est parfois difficile de fixer définitivement un mot dans notre vocabulaire car l'oubli fait partie de la panoplie de nos défauts. Ils ne se figent dans notre lexique une fois que l’ensemble de la tribu les a adoptés. Personne n’a de mal à comprendre le choix d’AR, tout court, pour signifier le mâle, doté de verticalité sexuelle apparente. L’homme et son pénis en érection. Quelle obsession. Même procédé pour KAR/GAR, (la flamme) et PINDAR (l'étincelle), toujours montantes.
Le dos, droit, comme la pente prend le nom de BIZGAR/BIZKAR. B!IZ, GU( nous)AR. ARGIA( la lumière d' en haut) est définitivement adoptée, IZAR( étoile) et ILARGI( lune) aussi. Il nous arrive souvent que certaines créations en engendrent d’autres d’un ordre absolument différent, tout en gardant les sons essentiels. C’est ainsi que les poissons qui descendent la rivière sont appelés ARRAIN, AR du haut et AI vers le bas. J’aurais bien fait une distinction pour les saumons qui auraient du s’appeler AIAR lorsqu’ ils remontent la rivière vers la source. On préfère les nommer IZOKIN.
Malgré le travail gigantesque, toute cette laborieuse création nous semble souvent amusante. Elle devient parfois un jeu. A vrai dire elle ne l’est point car nous sommes en présence de la première langue inventée par les humains occupant ces territoires-là. Je ne pourrais dire combien de temps cela nous a pris. Des siècles. Néanmoins, il nous manque l'essentiel : le verbe.
Si j'avais pu détenir tous ces éléments pendant notre longue vie cavernicole, je crois que j'aurais pu inventer l'Art sans intervenir pour autant sur la nature car, artiste par excellence, elle est la mère de la création. L'homme et la femme n'en sont que les interprètes. Je sais maintenant que la nature crée le concept artistique et que l’art provient exclusivement d’elle. Mon esprit profondément développé et éduqué par la conception de la langue ces derniers temps est à présent apte à le percevoir, à l’apprécier et à l’appliquer. Dommage que le climat ne nous ai pas favorisés car la vie dans la grotte était restreinte et ne nous permettait pas d’aimer l’art ainsi que de vivre pleinement en sa compagnie, même si les peintures pariétales nous distrayaient et faisaient rire les enfants.
Silence ! Nous entendons des sifflements qui nous intriguent, certains très courts et aigus d'autres plus longs et sourds. Notre regard se pose sur la cime des arbres et pour la première fois nous découvrons des oiseaux, des êtres totalement inconnus jusqu'à maintenant. Nous les voyons sautiller de branche en branche comme pour nous narguer. Notre étonnement grandit lorsqu' ils se mettent à voler. Le rêve que j'avais fait au bas du précipice me revient en mémoire.
La nature est en pleine transformation depuis que la tiédeur s'est emparée de la terre, de nous- même. Elle nous aide à devenir plus intelligents. La mutation continue. Notre façon de concevoir la vie se modifie radicalement et nous sommes maintenant capables d'interpréter ces changements et de les attribuer au climat.
C'est à cette époque qu'apparaît une grande quantité d'animaux, beaucoup plus petits que jadis, des insectes, des rongeurs, des mammifères, certains au long museau, d'autres aux poils roux ou encore à la peau lisse et écailleuse. Les bêtes que nous chassions en battue jadis avec mon père étaient d'une autre envergure et la taille de ces nouveaux venus nous paraît proche du nanisme. J’observe au pied d’un arbre des fourmis qui s'évertuent à courir dans tous les sens. Les ours, les chevaux sauvages ou les cerfs les auraient avalées sans en prendre conscience.
Nous n'avons pas grand chose à manger car l'adaptation à ces nouvelles méthodes de chasse est déconcertante. Nous méconnaissons la comestibilité de cette nouvelle faune. Comment chasser ces oiseaux ou ces petits rongeurs qui traversent la forêt à grande vitesse? La battue n’est pas adaptée à leur prise. Nous abandonnons cette idée car nous n'avons pas encore atteint ce degré de connaissance.
La confection de la langue m’obsède. IZ, UR, ZUR et EGUR,( bois) ELUR( neige), HEZUR,( os) ITUR, IZTUR( source) ZUR AIZ,( arbre), IKAITZ,IZ GAITZ, EKAITZ(tempête), ainsi que tous les mots en AR et AI ont bien pénétré notre langage. Je me demande si cette découverte va avoir la capacité de surmonter le temps et si elle est digne de postérité. La nouvelle vie crée de nouveaux besoins et notre nouvelle exigence est de s’y adapter. La vie dans la grotte est maintenant oubliée. Cela fait bien longtemps que nous avons franchi le grand ravin. Tout est si différent. Créer des mots pour garnir notre langue est devenu si naturel que nous n'en mesurons même pas l'importance, ni leur impact sur les enfants qui naissent, qui grandissent et deviennent adultes et parents. Je suis toujours là, avec les miens de plus en plus nombreux, et j’accomplis avec soin la mission de créer cette langue dictée par la voix. Autour de moi naissent de nouvelles générations qui méconnaissent l’épisode de l'abandon de la grotte et celui du ravin. Le climat s'est tellement réchauffé qu'ils ne peuvent imaginer les montagnes caverneuses et notre vie d’antan. Ils parlent. Ils sont nés en parlant. Ils sont totalement humains. Comment penser à une éventuelle perte du langage. Il est si récent. Ils l’ignorent. Comment savoir qu'il n'y en avait pas d'autres avant et que les suivants en découleraient. Impossible car nous ne sommes pas capables de le leur expliquer. Je n’en ai pas envie. Ca ne sert à rien. Nous n'en sommes pas encore là.
Notre tribu est composée de quelques centaines de personnes maintenant. J'imagine que d'autres semblables à la notre pourraient exister ailleurs. Des femmes, des hommes et des enfants réunis pour vivre ensemble. Il n'y a pas de vieillards. Même moi qui ait vécu plusieurs âges et générations. Je pense à la longévité parfaite qui consiste à être immortel dans sa jeunesse. Pas de vivre plus vieux. C'est formidable de constater l’évolution de notre peuple. J’en suis le seul conscient. La voix aussi. Nos hommes et nos femmes s'humanisent à grands pas.
Nous n'avons jamais encore rencontré d’autres gens. Ont-t-ils créé d’autres langues ? Sont- ils aptes à le faire ? La femme dont j’entends la voix serait- elle celle d’un dieu, d’une déesse omniprésente? Le réchauffement climatique et la nature sont- ils propices au développement de cette science qu’est la linguistique ? N’est-ce qu’une question de mode ? Bien que débordant d'expérience, je n'ai point de réponses à toutes ces interrogations, si ce n’est que ces phénomènes sont dans l’air du temps.
Nous abandonnons la forêt et rebroussons chemin pour retrouver le groupe de femmes et d'enfants que nous avons abandonnées autour du feu. Ils ont perdu un grand épisode. On aurait du les réveiller. On leur racontera nos découvertes et notre avancée formidable au point de vue lexical. Tous ces arbres, leur feuillage, la vie de la forêt…Une expérience inoubliable. On aurait dit un nouveau précipice sans ravin.
A l’approche de l’orée du bois, une odeur repoussante nous envahit. Pourtant nos sens sont exacerbés. Je reconnais cette exhalaison, la même qui se dégageait parfois lorsque des fauves nous attaquaient à proximité de la grotte et dévorait l’un de nous. La senteur d'un ours mêlée à l'odeur du sang coagulé nous fait pressentir un drame affreux. Elle escorte la mort. Les corps de nos femmes et enfants baignent dans le sang. Les chairs arrachées gisent au sol. S’agit-il d'un avertissement des plantigrades qui n'admettent pas la transformation générale qu’ils subissent et qui risque de les faire disparaître peu à peu? L’attaque mortelle n’est- elle qu’un instinct de survie ? Je suis le seul à être envahi par ces idées d’évolution.
Les blessés gémissent et demandent de l'aide en se traînant. Le Z de IZ a quitté leur lamentation et devient un I, le son de la mort. Le L l’accompagne étrangement. LO ( sommeil) n’ est pas une bonne conseillère. Nous le détenions dans ODOL (sang), HILODOL (règles féminines) et ILOR (avortement).
Tant bien que mal, nous nettoyons les blessures des rescapés et les remettons sur pied. Nous devons en achever un bon nombre de personnes meurtries. Quel drame que de tuer ces femmes et leurs enfants, les nôtres, qu’on aime tant. Nous n'avons pas d'autre solution. Par amour, par pitié, par hygiène, nous sommes contraints de devenir des assassins. Terminé leur espoir de bonheur. Finie leur espérance d’humanité. Malgré notre essence en partie encore préhistorique, notre émoi et notre compassion pitié n'a pas de limites et dans le respect des anciennes traditions, nous nous devons de les inhumer dans une grotte. Il faut retourner en arrière. -Non!- me crie la voix qui me signale une cavité qui s'ouvre à nous là- bas, au fond, sur la colline. Nous nous en approchons prudemment de peur qu'elle soit l'antre de l'ours meurtrier. L'absence d'odeur nous convainc du contraire et nos chères ascendantes et descendantes reçoivent toutes la sépulture qu'elles méritent, tout au fond de la caverne, dans un lieu similaire à celui où j’allais peindre sur les parois avec mon père. Cette inhumation les préserve des rapaces habituels qui survolent déjà la zone. SAIA, ISAI, IZAI(le vautour, la vie qui descend) et ARRANO, AR er O,( l’ aigle)
Quel bonheur que de se tenir à nouveau dans une grotte. Emplis de nostalgie, je revois mon enfance, retrace ma jeunesse et pense aux coutumes et traditions. Tout à coup la forte odeur d'un animal nous fait craindre le pire. Il fallait fuir au plus vite. Nous y parvenons.
Je m'achemine vers le haut de la haute colline pour découvrir les parages et déterminer notre éventuel avenir. Comme un sémaphore, mon regard balaye l'horizon. Au loin, je reconnais nos montagnes d'antan, toutes bleues. Il n'est pas question d'y retourner car on y distingue encore quelques tâches blanches parsemées. Combien de temps s’est-il écoulé depuis lors ? Combien de siècles, de millénaires depuis l’apparition du IZZZZZZ révélateur ? Je n'en sais rien. Tout m'a paru tellement court. Il faut à tout prix oublier ce rappel au souvenir. Malgré la perte absolue de la notion du temps, notre évolution est inexorable. Nous sommes aujourd’hui dans un nouveau monde adapté à l'eau. Notre descendance s'en était accommodée. Pour naître, pour vivre, pour mourir, mais aussi pour parler. Nous avons oublié la communication à base de gestes et de cris insensés. L'idée de présent surgit. Avec elle, celle de passé et même d'avenir. La création d’un verbe s’impose. A vrai dire il existe déjà mon inconscient.
Je vis une sensation extraordinaire. Alors que je scrute le lointain, une sonorité nasale m'assaillis d'une manière impromptue. Le N, un N expiré qui me fait prendre conscience de mon corps, de mon esprit, de ma vie. La mienne. Et ce son nasal vient s’ajouter à celui de l’eau, de la vie pour définir ma sensation d’être. NI, NIZ. Je viens d'inventer sans le vouloir, le fondement du verbe basque. N, indiquant la première personne, (je, moi), accolé à IZ devient Je suis, je vis ou encore je suis eau (NIZ ou NAIZ en basque). Il s'agit là de pure résistance face à cette attaque démesurée de l’ours, une prise en compte de ma propre vie, la divulgation d’une avidité d’exister. Un existentialisme moderne face au passé montagnard. L'idée de passé surgit alors dans mon esprit et ce N est sans aucun doute le meilleur moyen de l'exprimer. Il servira à la fois pour le moi actuel NI NIZ, NAIZ (je suis) placé à l’initiale et pour la vie antérieure placé en finale, ( N est la lettre du passé dans le verbe basque). Il est encore trop tôt pour l’acquérir définitivement.
Je fais part de ma découverte à mes amis. Certains apprécient. Surtout les plus ancrés dans la tradition. Ils n’en reste plus beaucoup. Les jeunes préfèrent le présent. Leur ego y est pris en compte. Ils méconnaissent le passé. L’embryon de puzzle formé par ces sonorités nasales les amuse et ils se divertissent à lacer ce N à tous les mots déjà assimilés. La création du verbe est devenue une grande distraction. Nous rions tous volontiers. Le N du passé devient vite une nécessité pour les plus âgés car il exprime le souvenir et l'émotion de la vie antérieure. C’est un grand moment. La notion de suffixe surgit. Comme si j'étais un vieil instituteur, je corrige parfois leurs erreurs car certains n'ont pas très bien compris la dualité de ce N.
Notre avancée linguistique m’émeut au plus haut point. Je pleure. Les sonorités qui s’emparent de moi alors sont extraordinaires : NIZGAR, NIGAR formées de N moi, IZ eau, AR déversé de l'œil (verticalité). NIGAI ou NIZGAI aurait peut- être été plus approprié, à l’image de IZTAI, eau qui dévale la montagne vers la vallée et issu de AI signifiant la descente. Mais bon... Ces sanglots et ces soubresauts incontrôlables voient apparaître le son G (à prononcer Gué) dans ma gorge. Il va falloir le conceptualiser car nous sommes tous occasionnellement sujets aux larmes. Le G pourrait à la rigueur servir de globalisateur, à l'inverse du N très personnel, il signifierait le « Nous, la société, l'ensemble ». (Gu en basque= nous)
Laissant de côté ces investigations inhérentes au verbe et distinguant passé et présent, je scrute de nouveau l'horizon et le choisis comme destinée. La nature me l'impose. A l'instar d'artères et de veines menant à un cœur, je distingue précisément une grande quantité de ruisseaux qui coulent vers la vallée, qui se rejoignent dans des rivières plus denses pour atteindre toutes le fleuve qui s'égare au loin. Ils proviennent tous des montagnes environnantes, comme dans un cirque où les ruissellements affluent de partout. Il doit sûrement y avoir un lieu de rencontre, une globalité aqueuse capable de recevoir toutes ces voies pluvieuses, toutes ces neiges fondues, toutes ces pluies diluviennes. Nous avons déjà créé IZBASO, IBASO( IZ, eau et baso, sauvage) torrent, rivière, IZERTZ, IZ et ertz( la rive). Il nous reste à inventer IZ OSO, ITSASO (IZ eau et OSO tout, IZOSO, ITSOSO, ITSASO, mer), mais je ne la connais pas encore.
Notre chemin est tout tracé. Je descends définitivement la pente en jurant de ne plus y remonter et trouve tous mes amis autour du feu. Je leur indique la route à prendre. Certains accèdent à la colline pour l’observer. Ils l'admirent sans problème. Il nous faut donc suivre la voie de l'eau. Tout à coup un vent glacial surgit. Le N des périodes froides est à nos trousses. L’IZ aussi. Le mot AIZE (vent) naît au même moment, basé également sur IZ, onomatopée sifflante adaptée au vent froid et humide.
Nous avons besoin de repos. Le feu allumé nous est d'un grand secours. Il réchauffe nos cœurs. Ses flammes tremblent et émettent un son craintif provoqué par le vent. SSSSSSSUUU ( à prononcer chou). Un nouveau concept vient de naître. IZ est devenu le père de SU.
Le carnage provoqué par l'ours nous a laissé sans femmes. Les enfants survivants doivent grandir pour assurer la descendance. Ils apprennent à courir vite, comme de peur d'être engloutis par la vague du passé. Les plus âgés savent pourquoi. Néanmoins leur évolution sentimentale équilibrée est disloquée par faute de mère. Il nous est difficile de vivre sans présence féminine qui nous apportait la douceur, l'intelligence et l'apaisement. Je n'ai plus personne qui pourrait me démontrer gentiment que j'ai parfois tort. Le sexe qui était notre plaisir journalier nous manque. Il était notre raison d'être. Quel gâchis car la fidélité l’avait emporté et depuis peu nous avions appris à n'avoir qu'une et qu’un seul partenaire, ouvrant ainsi la porte à l’amour familial.
Nous sommes conscients que notre vie va changer, qu’elle va être triste et que nous allons perdre la bonne humeur. Il n’est pas évident de conserver l'envie intense de vivre. Même si ces enfants courent à toute allure, elles ne seront jamais nos partenaires et les mères de nos futurs enfants. Notre résignation devient terrible. C'est la première fois que je réalise que l'acte d'amour est vraiment d’ordre thérapeutique et qu'il est essentiel à l'équilibre du couple et de l'individu. A partir de cet instant j'ai l'impression de revenir en arrière et d’avoir souvent recours aux gestes et aux cris. L’énervement est permanent. La dureté, la sauvagerie et la crispation est devenue intrinsèque à notre être. La masturbation est de rigueur. Comme si je remontais un précipice, je me renferme sur moi- même et m’isole de tout. Je perds peu à peu l'audition qui ne m’est plus utile. Elle me rendait pourtant humain car c'est bien elle qui engendrait la parole. Je n’ai plus envie de parler. Ni d’enseigner. Ni d’écouter la voix qui m’a abandonnée depuis longtemps. Je regarde les enfants avec pitié et leur adresse des sourires chaleureux. Leurs regards tristes m’affligent. Il faut à tout prix grandir ensemble et recréer la société détruite par l'ours. Notre civilisation se doit de renaître pour assurer l'existence de notre peuple et de notre langue. On ne doit pas annihiler le travail formidable accompli jusqu' à présent. Je cherche du regard et crois avoir trouvé. Là- bas, au loin, un nouveau ravin semble s’ouvrir. C’est la seule solution pour refaire jaillir la vie. Un précipice engendreur de temps. Un gouffre où les enfants deviennent mères. Comme des animaux poursuivis en battue, le besoin nous projette dans le vide. J’ai l’impression de plonger dans le ventre d'une femme en voie de gestation. Elle perd ses eaux ! Après avoir perdu connaissance, je reviens à moi rapidement. Je revis. Je constate que plusieurs femmes sont debout à s’occuper des blessés. Ceux qui n’ont pas cru au bienfait du ravin sont morts dans leur chute. On ne peut pas accélérer impunément la marche du temps. Certains tardent à se réveiller car la notion du temps perdu a endommagé leurs neurones. Nous sommes prêts à poursuivre notre route en colonne mixte. Enfin. La vie est retrouvée. Le souhait d’aventure nous a rejoints à nouveau. Le désir de découvrir aussi. Notre langue est à l’arrêt. Sans doute provisoirement. Je suis en quête de la voix divine. Nous entamons notre longue marche. J’ai faim. Nous avons tous faim. Cette nouvelle plaine offre des possibilités insoupçonnables d'alimentation et l’apparition de coquilles obscures rampantes nous subjugue. Ces escargots qui laissent des traces de bave sur le sol vont nous sauver d'une mort certaine et nous rassasier pendant longtemps. Nous avons appris à les plonger dans les cendres pour les faire cuire. Une fois asséchés, nous les avalons goulument. Les protéines nous conservent en vie. Leur vie cavernicole nous rappelle des souvenirs. Comme nous le faisions dans la grotte, ils se renferment dans leur coquille afin de se protéger pour survivre. Mais le feu est sans merci. Ils ignorent qu'ils avaient à faire à des humains.
L‘endroit choisi nous convient à merveille. La proximité de la rivière qui nous désaltère, l’orée de la forêt qui nous nourrit sont vitales pour notre subsistance. Ils souhaitent s’y sédentariser mais ma mission n'est pas terminée et je leur intime l'ordre de partir. Je n'en ai peut- être pas le droit mais je suis le seul à connaître notre destinée. Une certaine forme de rébellion naît. Certains d' entre nous se contentent de peu. Pas moi! Il faut assurer notre survie et nous nous devons de rencontrer d’autres tribus, d’autres femmes, un autre avenir. J’ai du mal à les convaincre. La plupart considèrent être arrivés au terme du voyage. Il me faut attendre des circonstances plus favorables. Encore une fois l’eau va m’y aider. Au bout de quelques mois, l'extrême humidité du lieu les fait douter et je vais profiter de cet instant d’hésitation pour les convaincre à partir. Ils acceptent car ils redoutent les maladies surtout les rhumes qui nous avaient déjà décimés. Il n’est plus question de succomber aux maladies provoquée par l’eau. Elle doit rester source de vie et non plus voie de mort. Nous partons. Certains d' entre nous préfèrent rester. Tant pis pour eux. C’est la seconde scission après celle d’AL. Quelle erreur! Nous n'avons jamais eu aucune nouvelle de lui. Avait-il franchi ces montagnes insurmontables et serait-il parvenu à sauver sa vie afin de rencontrer d’autres peuplades. J’ai mes doutes car la direction qu’il avait prise ne conduisait pas à l’eau, à la vie. Plutôt à l’enfer torride. Il ignorait l’écho de la voix de la déesse. Il aurait du me faire confiance. Tant pis. Nous poursuivons notre chemin. Toutes les femmes et tous les enfants me suivent.
La voix mystérieuse se fait alors entendre à nouveau, ce qui me laisse présager qu’un précipice naturel s'annonce à proximité. Un ravin présagé par la voix. Elle ne se trompe jamais. Je me dis qu'il serait approprié d'aller chercher nos compagnons restés près de la forêt mais nous sommes déjà trop loin. Le temps passe trop vite. Ils ont d’ ailleurs démontré leur peu d’entrain pour l’aventure. Ils n'en ont que faire du progrès. De purs conservateurs.
L'immensité du nouveau gouffre est impressionnante mais la voix m'aide à surmonter la crainte. Je suis le seul à l'entendre. Les torrents descendent jusqu’ à la rivière, les cours d'eau vers la grande bleue que l’on distingue au loin du haut de la falaise. L’eau nous hèle clairement. Le son de la voix nous pousse à nouveau dans le vide. Elle me tend la main et me restitue la faculté de création qu’elle m’avait confisquée. Nous sommes sur la bonne voie.
IZGOAZ me vint soudain à l'esprit: IZ( eau), G( nous) et OA qui semblait vouloir dire aller, mais l’engouement envers cette voix de femme me pousse à créer de nouveaux mots essentiels, GIZA,( gu iza, nous vie, humain en basque) GIZON,( homme) GUR, GAIZ et avec eux le concept verbal qui apparaît tout à coup au fond de ma gorge. G( nous) GA IZ( nous eau, être, sommes). L'eau si indispensable à l’existence devient maintenant essence et fondement de vie, d'où GIZ et GIZON. Ce n'est peut- être qu'une prémonition mais je sens que ce GIZ va devenir acteur et commencer à être et à agir. Un grand pas en avant s'amorce. Le verbe si attendu. Je me lance le premier dans l’abîme tout en perdant à nouveau la notion du temps. Aucun risque. Tous me suivent. Nous nous retrouvons, sains et saufs, au bas de l’abîme, étendus sur un parterre de feuilles sèches qui a atténué notre chute. Un peu plus loin une cascade gigantesque forme un bain d'écume blanche dans un large puits naturel. C'est beau! Le soleil qui y pénètre amplement rend la couleur blanche resplendissante. Cette lumière semble résumer tous nos acquis. J’en fais la synthèse : IZ, (l' eau, la vie), AIZE (le vent), NNN( moi et le passé), G Iz( nous et les humains), AR (d' en haut), AI,( vers la vallée), IZBASO( torrent),IZBAI, ibai (la rivière, le fleuve), IZOSO, (la mer), IZBERTZ( la rive,) ARGIZ (la lumière), IZAL (l' ombre), IZBI ruissellement, IZALI, itzali ( éteindre) IZOLA( l’ averse)....
Tous ces concepts nous aident maintenant à nous exprimer. Ému, je me mets à pleurer. Les quelques femmes m’accompagnent dans mon émotion. Les enfants courent et se poursuivent, les hommes se reposent tous fiers d'avoir surmonté la descente périlleuse. Tant pis pour les conservateurs qui doivent se contenter de limaces et d'escargots.
Des chênes nous protègent à présent des rayons de soleil coléreux. Nous en choisissons un, le plus dense et nous asseyons à ses pieds. Cette ombre fraîche s'avère protectrice. L'un d' entre nous se met à chantonner. Nous le scrutons avec étonnement. C'est la première fois. Il essaye de terminer ses sons par IZ. Le bertsu* est né. En guise de remerciement, nous prenons ce chêne comme symbole de notre culture. Bien qu'en réalité le manque de vocabulaire et de syntaxe ne nous permette pas de versifier, l'originalité de l’interprétation nous a laissés pantois. La mélodie composée à l'oreille est harmonieuse et tout le monde l’assimile immédiatement. Nous reprenons ensemble l'air en constituant ainsi la première chorale de l'histoire de l’humanité. Certains chantent faux. Souhaitant rendre hommage à l'arbre protecteur, le compositeur lui chuchote quelques mots. L’ombre est devenue une marque de reconnaissance. Cela ne m'échappe pas et une nouvelle étape s'engage dans la création de nôtre
* improvisations rimées chantées en lange basque
langue. Celle de la communication. Le N et le G font en quelque sorte déjà partie de ce registre de sons, car le « moi » et le « nous » expriment toujours quelque chose de précis. Le verbe favorise le dialogue et selon la même logique, d'autres sonorités naissent pour exprimer la troisième personne, qu’elle soit au singulier ou au pluriel. DIZ (DA, DAIZ plus tard, il est, ils sont) et ZIZ ,ZAIZ et ZIZTE ou ZAIZTE ( plus tard, vous êtes) apparaissent alors. Incroyable! Ces nouvelles formes envahissent nos esprits.
Je regarde les femmes qui nous accompagnent et comprend la raison pour laquelle elles emploient souvent NIZKA (N moi, IZ vie, ,eau) (NESKA, femme en basque) pour se définir elles- mêmes. Il faut bien le faire pour se distinguer des hommes qui sont devenus des GIZON depuis longtemps). K que je ne comprends pas encore va rapidement trouver bientôt sa voie active. N devient féminin et G/K masculin, (en basque le tutoiement qui s'adresse à un homme se traduit par K et celui adressé à une femme par N).
Quelle gigantesque prémonition!
Il ne nous manque plus que deux voyelles à utiliser, le O et le U. Elles ont déjà fait des apparitions sporadiques (IZOSO, par exemple ou UR et ses dérivés), mais personne n'a encore l'idée de les employer souvent à bon escient. Pourtant l'une d'elles va se transformer dans le socle de la troisième personne, de l'individu et du verbe tri-personnel à venir (NOR- qui, NORI- à qui, NORK qui, actif).
Immédiatement l'action, le résultat ou l'interlocution vont prendre une importance vitale et le passif vient s'introduire de façon impromptue dans notre langage. Lorsque je m'adresse à quelqu'un, je lui donne quelque chose ou qu'il me répond, le O indiquant le bénéficiaire de l’action à la troisième personne apparait, un datif correspondant à la forme : "à lui". Le Z est introduit lorsqu'il s'agit de la seconde personne du pluriel « vous » et le G habituel, collectif, « nous ». Ce n'est pour l' instant qu'un embryon de construction qui deviendra plus tard le ciment de la langue basque.
D
Une fois la partie de cartes terminée et alors que nous rangeons le tapis vert encore poussiéreux, Guillaume, toujours allergique, éternue fortement ATCHOUM!- - BOLDT- lui répond Alex, en éclatant de rire, sans savoir que l’allemand et le français, emploient Atchoum pour signifier l’éternuement. Txema toujours enclin à l’humour rajoute en souriant:- On voit bien qu' Humboldt n'est pas d'ici. S'il avait été du Baztan, il aurait éternué en faisant ATXIZ, un son plein de postillons. Tout le groupe rit franchement car c’est l’esprit de mise lors du séminaire. Nous savons tous que l'espagnol emploie cette onomatopée pour l'éternuement mais ignorions que l'anglais employait ATISHOO.- On voit bien que les maritimes éternuent en ATXIZ puisque le son IZ, (eau, salive) y est présent- dit Txema, le même que dans MUKI(Z), la morve. Le UIZKI accentue les fous rires. Hyacynthe est le seul à boire de l'eau. Il regarde son verre avec fierté à travers ses petites lunettes rondes à la professeur Tournesol.
-Quel animal!- Lui dit Alex- De l’eau ? Tu préfères peut- être les MIZ ( Miss) et les KIZ( kiss)-( rires).
Guillaume a toujours pensé que nous étions tous des linguistes sérieux. Aujourd’hui, il pourrait éventuellement changer d'avis en constatant qu' en plus d'intellectuels originaux nous adorons faire la fête. Pour ne pas dépareiller, il boit une longue rasade de Whisky.
-Un autre- cria- t il.
Quelqu’un a sonné. C’est Beñat Oyharzabal. Nous ne l'attendions pas. Découvrant son ami muni d’un parapluie noir, Ferdinand Saussure s’écrie :- Quel bonheur, toi ici Beñat! - Leurs rapports ont toujours été privilégiés. -Oh, mais vous êtes tous là?- nous dit- il.-Je venais à Arizkun avec Edwar étudier des tournures de langage du Baztan quand j'ai vu de la lumière. Je vous présente Edwar Sapir, un ami américain, éminent ethnologue venu étudier des comportements linguistiques liés à la langue basque. Alex a compris œnologue. Vous savez bien que de nombreux phonologues étrangers s’intéressent à l’Euskara, n’est-ce-pas ? Et bien en voilà un.-
-Good afternoon- dit Edwar avec nonchalance.
-Je lui ai bien expliqué qu'il n’aurait pas l'occasion d’appliquer ses théories ethnologiques avec vous car vous n'êtes pas du tout des paysans autochtones, mais bien des urbains en bringue. Le cas échéant il pourrait faire de la sociologie, n’est-ce pas Edwar ?
- De la sociologie mouillée.- répond Beñat, sur le ton de la plaisanterie.
Pendant toutes les présentations, il découvre être en présence de Ferdinand Saussure, mondialement connu pour ses théories d’interdépendance des langues, du père du structuralisme, de Noam Chomsky et ses thèses sur la capacité innée des humains à parler et à créer une grammaire universelle, d’ Alex Arizkun et de Txema Larrea, professeurs d’ université du Pays basque, férus de parranda* et de juerga*, de Hyacinthe de Charencey, l’ homme à l’ombrelle obsédé par le temps qu’ il considère comme le père de notre civilisation, et de moi-même, propriétaire des lieux. Je lui tends amicalement la main pour le saluer. A la vue de l'ambiance régnante, Beñat hésite à entrer. Néanmoins il saisit le verre de whisky que lui tend Alex et se met à converser avec Saussure de mon essai. Il en connaît l’existence depuis fort longtemps. Pas encore le roman mais la théorie linguistique qui le nourrit, celle du IZ.
Je me souviens qu’un jour d’hiver universitaire de 1983, alors que je me dirigeai au restaurant avec mon professeur Beñat après les cours du matin, je lui avais exposé ma théorie sur le IZ, ce qui l'intéressa vivement. Il aimait bien ces mélanges de poésie et de science. Avec une pointe d'humour je rajoutai que le mot UIZKI en contenait toutes les lettres, à quoi il répondit en riant de bon cœur que j’avais omis UZKI qui avait les mêmes sonorités et qui signifiait " le cul" en dialecte basque souletin. En fait, ce mot est utilisé pour nommer l’anus. -UIZKI et UZKI- Un beau binôme phonético- anal, ajouta- il le sourire aux lèvres.- Bravo !- répondis-je. -Je n'en attendais pas moins de mon professeur et ami que je n'avais pas revu depuis ce jour- là, il y a une vingtaine d’années. Alex aime bien raconter des histoires. Il se met à narrer une aventure abracadabrante d’un tracteur qui ne marche pas bien. Tout le monde l’écoute car il a un don pour arranger ses fins et faire rire les auditeurs.
A bon escient sa trouvaille réside dans la marque du tracteur Nissam, NIZAN ; N- IZ an, en précisant qu'il fonctionne à l'eau.
- Quel animal ! lui dit Alex en riant alors que Ferdinand lui demande ironiquement un glaçon ( IZOTZ- eau froide)
*Parranda est le synonyme basque de juerga, bringue en espagnol.
B
Les élèves suivent le cours avec attention souhaitant en savoir davantage sur l'origine du basque. Le professeur leur précise que la théorie selon laquelle le son IZ serait le créateur de la langue n’est que le produit de sa propre recherche et qu'aucune preuve d'ordre scientifique ne vient encore corroborer cette thèse, bien que les théories de Naberan et de Kapanaga puissent s’en approcher réellement. Tous les élèves sont captivés par sa démonstration. Il s'attache maintenant au verbe basque et écrit au tableau ce qu’il considère comme son origine:
IZAN- IZ( être)
N moi
- toi
D il, ils
G nous
Z vous
NIZ , naiz,
HIZ , haiz,
DIZ, DAIZ, da, dira
GIZ, GAIZ, gara
ZIZ, ZAIZ, ZAIZTE, zara, zarete.
Le jeune âge de ces adolescents de classe de première ne leur permet pas de saisir l'évolution des mots et leur transformation postérieure. Il leur faut faire preuve d'ouverture et accepter le fondement de la théorie sans rentrer dans les détails. Seuls des linguistes avérés savent que certaines voyelles et même des syllabes peuvent tomber avec le temps et que des changements importants peuvent survenir dans l’évolution normale des langues. Néanmoins ils comprennent bien la théorie du IZ puisque des éléments palpables de leur connaissance viennent l’appuyer.
- Comme le démontre la conjugaison ci-dessous,- ajoute- il- le verbe « être » en basque unifié moderne et toutes ses variantes dialectales des territoires basques divers vient bien corroborer la thèse du IZ.
Ni naiz qui provient de NIZ, je suis, toi, sujet.
Hi haiz, de IZ, tu es, toi, sujet.
Hura da, de DIZ, DAIZ, il, elle est, il ou elle, sujets.
GU gara, de GAIZ, nous sommes, nous, sujet.
Zuek zarete , de ZAIZ puis de ZAIZTE, vous êtes, vous, sujet.
Haiek dira, de DAIZ, DAIZ, ils, elles sont. Ils ou elles, sujets.
Vous savez,- leur explique- t- il- quelle que soit la langue concernée, l'évolution linguistique est en perpétuelle transformation et les lois phonétiques subissent des changements profonds au fil du temps. Imaginez toutes les langues romanes originaires d'un tronc commun, le latin et leur résultat actuel. Pourrait-on comprendre, si notre connaissance nous l’empêchait, que l'italien et le français ont exactement la même origine? Imaginez donc, en tenant compte de son ancienneté, le basque. Il est logique d’y constater des modifications dues à l'usage et à sa situation géographique. Il faut donc admettre ces transformations qui ne sont pas si extraordinaires. Si vous prenez tous ces mots créés à l'aide d’IZ et leur signification originelle, vous admettrez volontiers que de nouveaux concepts modifieront leur sens naturellement. Un exemple: IZ, l'eau, élément primordial de la vie, auquel on ajoute le concept de globalisateur "Nous" deviennent GIZA ( humain) et GIZON( homme des mots ) qui en découlent naturellement. Il en est de même avec le B, lettre qui sert à indiquer l'impératif. Ajouté à IZ il devient BIZI ( vivre et vie en basque), comme si une voix avait ordonné aux humains de vivre. Comment interpréter la présence de ce B impératif sur la vie si ce n’est que par un ordre ?
IZAN ( le verbe être en basque) est composé de IZ et du suffixe AN qui verbalise des concepts verbaux comme joan, aller, eman, donner, ereman, amener, esan ou erran dire, jan manger, edan, boire. Vous constatez que de nombreux verbes se terminent par AN, suffixe verbal infinitif et participe passé, le même suffixe qui a conceptualisé l’idée de vie, IZAN- poursuit-il avec passion. - Mais ne pensez surtout pas que la conjugaison verbale de l'auxiliaire « être » provient de son infinitif car c’est l'inverse. Ce sont les formes verbales et leur origine commune IZ qui ont formé IZAN et tous les autres verbes à l’infinitif et au participe passé. Toutes les sonorités personnelles déjà expliquées et composées par les sons le N, le G le Z correspondent aux personnes verbales qui ont servi à créer le verbe basque à partir du tronc commun IZ. Imaginez le chemin parcouru depuis le ruissellement des eaux dans la grotte qui oblige les hommes à la quitter et à se moderniser. Il en est de même avec le L, lettre de l'éventuel et du conditionnel dans le verbe basque, LIZ devient logiquement "s’il était". Il suffira de lui rajouter le N correspondant à la première personne pour qu'il devienne NIZ, (nintz, banintz, si j’étais...) ou un N final pour le mettre au passé, NIZEN, (j'étais), NINTZEN. Vous commencez à entrevoir le puzzle gigantesque qui va voir le jour à partir du son IZ ?-
Le professeur est comblé par l’intérêt que montrent les jeunes qui ont bien capté le système. Il se permet alors de se lancer dans quelques élucubrations dignes du séminaire annuel d'ARIZKUN.
- Écoutez bien ce mot- ARISTARQUE- qui fut un grammairien grec renommé. Analysons son nom qui nous fera sourire. IZ est entouré de deux AR, de deux sonorités qui signifient la hauteur, puis la virilité. Il aurait pu être basque, n’est- ce pas ? - Les élèves sourient.
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A
Le dernier ravin qui m’avait fait perdre encore une fois la notion du temps a acéré mon sentiment artistique et la perception profonde des formes et des couleurs s'est emparée de moi. Je n'en reviens pas. Je crois que c'est à ce moment-là, devant cette cascade d'écume blanche dont les recoins apparaissent partiellement éclairés par les rayons de soleil pénétrants, que j'ai appris le concept du beau. Quel apport fantastique !
C’est un travail de longue haleine car le caractère éphémère du vécu se transforme peu à peu en habitude et en tradition qui deviennent à leur tour la base de notre langue présente et à venir. J’en suis absolument conscient grâce à la voix de cette femme mystérieuse qui a fixé ma mission. Si nous connaissons à présent tous l'origine de notre idiome, j'en maîtrise la destinée.
Le regard cloué par la beauté et comme un enfant découvrant le monde, une nouvelle intuition m'apparaît, la notion encore floue de l'abstrait. Il m'est impossible de la définir et de la partager. Elle fait partie intégrante du beau. Les couleurs m’émeuvent. L’intensité du rouge du crépuscule, le caractère pénétrant des rayons jaunes de soleil, la vigueur vert émeraude de ces nouvelles prairies, l'obscurité bleu- mauve des sous- bois capables de dégager un concept de modernité certaine nous éloignent définitivement de la vie terne du monde cavernicole. Mes yeux ont entamé un processus qui ne s'achèvera jamais. Merci Déesse. Que c'est beau! C'est à ce moment- là que l'art m'envahit à tout jamais et que mon regard se projette dans la contemplation, ce qui modifie d’une manière intrinsèque ma personnalité. Je constate que la nature est fondamentalement artiste et que son infimité crée l’abstrait. J’observe les coins et recoins qui m’entourent, comme si un zoom imaginaire les agrandissait. Ils n’ont aucun sens. Ils ne sont ni montagnes, ni rivières, ni vallées qu’on ne peut constater que de loin. C’est ainsi que j’imagine la multiplication de ces parties dépourvues de réalité, côte à côte, et l’apparition visuelle et progressive de la dite nature. Cette considération m’amène à penser que l’infime a créé l’immense et que l’abstrait est le père du concret. Emariz n’y serait donc pour rien, à moins qu’elle soit profondément artiste et capable de créer la nature. J’éloigne cette pensée intemporelle qui pourrait m’amener à penser que la cosmologie est la mère de l’art, de la nature et de l’univers terrestre. Il est trop tôt pour m’y pencher sérieusement.
Mes amis me regardent étrangement car ils se demandent ce qu’il m’arrive. Ils ne perçoivent pas du tout la nature comme moi. Pour eux tout ce qui n'a pas de relation directe avec la nourriture, l'eau et le côté pratique de la subsistance ne présente aucun intérêt. Moi, au contraire, je suis devenu un praticien de l'art et je suis bien incapable de leur démontrer que ma vie s’est transformée. Seule une des trois femmes restantes semble le comprendre et prête attention à mes regards hagards. Les ravins et les scissions ont réduit inexorablement la population de la tribu. Je me sens absent. Je m’isole. Je ressens le besoin absolu de sensibilité féminine. Les enfants aussi. Ils n'ont plus de mères, de tantes et d'amies. Ils les ont vues mourir. L'amour a été attaqué. Les trois seules qui nous accompagnent proviennent du dernier ravin. Plongé dans mes pensées le mot BAKAR (seul en basque), issu de B ! et d’AR (Haut et mâle) surgit dans mon esprit. Il pourrait signifier le rêve, la déambulation de l’esprit dans les hauteurs.
Où sommes- nous ? Loin, sans aucun doute. Nous avançons comme des émigrés égarés sans racines, envahis par la nostalgie et le mal du pays. Celui de la grotte? Parfois. Non, surtout pas, ce serait avoir évolué sans perspective d’avenir. Nous nous asseyons au bord de l'eau. Elle est fraîche et nous désaltère. Notre moral en a besoin. Nous sommes éreintés. Nous nous endormons et reprenons nos forces.
Tout à coup, des cris nous réveillent. Des hommes, des femmes, une tribu inconnue avance vers nous. Nous sommes prêts à les combattre. C’est la première rencontre depuis l’abandon de la grotte et la chute dans le ravin. Il faut être prudent. Nous nous souvenons du massacre provoqué par l'ours.
Moi qui avais perdu l’espoir de rencontrer quelqu’un depuis tout ce temps. Je ne croyais presque plus à la présence d'autres peuplades or c’était inconcevable que ce long chemin sauvage vers la mer soit unique. AL me revient à l’esprit. Il s'était engagé vers l'inconnu en franchissant ces montagnes. Est-il toujours en vie? A-t-il rencontré d'autres gens? Leur présence me le fait augurer.
Nous nous cachons derrière des rochers pour les observer. Ils n'ont pas l'air d'être menaçants. Ils descendent la pente lentement. Nous ont-ils remarqués? Bien évidemment ! Je remarque alors l’entrée de la grotte qu’ils viennent de quitter. Seraient- ils encore cavernicoles ? Comment comprendre un tel retard? Tout le parcours que nous avons entrepris depuis la rivière tumultueuse m’a semblé éternel. L’eau, les ravins, la forêt, les arbres, les escargots, les insectes, les oiseaux mais surtout notre langue...Et voici que des attardés occupent encore la colline engouffrés dans le passé. Comme des individus métamorphosés par le temps écoulé, ils nous scrutent étrangement. Ils ne sont pas étonnés de nous entendre parler. Bizarre pour des occupants habituels d’antres primitifs. Je me dis que nous pourrions éventuellement en tirer profit. Plus ils s'approchent plus leurs cris sont perceptibles. Il y a beaucoup de femmes. Quel bonheur! Leurs regards sont doux et chaleureux, peut- être même en quête de sensibilité. C'est du moins mon interprétation. Je souhaiterais l’intervention immédiate de la voix pour m’expliquer leur raison d’être. Je les observe. Aucun doute. Les femmes dominent leur société. Comme la notre auparavant. Avant l’ours. Elles accaparent mon esprit. Le désir sexuel s’empare de moi. Elles m’attirent. Mais elles ont l'air démodées, dépassées, d'une autre génération, hors du temps. Les hommes ont l’air rustre. Dépourvus d’agressivité masculine. Simplement sur leur garde. Nous nous en approchons lentement. Le contact est sensitif. Nous nous regardons, nous sentons, nous touchons, nous palpons. Ils forment un groupe d’une quarantaine d'individus. Inexplicablement, la présence des femmes semble augmenter leur nombre réel. Elles sont belles et jeunes. Les hommes se mettent à grogner de jalousie. Les gestes apaisants des femmes les calment. Elles nous expliquent à l’aide de gestes et de cris qu'ils habitent tous dans cette grotte. Étonnant car ils ont les mêmes attitudes que nous et font mine d’être dotés de parole. Je prête l'oreille. Je comprends ce qu'ils disent. Pas tout. Leur langage est semblable au notre. Issu du IZ. Ont--ils fui le ruissellement des eaux comme nous? Ont- ils vécu notre même expérience? Cela me paraît impossible car ils occupent toujours la grotte. L'idée me vient qu'ils l'ont réintégrée par nécessité. Peut- être par amour de la tradition. Inconcevable. Comment ont-ils pu vivre notre même expérience sur cette plaine et sa colline à pente douce? Sont- ils d'une autre génération, d'une autre ère? Une de mes interrogations passées serait- elle sur le point d’être résolue et la date de nos aventures perdrait- elle maintenant toute l'importance que je lui avais prêtée. Ils ont éventuellement vécu une déglaciation précédente à la notre. Peut- être Riss ou Mindel et ont traversé plus de temps que nous en franchissant une multitude de ravins. Leur présence ici semble l'indiquer.
Soudain, je les entends prononcer des sons labiaux, notamment le M, EME ( femme en basque). Je saisis sa signification immédiatement. Il se réfère aux femmes, à leur féminité. Je m'entraîne en serrant les lèvres fortement. Mma, Mme, Mmi. Que c'est beau! Une femme me regarde faire. C’est Emiz. Quelle émotion!
Leur langage est aussi évolué que le nôtre. Ils maîtrisent des sonorités qui nous sont inconnues. De la même manière nous leur apprenons de nouveaux concepts. Je réalise rapidement qu'ils utilisent le I pour indiquer la mort, comme nous. Nous leur fournissons le L. Formidable! Après notre IZ, leur IL vient clore la boucle. Un grand nouveau concept commun est né. L’oubli fait partie de notre vie. Nous ne nous rappelons même pas que nous l’utilisons déjà. IZTIL, URIL (la flaque, la mare, l’eau morte), par exemple, IZ eau, IL morte (la flaque, la mare) ou IZIL (silence),Hitz hil,(parole, mot mort ou encore salive morte ou bouche fermée) IZOLA( l’ averse). A vrai dire nous avons créé tant de mots que nous sommes incapables de nous en souvenir exhaustivement. IZAINA( la sangsue) IZ -ZAIN ( la veine pourvue de liquide ) me revient alors à l’ esprit, IZDAN pour dire EDAN( boire) IAN( manger). Parfois leur langage a l’air d’être plus développé que le nôtre car ils ont couramment recours au verbe qui n’était qu’un embryon de langage chez nous.
Cette femme me regarde souvent. Moi aussi. Mon érection attire son regard. Elle m’aide à comprendre l'explication d' IZAKIL–ZAKIL( le pénis en basque). IZ eau, vie, AK ( encore inconnu) et IL (l’ après vie) ou encore BARRABIL (testicule) B! ARRA( mâle) B! IL. Je suis interloqué par l’emploi d’ALU. Il définit ses parties génitales. L’AL ne me surprend pas mais je bute sur l’ U. Il n’est pas de notre monde. Quoiqu’ il en soit, nous copulons.
Grâce à eux, grâce à nous, notre langage, notre langue commune avance à grand pas. IZ, L, B, N, G, Z, D, M, AR, AI, UR. Ils forgent notre avenir comme nous le leur. Cependant, deux conceptions de la vie nous éloignent. Ils n'ont pas de but précis et notre rencontre leur suffit. Ils veulent nous sédentariser dans leur grotte. Il n’en est pas question. Nous en sommes issus. Ils nous expliquent qu’ils l’ont regagnée comme abri, par besoin de protection. C’était la raison de notre vie passée. Il s’agit là de différents importants. Néanmoins j'entrevois que nous sommes tous issus du même tronc. Trop de similitudes nous rassemblent. La coïncidence géographique tout d’ abord, nos langues voisines, nos traits physiques. Nous formons le même peuple. Encore davantage maintenant car nous ne nous quitterons plus jamais. Nous le savons tous. Je me dois de leur expliquer ma mission et la voix de la sagesse qui me guide. A qui me confier? Aucun doute à ce sujet, à Emiz. Elle ne semble pas surprise.
Toutes les femmes tombent rapidement enceintes. D'eux, de nous, de tous. La population augmente. Elle est équilibrée. On retrouve tous le sourire ainsi que l'envie de vivre. Comment aurait-il pu en être autrement? Nos vies ont changé. Je suis apaisé. Je me pose souvent la question de savoir si au même titre que nôtre nouvelle peuplade unifiée, d'autres ethnies seraient en mesure d’occuper les territoires environnants et de créer des regroupements comme celui que nous avons vécu. Ce serait un destin extraordinaire qui nous permettrait de constituer définitivement un peuple à part entière, une ethnie dotée d’une langue, d’une culture et de traditions. Le peuple basque. Mais pour atteindre ce but il nous faut quitter ces lieux et les convaincre de nous suivre. La sédentarisation dans cette grotte de malheur ne nous apporterait rien de bon si ce n’est un retour au passé et le reniement de notre avancée fulgurante en refusant la modernité. Notre acquis de connaissances doit être sauvegardé et enrichi par de nouveaux apports. Partons vite!
Les grossesses et accouchements successifs nous retardent beaucoup. J’en profite pour renouer avec la création et la consolidation linguistique.
IZOR (enceinte) de IZ! VIS! OR! Là.
ORIZA, ORITZA, (le petit lait)
IZNE, ESNE (le lait)
IZUR ( couler)
IZERDI( transpiration)
IZPE : l’aine ( PE = bas, sous l’eau)
IZTOKI : Parties génitales. (Lieu d’eau)
IZTA : la cuisse
IZTU : Saliver
IZAR IZ AR(l’étoile, la vie d' en haut)
GIZON, G IZ on( l’ homme)
IZAGU, EZAGU ( connaître) IZ et GU
ainsi tous les mots renfermant un mystère et contenant le L,
ALU( sexe féminin) ILUN( obscurité) IL( mort) LO( dormir) ISIL( se taire) LIZUN( sexuel)ILOR( avortement)IZIL (silence,) IZAL( ITZAL, ombre ou éteindre)....Un nouveau mot IZKILU me laisse pantois, il signifie le passage de la vie à la mort et pourrait se traduire par arme.
Le L nous réserve décidemment beaucoup de surprises. Je réalise que la présence de femmes favorise la création de tous ces nouveaux concepts. J'aurais aimé savoir si la tribu rencontrée aurait pu croiser d'autres peuplades qui les auraient enrichis comme nous. Je manque d'interlocuteur pour l'apprendre car ils n'ont pas de guide et personne ne tient mon propre rôle dans leurs rangs. Emiz peut- être ? Ils vivent au jour le jour et ont oublié avoir franchi des ravins innovateurs. Pourtant... Ils n’ont pas pu acquérir leur vocabulaire du jour au lendemain. Leur trajectoire est semblable à la notre mais ils n’en savent rien. J'aurais voulu connaître les véritables raisons qui les ont poussés à rejoindre la grotte. Considéraient- ils ainsi que la route vers la connaissance était parvenue à sa fin? Il me faut l'élucider.
Je suis convaincu que le caractère nomade de notre parcours nous a énormément aidés dans la découverte du monde. Ont- il vécu cela eux aussi auparavant et occupent-ils cette caverne par choix et non plus par obligation. Ils l’ignorent. Je les vois comme installés dans un Beverly Hill, une colline où l'habitation a une vue imprenable sur la vie, comme dans un hôtel qui les abriterait la nuit pour n’en sortir qu’une fois le soleil levé. Est-ce la réponse à mon interrogation et attendent- ils patiemment que les tribus à la découverte du futur passent devant leur demeure pour les engloutir paisiblement en acquérant leurs apports et transmettre les leurs? Ils ont un avantage notoire, l'éloignement du risque et l’absence de ravin. Cependant, ils ignorent que malgré le danger, les ravins sont essentiels pour l’évolution des peuples. Emiz m’appelle. Je la rejoins. C’est le moment de lui communiquer ma décision. Va- t- elle me suivre ? Je lui avoue que nous allons poursuivre notre chemin et la prie de ne pas perdre cette occasion d’enrichissement. Elle hésite. Elle a besoin de réfléchir. Elle s’éloigne pour en faire part aux siens. Les hommes ont l’air ravis car ils pressentent leur confort dans la grotte et entrevoient une vie paisible en poussant les plus jeunes vers la nouvelle vie. Il n’y a pas de place dans la grotte pour tout le monde. A vrai dire, ils en ont bien profité mais y sont trop nombreux. Les femmes valides et sans enfants en bas âge acceptent notre proposition. Emiz les a convaincues. Un des hommes, fier de sa décision stupide de rester dans la caverne, me toise avec mépris en faisant des gestes menaçants à mon égard. Il considère que ma démarche est incongrue et dépourvue de bon sens. Quoi de mieux que de s’installer au chaud dans la grotte, tout près d’une rivière et d’une forêt pense-t-il. Dans le fond, il n’a pas tort mais il ignore que le destin nous hèle. Sur le ton de la raillerie il souhaite connaître la direction que nous allons prendre. Quel imbécile. Comme s’il y en avait plusieurs. Il ne sait pas encore que le sens des cours d’eau est révélateur. Il me fait penser à AL.
Lors du dernier repas commun, un des hommes prend la parole pour dénoncer en public mes soi- disant pouvoirs surnaturels, comme si un être suprême me les avait inculqué de ravin en ravin. Ahuri, je me demande si ce n’est pas une manière de nous dire qu’eux aussi ont franchi des précipices et qu'ils ont sciemment choisi à présent de se sédentariser dans cette caverne. Serait-il le seul à s’en souvenir ? J’ai l’impression qu’il s’agit là d’une attaque en bonne et due forme que son seul dessein est celui de me ridiculiser devant les femmes. Il s’est toujours avéré sceptique en refusant d’accepter notre avancée linguistique dans son vocabulaire restreint. Il s’exprime assez mal et j’ai du mal à comprendre son discours. A moins que je fasse un blocage et refuse inconsciemment de saisir ses paroles. Pourtant, il emploie le verbe à bon escient et cela devrait me suffire.
L'heure du départ approche. Nous nous mettons en colonne pour démarrer. Leurs bébés dans les bras, les femmes qui ont choisi de rester versent quelques larmes. Emiz est à mes côtés. Je me souviens du départ forcé de la caverne. Les femmes et les enfants en étaient ravis. Pas les anciens. Le phénomène se répète. Aujourd’hui le risque est moindre. Des deux côtés. Moi, je suis heureux de poursuivre ma mission. J'ai le sentiment qu’eux aussi sont habitués à ce genre de départs. Je me trompe sûrement.
B.
Les élèves attendent impatiemment le cours de topograghie car, à la fin du précédent, le professeur leur a dit que l'étendue géographique occupée par un peuple s'identifie le plus souvent grâce à la toponymie et celle de leur contrée ne leur est pas inconnue. Passionné par la matière, il se lance dans des explications qui relient géographie et linguistique et il essaie ainsi de leur montrer la grande importance du son IZ dans la toponymie basque. Sa présence incalculable dans les noms de lieux surprend les jeunes qui se rendent compte du bien fondé de la théorie. Son exposition insiste sur le fait que tous les mots exprimant une idée d’eau, de cours d’eau, de boue, de marécage ou d’humidité contiennent le son qui leur est à présent familier. C'est curieux de l’entendre défendre sa propre thèse jusqu'à envisager le basque comme l'une des langues pré-indo-européennes fondatrice des langues anciennes. Pour cela il se base sur des mots latins YBIS (eau) qu'il attribue au basque IZ. Il pense alors à IBAI- IZBAI. Tout porte à croire que les deux sons seraient apparentés, car IZBAI, rivière, (IZ eau, AI qui descend) est issu de la même logique que YBIS. Le B impératif lui rajouterait une dimension théologique. Pour corroborer son hypothèse, il choisit d’autres mots en M comme AMA (mère) et EME ( femme, femelle),dont le M labial fait penser au MUSU- ( museau) MUXU(bisou). Il les compare à ceux d’autres langues anciennes post-indo-européennes où la même tendance se fait sentir. Il ne s'agit pas pour lui de se perdre dans des conjectures sans intérêt pour les élèves et bien éloignées de l’étude topographique mais bien d’analyser des phénomènes linguistiques qui rapprochent les langues anciennes dans des concepts fondamentaux. MAMAN, MAMA, MUMMY, MAMMA ou encore MAMÃE pour dire mère, AMA en basque, langue bien plus ancienne que toutes les utilisatrices du M maternel, dont MATER.
-Écoutez bien- leur dit- il- MATER, en latin, MËTÊR en grec, MATIR en slave ancien, MOHDIR en albanais, MOHDIR en islandais ancien, MAYR en arménien, MUOTER en germanique ancien, MOTE en lituanien, MOTRE en irlandais ancien, MATAR en sanscrit. Et j’en passe. D' où pensez- vous donc que puisse provenir ce M commun si ce n'est d'une autre langue d'origine que le latin ou le grec? D'où leur provient le concept de maternité résumé dans le M? Pour moi, aucun doute n’est possible. C’est bien une langue mère qui le leur a fourni. Sûrement le basque millénaire-
Les élèves suivent le cours bouche bée.- Écoutez bien, dans la plupart de ces langues, beaucoup de noms de lieux indiquant un concept d’eau contiennent ce phonème et la toponymie nous le démontre clairement. Observez le nom de nos province, l'une BIZKAIA formé de IZ et de AI puis de KAI (kaia veut dire port, l'eau qui descend jusqu' au port).Et ne me répondez pas que ça pourrait venir du quai, du mot ancien normand ou du gaulois CAI ou encore du gallois CAE car immédiatement après avoir acquiescé je vous demanderai l’origine de ces mots dans ces idiomes. Par comble ils se traduisent dans ces deux langues par banc de sable, bien proche de l’eau.
Combien de noms de villes et villages biscayens ne contiennent-ils pas IZ, que ce soit à l'intérieur du mot ou à la fin- Écoutez:
Ispaster, Berriz, Laukiniz, Lemoniz, Muskiz, Gordeliz,
Fruniz, Gautegiz, Nabarniz, Gizaburuaga, Urduliz, Lizama
(lezama)...
Observez la présence de ce IZ( UR) toponymique en Navarre,
Izu, Iza, Enderiz, Goizueta, Leiza, Urdazubi, Urzama,
Lizarra, Urantzia, Murtxante, Auritz, Izaba, Oiz, Arroniz,
Munárriz, Aniz, Orbaizeta, Aoiz, Ostiz, Eskiz, Arizkun,
Izpegi, Bertiz, Olaiz, Agoitz, Zizur, Biurrun, Lizagorria,
Ziriza, Elizondo, Izagra, Astiz, Oharriz, Arruiz, Uizi,
Lizasoain, Arraiz, Iraizoz, Lizarra, Lizaso, Lizoain,
Orisoain, Oloriz, Iscar, Iso, Izco, Oteiza, Itoiz;
Étonnant n'est- ce pas? Ou encore les mots terminés en OZ( froid)
Leotz, Erriotz, Oroz, Arraiotz, Imotz ,Lekaroz,
Almandoz, Urroz, Zangotza, Izoz, Urdanotz, Azpirotz,
Alkoz, Zenoz, Oronoz, Bidangoz, Ustarroz, Oscoz,
Imizkoz, Larraioz, Madoz, Galdurroz, et bien d'autres.-
A l'écoute de ces innombrables exemples, certains élèves commencent à s’en lasser, mais peu importe, la démonstration n'est pas terminée:
Vous savez, certains linguistes ont assimilé le OZ final à OSSUM, suffixe aquitain, comme si la langue d'Aquitaine était plus ancienne que le basque. Observez ces mots landais, Issos(eau froide) Biscarrosse ( pente froide en basque), ou encore les mots bearnais, Navarros,(Navarre froide), Giscos ou gisaossum.( eau froide).
Que dire de notre troisième province le Guipuzcoa, GIPUZKOA dont l'origine pourrait être GIZPUR de G, nous, IZ et UR( eaux) et tous ces noms de lieux du Guipuzcoa contenant IZ
Ordiziatik,Itziarrera,Albistur,Ormaiztegi, Itzurun, Istiña, Itziar, Iztueta ala Alkiza, Lizartza, Abaltzisketa, Itsasondo ou encore Jaizkibel, Ibarla( izbar),...”
-En Alava, quatrième province basque, poursuivit- il, Gasteiz, Argomaniz, Estibaliz, Argandoniz, Albeniz, Izarra, Ariz, Arizaharra, Zurbitu, Apellaniz, Ibisate, Gordeliz, pour la plupart en IZ, suffixe localisateur aqueux.
Ici, au Pays basque nord, Zibero, de Izbero,( eau chaude en basque)Isturitze, Aiziritze, Isturitze, Izpura, Izura, Ainhize, Zalgize, Oskix, Akize, Bardoze, Barkoxe, Bizkarrotze, Araotze, Uztaritze, Bizkai, Itsasu, Gixune,Lapizketa, Lohizune, Miarritze... et bien d’ autres… Je relève que de nombreuses appellations toponymiques sont directement liées au vocabulaire courant aqueux : IZPURA, un étang, IZKIN, une tempête de mer, IZPEGI, lieu d’où on voit la mer.
-Observez les conclusions de l'un des chercheurs les plus prestigieux basques, Luis Mari Mugica qui attribue ces IZ placés en fin de mot comme le reste d'un génitif locatif d'origine latine. Jusque là, d’ accord. D’autant plus qu’il précise que tous ces mots désignent des lieux aquatiques, où l'eau se déverse, coule ou stagne. La coïncidence est troublante surtout lorsqu' il insiste sur le fait que la présence de ruisseaux ou de rivières définit le mot terminé en IZ ou en OZ (eau froide). Dans ses recherches, il n'en attribue pas l'origine au IZ basque mais au fait que les bateaux romains qui y entraient. J'aurais aimé qu'il puisse lire ma théorie car cela l'aurait éventuellement amené à ne pas s'arrêter au latin mais à remonter à une origine encore inconnue encore. Pourquoi pas au basque? Ce son IZ est quand même perturbateur, n'est- ce pas,- ajouta-t-il.
-Sachez aussi que dans ses recherches, il insiste sur la morphologie du féminin basque créé au Moyen âge car avant cette date il n'y a jamais eu de différence de genre en langue basque, sauf pour certains mots ou dans des zones dialectales les plus septentrionales. Et ce féminin apparaît sous forme de IZ, Lopeiza, Otxoiza, Martiza, Saustiza, féminins de Lope, Otso, Marti et Sausti . Iz, isa, ixa..... ou encore les mots comme artzaintsa, errientsa, la bergère( artzain, itsa) ou encore la maîtresse (Erien itsa). Il est quand même troublant de retrouver IZ dans la féminisation des mots, surtout après avoir compris que la création de la langue à partir du IZ aqueux inclut des éléments féminins conçus à partir de l'eau et de l'humidité propre à la femme, aussi bien dans son intériorité sexuelle que dans sa perte des eaux. -Souvenez vous de EMIZ- leur dit-il .Compte tenu de leur âge, les élèves écoutent tout cela avec intérêt, surtout ce qui concernait la sexualité quelque peu tabou encore à l’école.
- Quoiqu' il en soit, il est clair que les syllabes IZ et UR sont des désignations essentielles pour définir l'eau et il serait intéressant d'analyser tous les mots qui dans d'autres langues signifient la même chose. Imaginez: Islandia, Irlanda (la terre maritime) Istri, en Iran, au Pakistan, en Egypte et en Turquie et d' autres villes et pays tels que Istanbul, Iznit, Tlibissi, Tabriz, Ispahan, Dizful, Nysa, Issos, Issyk, Istria, Israel, Iskenderum, Islam, Islamabad, Tisza, Pisidia, Sais, Ischia, Ismailia, Izmir, Benizli, Izmu, Bisayas, Cris, Timisoara, Missolongi, Sysran, Nicea, Licea, Iskar, Cisik, Misr dans des langues diverses, mais aussi Styx( le ruisseau de l' 'enfer,en arabe egyptien)...Que dire de l’ italien avec Iztalia, Sizilia, Misena, Isthmus, Issus, Isonzo, Iseo, Pisa, Portizi.
Le suffixe EZ, espagnol et variante de IZ, comme dans Gonzalez, Martinez, Sanchez, Lopez ou Galindez indiquerait aussi le lieu humide. Je terminerai mon énumération par Maismisia, Lisia, Istan mots constants en Asie continentale, ou encore les mots comme Pakistan, Aphganistan, Kurdistan, Kazakhstan, Turkmenistan, , Uzbekistan, Kirgizistan,Tadjikistan et Tunis,Tingis (Tanger), Zarzis, Bizerta, Biskia, Cisjordania, Cisleitania, Ischgl, Bizkia, Olisipo,Misia, Lisia, Istan et Isar fleuve allemand, tous ces noms de lieux dont le IS est un suffixe localisateur au même titre qu’en latin ou dans d’ autres langues.
J’affirmerai donc d’une part que l’onomatopée IZ si commune au basque est une sonorité liée à l’ eau et à la situation géographique fluviale ou maritime et qu’elle a pu contribuer à créer un vocabulaire commun et d’autre part que le ruissellement des eaux engendre la même onomatopée partout, ce qui ouvre énormément de portes à l’ origine de ces mots.-
Ainsi, prend fin le cours sur l’évocation de quelques mots servant de conclusion, Piscis, le poisson en latin, Mistral, le vent maritime méditerranéen et Isca, un appât pour le poisson en portugais. Manquent les trois autres noms qui lui tiennent à cœur, celui de la déesse de la fécondité Ishtar, correspondante à Vénus chez les assyriens et babyloniens, son homologue chez les phéniciens, Ashtar, et les noms grecs d’Ischtar assimilée à Aphrodite, Istarte, Astarte.- Observez quand même qu’en Assyrie, la fécondité est signifiée par IS et par AR ? - Je vous en dirai davantage la semaine prochaine-
dit- il en rangeant ses affaires.
Il lui manquait plusieurs éléments à sa démonstration qu’il leur révélerait dans huit jours. Il les avait tous déjà à l’esprit, par exemple le fait que les dictionnaires latins ne relèvent jamais l'étymologie de ses mots, comme le font logiquement les dictionnaires français ou espagnols. Létude linguistique s’arrête trop souvent à ces langues dites fortes par méconnaissance absolue des plus anciennes pré-indo- européennes et de l’influence qu’elles on pu exercer sur leurs descendantes. Pourquoi omettre le basque qui est bien vivant encore de nos jours et dont la présence est avérée il y 5000 ans. Les raisons sont peut- être d’un autre ordre. Le basque ne nie pas le rôle du latin dans sa propre subsistance et que son influence a sûrement facilité la sauvegarde de l’euskara en le préservant d’une disparition irrémédiable. Il est prouvé que le latin a enrichi et modernisé le basque en temps voulu, poursuit- il.
-D’autres mots latins comme Quis( qui) nous interloquent, ainsi que l' ablatif localisateur, et puis Aquis et Aquais ( l' eau),), Pistrix,( la baleine) Viscus et Viscerus, les visceres. Que dire des mots grecs Idis,Acis, Chalis ......
Il leur mentionnera aussi quelques mots en Ligure, peuple pré- indo-européen du nord de l'Italie que les linguistes situent au même degré temporel que le basque et dont la langue du même nom, issue du mélange du celte et de l' italien antique laisse apparaître des suffixes en ASK et OSK( asque et osque) similaires à ceux qui définissent les mots BASQUE,VASCON,VASCO,GASCON ou OSKIX,OSKIZ( col souletin), ou encore LASCAUX, sûrement issu du mot basque LASKOZ( bask hotz).
La mythologie viendra compléter sa démonstration avec des noms comme ISMENA, la fille d' Œdipe, ISIS et OSIRIS, déesses des croyances grecques, ISHTAR dieu du ciel des sémites, ISEUT, et puis pour finir en beauté KRISTOS, qui donne Christ et Cristo, sans oublier ISAAC, ISMAEL, MOISE. Le sourire aux lèvres, il rajoutera le mot ARTISTE.
Il leur exposera aussi que la France n'a pas été épargnée dans le vocabulaire aquatique. Isard, animal des Pyrenées, le lac Issarles , la rivière Baïse, Issy, ville aux confluents de la Seine, Isse ou Issard, Issé, Issey, Issancourt, Issenhausen, Ids et Ifs, Eix, Liz transformé en Lez en Garonne, rivières, fleuves ou villes au bord de l’ eau. Et puis toujours dans le même domaine Izaourt, Arise, Is, Bischeim, Lisburg, Issoire, Issigeac, Issanges, Issans, Les Eyssies, le ruisseau Lis, les villes et villages Issehan, Isberg, Anniissy, Isles, Cisieux, Lisieux, l'Aubisque pyrénéen, Bisorte dans les Alpes, Isola, Lisola Eix, les rivières Arise, Isches, Ister. Que dire de Is Feroe, Is Orcadia, is Shetland, ces îles ( isla) dont le nom est composé du même son, sans parler du Missouri, du Mississipi ou du Mistassini américains et des mots indiens Iguazu sûrement issu d‘ Izgoazu ou encore Uruguay de UR, et Ai eau qui descend( AI)...
Comme s’il s’était trouvé dans son séminaire annuel linguistique à Arizkun, le professeur adore entremêler réalité toponymique et humour, ce qui atténue parfois le scepticisme des jeunes élèves non spécialistes en la matière. Lors d’un prochain cours, il leur révélera son intention de créer une nouvelle langue qu’il s’apprête à inventer afin de corroborer son hypothèse. Ils en sourient gentiment.
A
Avant de quitter les lieux et malgré le danger latent de la présence d'un ours, il me faut examiner leur grotte de fond en comble afin d'en tirer des conclusions en relation avec le temps. A l’instar de notre vie cavernicole d’antan, ils occupent la voûte principale mais le fond de la caverne me révélerait-il d’autres éléments essentiels sur leur cheminement ? Refusant de me laisser y entrer seul, l’un d’entre eux m’accompagne. Plus je m’enfonce dans la grotte, plus les souvenirs s'emparent de moi. Mon père, mon fils, AL et tous les autres. Refusant de retomber dans le passé, je me désiste car j’y retrouve tous les éléments anciens disparus, depuis la zone d'atelier jusqu’ à celle d'inhumation. Ces espaces avaient une raison d’être dans l’ère glaciaire avant le réchauffement du climat et la prédominance de la vie extérieure. Plus maintenant. Une seule et unique chose me préoccupe, la friabilité des parois. Avant de sortir je saisis une pierre par terre et je m'aventure à faire un dessin sans grande signification sur le mur intérieur exposé vers le nord, aisément repérable par son humidité. Je trace quelques formes de volumes basiques, sans aucun sens figuratif. Que pourront penser les futurs anthropologues à la vue de cette forme abstraite à côté des dessins pariétaux réalistes ? Seront-ils capables de penser à un peuple ayant traversé le temps? Juste à côté de la nouvelle forme étrange que je viens de tracer, j’aperçois plusieurs animaux, un bison semble-t-il puis narguant la petite voûte artistique, le dessin d'un homme nu, la tête baissée, posant devant une belle femme que l'on distingue parfaitement. Il s'en dégage un sentiment d'exhibitionnisme. J’ai du mal à saisir la raison de ce dessin érotique car il ne correspond pas à la réalité de l’époque glaciaire. Comment faire pour dater cette œuvre d’art, des animaux chassés en battue y figurent tout près. Seraient-ils plus tardifs et inspirés de la vie extérieure car toute vie glaciaire dans ce secteur géographique me parait exclue ? A vrai dire, je doute.
Je m'assieds sur un rocher surplombant la caverne et me lance dans des cogitations sur la tradition et l'éphémère. Ce dernier a deux issues, se transformer en coutume avec le temps ou être voué à sa disparition totale. Le dessin n’est parvenu ni à l’un, ni à l’autre. Apparemment, il a été perdu à jamais et séjourne au fond de la grotte sans aucun avenir immédiat. A t-il encore l’espoir de devenir vestige et tradition et échapper ainsi à sa destinée volatile ? Malgré son âge, demeurera-il éphémère jusqu’à sa disparition définitive? Je souhaiterais abandonner ces idées qui m’égarent de mon destin mais je suis conscient que je suis ce dessin et ce mur qui subsiste depuis des millénaires et que mon essence n’a rien d’éphémère puisque je suis encore vivant. Je me demande si je mourrai un jour. Je n’en ai nullement envie puisque je ne vieillis pas.
L'état de notre langue effleure mon esprit et l'abandon de la grotte antique me rappelle tous les événements qui lui on été inhérents. Je suis conscient des modifications profondes indispensables pour avancer dans le temps et du changement du climat qui en est la raison primordiale. Je pense à Hyacinthe. Dans le fond, nous ne sommes pas maîtres de notre destin, c’est une affaire de climat. Même notre langue en dépend. Pas son évolution. En partie. Encore faut-il être capable de s’en rendre compte car les espaces temporels entre les changements climatiques et leur lente évolution permettent de se sédentariser si longtemps qu’on en arrive à oublier les causes précises de notre présence sur terre ?
Je me mets à penser qu'une nouvelle glaciation nous replongerait dans la grotte mais qu’un réchauffement anormal du climat nous décimerait tous par la montée des eaux ou par des feux généralisés dans les zones déjà torrides. Quel qu’en soit le cas, nous en arriverions à perdre toutes les avancées humaines, géographiques et linguistiques. Faute de nature nous perdrions aussi celles d’ordre artistique. Une nouvelle guerre. La Guerre. J’imagine ce que pourrait être une guerre due à une attaque biologique. Le silence. Celui dû au confinement. Seuls s’exprimeraient les sujets impossibles à confiner. Du côté de la mer, les oiseaux qui reprendraient la maîtrise des lieux et berceraient les flots de leur cris perçants, à la campagne, les animaux qui redonneraient une vie nocturne à la forêt. Le silence vivifierait le son.
Les ravins, les précipices, les rencontres nous ont fourni une nouvelle vie et notre métamorphose est due au climat tempéré dont nous sommes tributaires. Le hasard n’existe pas. Du moins, pas dans l’essence. Peut être dans l’éphémère. Les erreurs humaines ou cosmiques peuvent transformer la vie en tentant d’y forger la tradition. Encore une fois, l'éphémère et la coutume s'affrontent. Ces pensées me comblent de bonheur. Le dessin que j'ai abandonné pour la postérité également…
Enfin ! La voix de la femme mystérieuse se fait entendre et me ramène à la réalité. Nous descendons de la butte. Les cavernicoles traditionnalistes qui en secret nous prennent pour d'audacieux aventuriers se réjouissent de nous voir enfin quitter les lieux. Emiz est toujours là. J’observe ses yeux bleu-verts envoûtants. Elle a confiance en moi. J’imagine sa voix sourire. Me l’aurait-elle offerte afin d’assurer une descendance responsable? Je réalise que ma mission prend une tournure différente car pour la première fois j'entraîne des personnes sédentaires dans notre voie encore inconnue. Adieu !
Le temps passé ne compte plus. Nous reprenons la marche. De temps en temps nous séjournons dans des lieux propices à la nuit. Emiz et moi ne faisons qu’un. Parfois, je regrette la sédentarisation et le caractère bourgeois de la grotte. Grâce à eux je deviens un être plus humain, loin d’eux je suis un bohème à la découverte du monde, l’avancée irrémédiable de l’homme et la perfection de sa langue. Je préfère poursuivre la route. Avec Emiz. Elle m’aime, me conseille et m’apaise. Elle m'empêche de douter. J'ai confiance en elle. Je la fais exclusivement mienne. Elle me fait sien. Son prénom EMIZ m’enchante, issu du M féminin, EME (femelle) ou AMA (mère) sons auxquels s’ajoute IZ, l’eau, la vie. Il renferme tous les concepts qui me tiennent à cœur. Je regrette de ne pas l’avoir inventé moi- même. J’aurais pu.
Le temps s’écoule et elle enfante plusieurs bébés qui dans ses bras émettent naturellement le son MMMMM et un peu plus tard MMMA, onomatopée du muxu, (action labiale d'embrasser). Les mots MAITA, MAITE ( ammmmmour en basque) apparaissent, puis un peu moins fémmmminin, AITA. Je suis persuadé que plus les rivières grossissent en se rapprochant de la mer, plus les sons sont dotés de sentiments maternels et féminins. On est bien loin des simples fornications qui n'ont pour but que d’assouvir nos envies. A présent nous aimons, nous nous embrassons et nous touchons, nous nous caressons et aimons l'amour. MMMMMM ! Elle aime faire l'amour avec moi. Je deviens son homme. Comme tout sentiment renferme ses propres contraintes, nous assistons à des scènes qui nous montrent que l’idée de possession engendre un sentiment de jalousie. Nous conservons une part d'instinct animal, surtout les hommes. La sauvagerie n’a pas disparu avec le temps, elle est simplement dissimulée sous des traits de modernité. Le machisme est instauré. Il est animalier. Emiz ne supporte pas les tentatives d'agression de la part de certains hommes. Je viens à sa rescousse. Nous nous battons. C'est la première fois que l'amour en est la cause. Souvent je l’évite et me retire. Lors de ces moments de solitude, je me mets à chantonner. Je compose et improvise des paroles, EM, IZ, EMIZ, rien d’autre. C’est mon obsession. Une des nôtres qui, à mon insu, m’a entendu chanter le même air plusieurs fois m’a demandé de le répéter. Intimidé, je balbutie juste des MMMM et des IZZZZ hésitants. Je rougis. Elle se demande si c’est inhérent à l’automne. Un vent tiède souffle du sud. Dans le ciel apparaissent des bancs d'oiseaux. Ils suivent tous la même direction et affrontent le vent qui les frappe de face. Ils sont à notre image. En les regardant je suis pris d'une immense sensation de liberté. Je ne l’aurais jamais ressentie si nous étions restés avec les autres. Poussés par la nécessité et la quête de vie, ces pigeons voyageurs sont des aventuriers. Comme nous. Mais l’instinct leur suffit pour entreprendre de longs voyages. Pas besoin de réfléchir. Leur vol se répète déjà. Tous les automnes. Je réalise qu’ils fuient le froid. Encore le climat. Je me dis que la présence de la voix est destinée à m’empêcher de réfléchir car la réflexion mène souvent à la recherche du confort. Je vieillis sans vieillir. La notion du temps ne me quitte plus et les cycles naturels se reproduisent de la même manière tous les ans. La saison est née dans mon esprit. La nuit et le jour l’étaient déjà. Le printemps, l'été, l'automne et l'hiver se distinguent nettement maintenant. Le temps passe vite. Plus vite qu’avant car notre esprit est sans cesse occupé.
D
Hyacinthe a l'air d'un gentleman anglais. De plus il chasse à courre. Sans connaître la raison de la conversation que nous avons engagée lors du séminaire d’Arizkun, nous en sommes venus à parler de la chasse et je ne retiendrai que ces mots : Contre, pour, vie, mort, hobby, tradition, écologie, marche, sport, repas, vin, fusil, coup de feu, arbre, montagne, amis, automne, palombière, quatre- quatre, liberté, aventure, bottes, cartouches, filet, accoutrement, chemise à carreaux, basque, béret, chapeau, homme, cabane, palombe, grive, bécasse, viser, coût, assiette. Un bon résumé de la chasse en Pays basque.
Hyacinthe ne lâche jamais son parapluie, plutôt son ombrelle, comme voulant se protéger autant du soleil que de la pluie. Il répète à tous vents que la beauté du climat réside dans l'eau et dans le feu, c’est pourquoi il garde toujours son parapluie. Il s'approche de la fenêtre et s’écrie :
-Eh! Le soleil!-
C’est une obsession. Il entame immanquablement ses journées en donnant des nouvelles du temps au premier passant venu. La réponse lui importe peu car il est plongé dans ses pensées d'ordre climatologiques. La phrase la plus importante de la journée l’accapare. Un existentialisme climatique. Sa raison de vivre. On dirait un néanderthalien qui aurait fui le froid et qui ne pense qu'à la douceur du climat indispensable à la vie. Il ramène tout à cela. Dans le fond, Il n'a pas tort! Il prétend que pour pouvoir débattre de nos sujets de prédilection, il faut d' abord vivre et sans climat tempéré, c’est impossible. Sans réchauffement climatique préhistorique, aucune chance de survie. La nature serait inexistante. Gare à ne pas tomber dans un nouveau réchauffement où les conditions de vie seraient exécrables à cause de la course à la performance industrielle.- Ecology. Ecology- dit- il d’un air résigné. Il m’entretient des pages de mon essai et de l’importance du climat dans l’écoulement du temps, de la prémonition annoncée dans ses derniers chapitres. Le réchauffement planétaire l’obsède et il insiste sur le fait que notre inconscient cogite souvent sur la température et sa primordialité. A chacun ses manies. Lui son parapluie et son discours, Julien les instruments de musique. Curieux. Ils s’entendent bien car Hyacinthe joue du cor dans les parties de chasse à courre. Les murs de la société gastronomique sont garnis d’instruments de musique. Il en observe plusieurs. Les autochtones, plusieurs txistu, dont un fait en bois clair d'olivier, des tambours rustiques, de vieilles baguettes en néflier, des sandales de danseurs en cuir tanné, une gaïta*et beaucoup d'autres qui n'ont aucune relation avec le Pays Basque. Julien Vinson est un spécialiste du folklore et des traditions. Arizkun l’enthousiasme à cause de son carnaval et de sa danse des pommes. La Navarre aussi. Elle a une âme.
*Gaita : instrument à vent basque
A
Après de longues hésitations, seuls les plus âgés se décident à rester dans la grotte. La décision des femmes pousse tous les jeunes à nous rejoindre. Elles se sentent soulagées. Je suis heureux qu’il en soit ainsi. Seule la consanguinité me préoccupe car nous sommes tous frères, sœurs, cousins ou cousines. Cela n’a pas l’air de leur poser de problèmes. La nouvelle tribu en quête d’avenir est formée.
Quel âge avons- nous atteint? Impossible de le préciser. Les générations se sont succédé, les unes établies par un ravin, les autres par des rencontres. De mon côté je ne mesure pas mon âge car j'ai toujours la même physionomie malgré l'expérience accumulée. Un rêve, le rêve impossible de tous les vieux. Revenir à la jeunesse avec l'expérience vécue. Moi, j’en profite car je détiens la vivacité et l'audace intrinsèque à la jeunesse liée à la sagesse de la connaissance. La voix mystérieuse m'offre une faculté exceptionnelle, celle de rallonger éternellement ma vie sans plonger dans la vieillesse. A quoi servirait de prolonger l’âge de vie pour rallonger exclusivement la période de sénilité ? Sans savoir pourquoi, j’entrevois déjà que les générations futures seront dotées d’un temps de vie nettement supérieur au notre et déplore déjà qu’il soit primordialement ancré dans la vieillesse. Moi, je vis au même âge et j’en remercie Emariz. Nous avons surmonté des précipices, perdu la notion du temps, franchi des ères millénaires sans que mes neurones se soient épuisées. Les plus âgés qui sont restés dans la caverne me font beaucoup de peine car ils vont vieillir. Avec tout ce que cela comporte. Conscients de notre privilège nous marchons vigoureusement vers notre riche destinée. La rivière marque notre chemin. Nous abandonnons le AR (le haut) pour nous lancer dans le AI ( le bas). IZBAR ( ibar, la vallée) et IZBAI( ibai, la rivière). Les oiseaux migrateurs et leurs déplacements instinctifs me viennent à l'esprit. Depuis le dernier ravin, le paysage n'a absolument pas changé, il est vert et garni de nombreux arbres. La réminiscence des escargots ne nous a pas quittés et parfois nous en mangeons encore. Nous apprenons à pêcher des poissons qui remontent la rivière. Ceux qui la descendent sont trop rapides sauf quand ils se reposent sous les pierres. De la même manière que les oiseaux affrontent le vent du sud (AIZE), les saumons IZOKIN se heurtent aux eaux vives. Personne ne les en empêche. Nous aussi affrontons l'inconnu, le destin. Les autres l’ignorent. Je suis le seul à le savoir. Nous chassons. Nos proies sont de petite taille. Des lièvres, des oiseaux, des belettes mais aussi des chèvres sauvages. Parfois du gibier plus important nous nourrit plus longtemps, notamment des cerfs et des sangliers. Nos méthodes de chasse se sont irrémédiablement transformées et nous entreprenons de fabriquer des lances, des arcs et des flèches qui nous permettent de chasser à distance. Les pièges font leur apparition. C’est l'enseignement essentiel que nous a fourni la tribu cavernicole car leur séjour prolongé dans la grotte leur avait permis d'inventer une sorte de fabrication en série d’outils qui s’adaptent au manche en bois définitif. Des haches, des burins, des grattoirs mais aussi des armes. On les appellera des microlithes.
Emiz est fatiguée. Toutes les autres femmes et leurs enfants également. Les hommes souffrent aussi mais sans l'avouer. La force et l'endurance sont leurs seuls moyens de séduction. L'originalité des techniques de chasse et l’habileté à pêcher jouent aussi. Les couples fixes ne sont pas nombreux. Je suis encore un des seuls à m’en tenir à une seule et unique partenaire. Cette pratique va devenir de plus en plus courante. Terminée la sauvagerie qui les amenait au viol. Les femmes refusent la force et combattent l'agression sexuelle. Les nouveaux fondements de la vie commune se forgent peu à peu.
Certains ont atteint un degré d'intelligence non négligeable et la méditation entre dans leur vie. Ils philosophent souvent en scrutant la lune et les étoiles, les effets de lumière dans les forêts, le mouvement des nuages ou celui des eaux dont ils contemplent les reflets. Ces attitudes représentent un danger certain. La complaisance dans la paresse.
Par malheur, c’est à un de ces moments- là que surgit une tribu à l’aspect sauvage au sommet de la butte. J’essaie de les ramener à la réalité mais certains ont perdu toute capacité à combattre. Les ennemis sont nombreux et je commence à craindre pour notre avenir. Malgré tout, leur attitude violente se résume à nous lancer des pierres. Leurs cris et leurs gestes me ramènent quelques ravins en arrière. Une pierre blesse Emar. Il faut réagir. Ils se sont suffisamment approchés pour nous avoir à portée de jet. Gizor s'empare alors d'un arc de chasse et lance une flèche qui en touche un mortellement. Tous nos hommes en font de même et parviennent à en éliminer beaucoup. Emiz et quelques autres femmes tirent aussi et leurs flèches en atteignent un bon nombre. Ils se rendent les bras levés. C’est alors que leurs femmes et enfants surgissent de derrière les rochers. Ils dégagent tous un genre attardé. Je médite sur l’évolution de ces individus qui occupent un espace bien éloigné en aval des montagnes mais qui semblent appartenir à une civilisation ancienne. Comme la dernière peuplade rencontrée, ils ont le même aspect que nous à la sortie de la grotte, à l’époque torrentielle précédant la découverte d’IZ. Si le peuple d’Emiz nous avait déjà semblé attardé, l’attitude de ce groupe de montagnards rétrogrades nous paraît invraisemblable. A l’encontre de nos préceptes, ils bravent la modernité fluviale en remontant le cours des eaux. Ma théorie selon laquelle la descente vers la mer conduirait à la sagesse et à l’intelligence s’avèrerait- elle fausse ? Les amis d’Emiz détenaient à leur façon la parole. Ces derniers crient et gesticulent bruyamment. Il va nous falloir les éduquer. Peut-être même les domestiquer. Je me rends compte qu’un guide leur fait défaut car ils ont une grande capacité d'assimilation et nous n’avons pas de mal à les convaincre de nous suivre. Quelques torrents suffisent pour leur faire acquérir notre savoir. Les femmes et les enfants sont les plus réceptifs et ils parviennent rapidement à se fondre dans notre culture.
La population augmente. Pour la première fois et à la vue du nombre important d'individus qui forment maintenant notre tribu, je réalise que je suis en présence de l’embryon du peuple basque. La voix mystérieuse me le chuchote et la douceur de son timbre me confirme que c'est le début d'une histoire commune sans fin apparente. Elle me susurre que nous allons vivre une éternité et que nous allons surmonter tous les assauts des peuples conquérants sans encombre. La mer et la montagne nous y aideront. Nous racontons notre vécu aux nouveaux- venus, la grotte, IZ, les ravins, l’ours, les rencontres, Emiz la chasse, l'art.... Eux ne se souviennent de rien. Remonteraient-ils le temps en abandonnant leur mémoire sur les berges humides ? Je n’en sais rien. Ils renferment une primitivité apparente qui m’amène à douter. Seraient-ils issus d’une vie moderne qui aurait été détruite par une climatologie adverse ? Seraient –ils une sorte de saumons remontant le cours des fleuves, des rivières et des ruisseaux pour se diriger sans faillir vers la source infime qui les a engendrés? Leur capacité à tout oublier m’émeut et je suis confus lorsqu’ils adoptent définitivement notre direction et notre manière de vivre. Je sais d’ ores et déjà qu’ils ne nous causeront aucun problème. La voix ne me quitte plus. Elle nous augure un avenir fragmenté de rencontres enrichissantes. Je lui souris. Certains me prennent pour un demeuré. Ils savent bien que non. Elle m’explique que je dois poursuivre mon travail de création quelque peu freiné par l’arrivée des criards et la paresse des compagnons d’Emiz. Je me dois de parfaire la fabrication de la langue basque sans tomber dans l’oubli. C’est la raison essentielle de notre survie, de la destinée que la voix nous a marquée. L’euskara sera à notre image, immortel. Je la remercie du fond du cœur. C est alors qu’elle me révèle son secret. La déformation de son nom. D’Emariz, son nom s’est naturellement transformé en Mari.* J'en fais pars à Emiz qui m’embrasse tendrement. Je garde néanmoins les paroles d'antan de la déesse qui m'expliquait que nous rencontrerions un jour des gens qui voudraient nous écraser et anéantir toutes les connaissances linguistiques que nous détenions. Ce moment n’est pas encore arrivé. La tribu rencontrée a été assimilée. Il est gratifiant de constater que le nombre de bascophones augmente sensiblement et que tous, immigrés ou Iziens* d’origine, ont intégré le groupe et pratiquent notre langue sans encombre. Ma mission continue. Je me dois de lui obéir au doigt et à l’œil car notre capacité de création a dangereusement décliné. Les paresseux ont influencé notre marche et je décide de la reprendre en main. Mari me conseille. Je choisis un lieu adéquat à une sédentarisation transitoire qui va nous permettre de réfléchir, d’organiser et de consolider une société où chaque personne aura un rôle précis à jouer. Terminée la paresse et l’oisiveté, finies les attitudes inhérentes à la grotte et à la vie antique. Une nouvelle vie en société voit le jour et c’est à ce moment que se fonde le creuset de notre civilisation. Chacun a son occupation, les uns s'affairent à fabriquer des armes et des outils en adaptant les pièces usinées aux divers supports, d'autres se cantonnent à faire du feu et à cuisiner. Les hommes chassent. Les femmes préparent les pièges.
*Mari: déesse suprême de la mythologie basque.
* Iziens :Adeptes du IZ
Les enfants vont chercher du bois et cueillent des escargots. Les quelques réfractaires qui regardent encore les autres travailler sont vite corrigés. On les occupe à réparer les pièces défaillantes, à fabriquer des lances et des flèches et à fixer les microlithes aux divers supports. Le travail à la chaîne est né. D’autres femmes cueillent les fruits qui abondent. Nos intestins n’y sont pas encore habitués et les coliques qu’ils déclenchent resteront gravées dans nos mémoires. Plusieurs vieillards trépassent sans pour autant connaître la cause de leur diarrhée. Nous avons du mal à réaliser car la gourmandise prend le dessus. On se régale. On avale sans mesure des cerises. La richesse de notre alimentation prend corps. On en fixe les bases et les fondements. On équilibre nos repas. Les préparations qui n'étaient au début que le produit de l'expérimentation deviennent tradition culinaire. L'éphémère persiste à devenir coutume. La chasse se modernise avec la fabrication de pièges qu’on installe autour des ces fruits colorés qui poussent par deux ou par trois. Nous devenons perspicaces. Notre alimentation va en être modifiée. Du coup, nous aussi.
Je remarque la rondeur du ventre d'Emiz. C’est notre premier enfant. Les autres en ont beaucoup. Un besoin subit de quitter les lieux m'envahit. Je suis trop impulsif. Il faut me maîtriser. Un sentiment de respect envers les autres s'impose car l’enthousiasme général règne dans la tribu. Le bonheur est un signe d’intelligence. Je regrette néanmoins que l’installation de cette société sédentaire m’ait détourné quelque peu de ma mission linguistique. Pourtant Mari avait été bien explicite à ce sujet. Je la soupçonne d’avoir déclenché la tempête effroyable qui nous oblige à partir. La pluie et la grêle frappent durement, la rivière déborde, le vent souffle vigoureusement, les éclairs foudroient les arbres environnants, le grondement du tonnerre est assourdissant. L'eau que nous vénérions depuis toujours est devenue tout à coup notre pire ennemie.
Emiz s'est blottie contre moi. Je la serre dans mes bras. Nous réfléchissons mieux à deux. A trois, car notre petit a grandi. A l’heure du repos, toutes les femmes recherchent un réconfort masculin mais elles sont beaucoup plus nombreuses. Alors qu’il a le choix, l'un d' entre nous, toujours méchant, cruel, violent et égoïste repousse celles qui s’approchent de lui. Il préfère Emiz. Il a déjà essayé de la brusquer mais je lui ai sauté à la gorge et ai réussi à l'éloigner. Comme il n’y a pas de mal qui pour le bien ne vienne, la création linguistique m’a regagné et par instinct je l’ai baptisé GIZOR. De G (nous) – IZ (vie) OR (là), (IZOR- copuler). C’est à partir de ce jour là que qu’IZOR prend une signification nouvelle, la gêne, la molestation, le mal. C'est à la suite de cette tentative d’agression qu’en découlent les mots GIZUR, GEZUR, mensonge et IZPA, EZPA, jalousie. Je pense que le mot LISTOR, guêpe, n’est pas étranger à cette interprétation d’IZOR car elles nous ont attaqués la semaine dernière et leurs piqures (IZUKI, piquer, mordre) nous ont meurtris. Nous reprenons prudemment le chemin couverts de peaux de chèvres qui sentent très mauvais mais qui ont le mérite d’éloigner les insectes pourvus de dard. Elles nous protègent aussi du froid de l’hiver. Nous en tannons des sandales pour soulager nos pieds. Nous franchissons des gouffres qui nous estropient, nous contusionnent et nous balafrent sans que la perte de la notion du temps qui accompagnait jadis les ravins nous guérisse. Bien que blessés, nous reprenons le droit chemin jonché d'obstacles. Le puzzle idiomatique fourni de suffixes et d’affixes nous accompagne.
Tout à coup, à l'orée d'un bois nous apercevons des cabanes dont les parois sont construites avec de la boue séchée, quelques blocs de pierre et des branchages feuillus et étanches qui font office de toiture. Elles sont inoccupées. Leurs habitants les auraient- elles abandonnées ? Cela indiquerait que d’autres groupes nous devancent dans la course vers la mer, des gens plus intelligents, capables de construire des habitations modernes mais surtout de les quitter. Nous attendons deux lunes pour prendre acte de leur départ. Personne ne vient. Nous en profitons pour nous reposer à l’abri. Nous faisons tous l'amour. Le surlendemain matin alors que je réfléchis à notre destinée et impatient de reprendre ma recherche phonétique, surgissent les occupants des cabanes qui les avaient fuies en nous voyant arriver de loin. Constatant notre placidité, ils se décident à nous saluer. Eux aussi sont pacifiques. L'époque de la crainte de l’autre a disparu peu à peu et, comme par naturalité, ils nous accueillent. Nous nous unissons à eux, sans cris, sans violence, sans haine et sans morts. Décidemment, leur langage a beaucoup de retard sur le notre. Pas leur mode de vie. Nous entreprenons de résider quelque temps avec eux. L'organisation de la société dont ils jouissent est identique à la notre et chacun a son rôle précis à jouer. Des menuisiers, des maçons, des cueilleuses de fruits et de plantes, des cuisinières, des pécheurs, des chasseurs, des plombiers spécialisés dans l'acheminement de l'eau, toute une sorte de métiers correspondant à leur avancée technique. La situation de leur gîte qui s’apparente à un campement a été intelligemment pesée et les installations érigées entre la forêt, la rivière et les cabanes sont dignes d'un village sédentaire.
Au point de vue phonologique, ils emploient parfois notre IZ mais il ne doit pas être de la même époque car le vocabulaire qui en provient est restreint. La pierre est primordiale pour eux et c'est ainsi que je perçois qu'ils utilisent le son AIZ, AITZ pour la nommer. C'est un des seuls mots constitués par notre IZ. J'entends souvent aussi le mot ARKAITZ que je comprends immédiatement puisqu'il définit les roches montagnardes, celles qui se trouvent près des cimes. Je me dis que je les aurais appelé ARRAITZ, sans K, mais je ne connais pas encore le rôle de ce phonème dans le mot. Toujours formés de AR, ils emploient aussi ARRIA (pierre en basque) et ARROKA ( rocher ).
Le K qu’ils ont coutume d’employer nous est absolument inconnu. Il revient très souvent et sa multiplicité m’interloque. Il est souvent relié au U et le son UK ainsi formé me trouble. Je ne comprends pas encore sa signification car il n'a rien à voir avec l'être, l'humain, les environs, l'eau ou le feu...rien de tout cela. Il est néanmoins d’une importance vitale. Emiz me chuchote que leurs avancées linguistiques pourraient être cousues d'oublis et qu’une éventuelle invasion aurait pu faire en sorte que les éléments fondateurs de leur langue originelle, apparentés à ceux de la nôtre, auraient pu succomber à l’influence culturelle d'une autre langue dominatrice qui l’aurait affaibli et même anéanti les origines de la leur. J'ai du mal à la comprendre car son vocabulaire restreint pour ce genre de discours ne lui permet pas de s'exprimer comme elle le souhaiterait. Malgré tout je parviens à en saisir l’idée générale. Elle est en train d’émettre une hypothèse linguistique qui envisage l'absorption de leur langue par celles d'éventuels envahisseurs porteurs de nouveaux concepts et de nouveaux mots. Son raisonnement me laisse pantois mais il est possible qu’elle ait raison car des bribes d’IZ subsistent dans leurs mots essentiels. J'apprécie.
Emiz et moi essayons d’analyser leurs concepts. Ils s'avèrent extrêmement importants pour la suite des événements. Enfin nous comprenons. Ce K représente l’action. Il est présent lorsque quelqu’un possède, prend ou fait quelque chose. Le U qui l’accompagne représente l'avoir, le toucher, la possession, la prise en main, la jouissance, la matière. Il va à l' encontre de tout ce que nous avons appris jusqu’ à lors qui se cantonne à l’être, à l’identité, à l’essence et à la vie résumés dans l’eau, IZ. Je ressens immédiatement le besoin absolu de cette idée. Le matérialisme nous gagne. Emiz se charge d'expliquer aux nôtres le sens du concept. La plupart d' entre nous le comprennent et en considèrent immédiatement la convenance.
La comparaison avec IZ s'impose. Leur union s'avère indispensable. Nous sommes l'être, ils sont l'avoir. Nous détenons l'esprit, ils détiennent la main. Nous possédons l'existence, ils possèdent l'action. L'un est spirituel, l'autre matériel.
Je remarque que ce son leur est habituel, même ancien, comme issu d'une langue antique associée à un endroit précis. Éventuellement ici- même. C'est leur son par excellence. Il est plus jeune que nôtre IZ. On existe avant d’avoir. J’ai l'impression qu'ils l'utilisent sans trop le comprendre, comme par inertie. Étrange.
Je m'efforce de leur faire comprendre le mécanisme de notre langue et par conséquent de la leur. Ils l’ont acquise sans la créer, par hasard, par héritage. Comme toutes les langues modernes. Ils me remercient mais dans le fond, s’en fichent. Ils ne se souviennent pas du tout d'avoir subi des invasions. Cela leur est égal. C'est de l'histoire ancienne.
Pour nous, créateurs de la langue basque, leurs éléments s’avèrent primordiaux et nous les intégrons dans notre morphologie et notre syntaxe. Un grand pas en avant ! IZ est la vie. UK sa raison de vivre. Sans U, pas de K, sans K pas de U. C’est ainsi que surgissent une grande quantité de nouveaux concepts dont le plus important est UKAN. De la même construction qu’IZAN, il signifie avoir, posséder. D’autres mots comme EUKI (tenir), ESKU ( main), UKI ( toucher), UKAMILO ( poing), IKUS( voir) corroborent la théorie. Le puzzle se complète. Je trouve le double emploi de ce K ingénu car en dehors de sa présence à l'intérieur du mot, ils l’utilisent à nouveau sur le sujet, comme pour signifier l'acteur, celui qui a ou qui détient. C’est ainsi que « Ni » devient « Nik » devant UKAN. L’ergatif est né. Il offre une personnalité très originale au verbe car quelque soit l’ordre des mots dans la phrase, on définit immédiatement l'auteur de l'action. La langue s’en trouve d’autant plus enrichie. Cette découverte nous propulse dans plusieurs ravins linguistiques. Nous devenons des férus de phonétique et influencés par cet ergatif si riche d’enseignements, nous nous mettons en quête de nouveaux sons qui vont enrichir extraordinairement notre idiome. C'est ainsi que nous remarquons qu’ils possèdent un verbe créé sur ce modèle et que certaines personnes en K s’y rattachent. Nous les aidons à en créer d’autres et c’est ainsi que NIK, IK (hik de nos jours), ARK ( hark), GUK, ZUEK HAIEK apparaissent au grand jour, nos pronoms surmontés d’ un K actif. Leur morphologie lexicale étant la même que la nôtre nous n’avons aucun mal à inventer ensemble toutes ces nouveautés. Une vraie révolution! IZAN, être, UKAN, avoir. Et c’est à ce moment-là qu’à partir du DAIZ- DA (il est) que nous avons imaginé depuis longtemps, interviennent DU (il a)et sa conjugaison. Son sujet coule de source NIK DUT ( j’ai) Quels beaux concepts!!! Je remercie Mari de nous les avoir fait rencontrer.
Cependant quelque chose d'étrange me gène. Je sais que nous sommes nettement plus développés qu'eux car nous avons vécu tellement plus d’aventures depuis l'abandon de la grotte qu'il m'est impensable de les considérer comme un peuple éveillé. Ils ont tout reçu et rien inventé. Comment est-ce possible ? Ils n’en savent rien. Aurais-je oublié des passages de notre vie qui nous aurait amené à d’autres séparations importantes ? AL me vient à l’esprit. Il ne peut pas être le créateur de ces avancées puisqu’ il nous a quittés bien avant la conceptualisation d’IZ. Aurait-il pu, comme nous, être capable d’en faire autant en se basant sur la même onomatopée? Son évolution l’aurait-il amené à construire la langue de nos amis d’aujourd’hui. Le temps se serait-il écoulé plus rapidement dans son monde que dans le nôtre ? Je n’ai aucune explication. C’est la seule plausible. A moins que ce soit un tour de Mari qui en avait plus d’un dans son sac. Nous aurait-elle prédestinés à les rencontrer afin d’oublier le passé et ses causes et avancer ensemble dans le chemin linguistico-phonétique? Mieux vaut ne pas se poser de questions et les imiter. Seul le résultat compte. La fin justifie les moyens.
Pendant ce temps, les femmes tournoient en colonne autour du feu en dansant. Au son d’un instrument à vent, elles quittent parfois le rang pour s’approcher de la marmite qui est sur le feu. Elles boivent goulûment son contenu. Les effets sont immédiats. Les hommes les ont rejoints. Curieux, je m'aventure dans le cercle et essaie de les imiter. Je me rends vite compte que tous les hommes sont de piètres danseurs et qu'ils font des pas extravagants, chacun le sien. Seul importe le rythme. Je n'ai pas beaucoup de difficulté à suivre. Le joueur de flûte se tient debout dans un coin agitant agilement ses doigts sur les trois trous de son instrument. Sa main droite tient un bâtonnet qui frappe tout en douceur une peau de chèvre bien tendue entre des cerceaux d'osier. J’observe les hommes et femmes qui ont dégusté le breuvage. Ils sont comme en transe et ont perdu toute leur lucidité. Malgré tout ils répètent les airs en chantant et je me rends compte qu’ils maîtrisent la musique et la danse depuis longtemps. Il est plus aisé d’apprendre à danser et à chanter que de créer une langue, d’autant plus qu’ils ont ingurgité des drogues qui rendent dément.
Personne n’a perçu mon attitude d’observation à l' exception d’un jeune homme tout à fait clairvoyant. Il est seul, toujours seul, comme plongé dans son monde. Je m’approche de lui et son attitude conciliante m’étonne. Nous engageons une conversation tout à fait compréhensible et même si le vocabulaire nous manque nous nous comprenons à merveille. Les autres divaguent. Après quelques échanges judicieux nos propos tournent vers la langue, la leur tout d’abord. Il méconnait son origine. Pourtant il est des nôtres. Laissant de côté nos discordances, nous décidons d'avancer sur le chemin de l’évolution aussi bien humaine que linguistique et nos apports respectifs sont indispensables à la construction de notre peuple commun et de sa langue unifiée.
Il se nomme ABER et il ignore qui a bien pu le baptiser ainsi car les sonorités de son prénom sont en partie étrangères à notre vocabulaire commun. Il ne maîtrise pas le B impératif. Il essaie alors de comprendre la signification de son prénom. J'ai le sentiment que c'est la propre langue basque qui l'a nommé ainsi. Je n'insiste plus. A nous deux nous allons faire des pas de géant. Emiz nous y aidera. Mari aussi. Il est nettement plus jeune que moi. Je l’adopte comme un fils. Je lui raconte nos aventures. Les ravins. La voix. C’est la première fois que je le dévoile à quelqu’un. Même Emiz en doute. Je suis absolument incapable de lui donner mon âge. Nous établissons ensemble définitivement la conjugaison des verbes être et avoir. UK et IZ ne font plus qu’un.
C’est à cet instant que nous décidons d’insérer le son T pour définir la première personne du singulier. Lorsqu’elle agit le mot DUT ( j' ai, en basque) sera employé. Nous l'utilisons souvent, toujours précédé d’un K, NIK DUT, le K équivaudrait à la seconde personne, toi, DUK ( tu as, en basque). Ce son lui semble trop dur pour s'adresser à Emiz et il préfère remplacer le K par un N, plus doux, DUN (tu as, adressé à une femme, en basque). Puis viennent le G que nous utilisons déjà avec IZ, GUK DUGU, (nous avons, détenons ou possédons) et enfin, toujours à l'instar d’IZ, ZAIZ se transforme en DUZUE,(vous avez, 2eme personne du pluriel).
Je suis heureux car il a bien assimilé le système verbal de l'être qu'il applique rigoureusement sur le U et le K. Je me souviens du son L que nous employons pour le mystère, l'éventuel et qui est devenu quelque peu désuet. Il l’ignore. Quoi de plus normal pour un peuple qui privilégie l’avoir. Il s'agit maintenant pour nous d’appliquer le L sur les deux verbes. LIZ d'un côté et LU ou LUK de l'autre, (s'il était et s'il avait). Toute la conjugaison en découlera. La Mort si mystérieuse se doit de contenir ce son L, IL (mort), la terre porteuse d’aliments contient les deux sons LUR. Nous décidons de placer la sonorité A de prononciation aisée en fin de mot pour définir la chose précise dont on parle et c'est ainsi que BIZI se transforme en BIZIA pour désigner la vie. L'absolutif vient de naître. Un système de suffixes prend place peu à peu, autant sur les verbes que sur les noms. Les adjectifs n'existent pas encore.
Grâce à notre association, notre verbe acquiert une nouvelle dimension, d’autant plus lorsqu'il entreprend d'utiliser un autre K, KE en fin de verbe pour signifier la possibilité. Aber est un génie. Comment y a-t-il pensé ? Je suis un peu dépassé. C’est sûrement du à mon âge. C’est pourtant toujours le même. Nous convenons de dresser la synthèse de tout ce que nous détenons.
IZ: iza, bizia, izatea, ura, ( l'être , l'eau)
UK: ukana, edukia, ukitzea.( l' avoir)
K : sujet de cet avoir
L : le mystère, l'éventuel
IL: hil, la mort, dont iztil (l'eau morte, la flaque),
ILUN : l’obscurité
IZAL : l’ombre
KE: La possibilité
N: je
D: le pronom IL et la chose dite ou prise.... le COD
G: nous
Z: nous
T: moi acteur
K, N: toi
A : tour définir les choses, absolutif.
UR: l'eau
ZUR, EGUR, EZUR, ELUR : le bois, le petit bois, l'os, la neige,
ZURAITZ ZUHAITZ : l'arbre,
AR: la hauteur
ARRI et ARKAITZ : la roche
AI: vers le bas
IZBAI : la rivière
EME: la femme, la femelle, la maternité
AMA : la mère
AT: sans ( AT signifie sortir, sans, en basque actuel)
N: le passé
O: l'attribution, à qui ? A lui.
B!! l’ordre. L’impératif.
Comme si Mari me l’avait ordonné, je m’amuse à inventer un mot nouveau fondé sur la poésie : B! IZIL
Le Basque est né! Je sais qu'il ne mourra jamais. Malgré tous les assauts, la langue originelle ne meurt pas.
Emiz m’embrasse. Elle est à nouveau enceinte.
B
La semaine se termine. C'est la dernière heure de cours du vendredi après- midi et les élèves sont fatigués, surtout les internes. Le professeur décide de leur faire un cours agréable, moins scolaire et il engage son discours sur son thème de prédilection, l'origine des basques et de la langue basque. Malgré le manque de concentration, ils font silence. Lors du dernier cours d’il y a deux semaines sur le sujet, il leur avait expliqué la morphologie verbale et la présence d’IZ d’UK ainsi que de tous leurs dérivés. Après un bref résumé des formes conjuguées au présent, il insiste sur le fait que les infinitifs Izan et Ukan sont nés de leur conjugaison et pas l’inverse, le suffixe AN ayant été ajouté aux racines IZ et UK. Il en sera de même pour les autres verbes.
-Écoutez bien ce que je vais vous dire : Ce puzzle est un chef d'œuvre Non seulement les racines verbales vont servir à conjuguer Être et Avoir, mais elles serviront de modèle pour tous les autres verbes, qu’ils soient synthétiques, en un seul mot et sans auxiliaire ou analytiques en deux mots, le participe et son auxiliaire. Tous les verbes intransitifs, seront donc conjugués avec IZAN et les transitifs avec UKAN, sans oublier le K sur leur sujet pour ces derniers– ajouta- il- De plus, le basque est une langue de suffixes, de préfixes et d’ affixes, de racines basiques, de marques du singulier et pluriel dans le mot, mais aussi de présent et de passé, d' éventuel et de potentiel, qui viennent s’insérer dans le propre verbe. La création de ce verbe tri-personnel est unique en son genre. Tous les sujets, les compléments d’objets directs et les indirects vont être représentés par une marque bien définie au sein du verbe même, c'est à dire que les toutes les formes verbales insèrent le sujet, le COD et le COI par rapport à leur fonction, ce qui constitue un ensemble de 1780 formes pour le simple auxiliaire avec ses variantes en NOR( sujet de Izan), NOR NORK( sujet de Ukan), NOR NORI (sujet de IZAN + Complément d’ Objet Indirect) et NOR NORI NORK, (sujet de Ukan + Complément d’ objet direct + Complément d’objet indirect).
Cette constitution verbale va fixer le modèle de tout le vocabulaire basque ainsi que les suffixes ceux de la fonction des mots au détriment de prépositions, des conjonctions ou des adverbes.-
Jon Kepa lui posa une question: - Monsieur, pourquoi le NORI (signifiant « à qui » et marquant l’attribution) est- il inclus dans le verbe alors qu'il est si aisé d'utiliser des prépositions?
Le professeur ne sait plus très bien comment répondre pour se faire bien comprendre. – Tu vois, aucune grammaire basque, ni latine ni grecque ne fournit d'explications sur la création de leur morphologie verbale, se contentant de la constater. - Je pense qu'il faut laisser place à l'imagination car la science ignore presque tout à ce sujet. Je pense que NORI est intrinsèque à la création de la langue, comme si l'existence phonétique lui était attribuée, à elle et à personne d'autre. NORI? (à qui ?) HARI (à elle !). Un peu comme lors des déglaciations qui avaient entraîné l'écoulement des eaux, d’IZ, de la vie et de tous ces hommes et ces femmes qui avaient subi les vicissitudes du climat à leur insu. C’est un genre de forme passive, surtout lorsque l’action n’existe pas. Tu à moi, tu me viens, comme si j’étais le bénéficiaire de ton action, tu comprends ?-
Comme voulant remercier Jon Kepa de sa question il ajoute- Je suis convaincu que si tu avais été présent à l'époque de la création linguistique, tu aurais toi- même pu inventer ce NORI, issu de tout ce qui te serait survenu. -
Le visage de Jon Kepa s'empourpre quelque peu et sa gêne fait sourire les élèves. Le professeur hésite encore à répéter car il n'est pas sûr qu'ils aient tous bien compris. Tant pis. Son élève préféré a bien saisi. Il l’apprécie énormément car il est curieux, intéressé et intelligent, bien que quelque peu paresseux en substance. Pas du tout lorsqu’ il est passionné. C'est ainsi qu'en rentrant chez lui il va se mettre à constituer le puzzle de l'auxiliaire basque dans son ensemble, sans aucune erreur, un travail digne d'un spécialiste en phonologie et en grammaire. L'enseignant a l'impression de se trouver confronté à un certain ABER dont il a lu les exploits dans un roman.
A
Sur le modèle d’IZOSO, ITSOSO, ITSASO, IZ eau, OSO tout
(toutes les eaux équivalent de Mer) et d’IZBASO (Torrent) qui font déjà partie de notre vocabulaire, ARBASO (les ancêtres) d’AR, et OSO tous d’en haut, me vient à l'esprit. Ils nous ont toujours fait défaut car nous les avons toujours abandonnés, certains dans la grotte originelle, d’autres dans celles des peuplades rencontrées. Issus de ces groupes séniles et regrettant leur entêtement, les ancêtres d’ABER auraient pu changer d’avis et fuir le passé pour acquérir la capacité d’engendrer et de créer plus tardivement une tribu capable de prendre un autre chemin et de suivre la même destinée que nous. S’il en était ainsi, il pourrait être un de nos descendants et par conséquent mon neveu éloigné. C’est fortement improbable car les femmes qui avaient choisi de rester dans la caverne étaient toutes âgées et inaptes à la procréation.
En bien ou en mal, je pressens que le K importé va bouleverser notre vie et c’est ainsi que le concept de possession, de propriété et d'acquisition prend soudain une importance exagérée. Il ne correspond pas à notre philosophie de vie. Jusqu' à présent, tout était commun et la question de l’appartenance ne se posait pas. La jalousie se cantonnait aux relations amoureuses entre hommes et femmes. Dès lors, apparaît une sorte de nouveau sentiment qui va dénaturer la société. Je souhaiterais entendre la voix. Je me souviens qu’elle m’avait mis en garde contre des rencontres malvenues et indésirables. En apparence, cette dernière ne l’est pas. Néanmoins j’y prends garde car le bouleversement de mentalité dû au K pourrait engendrer des luttes fratricides insoupçonnables.
Je l’entends enfin. Elle m'entretient de la vie et de la mort, du destin qui forge notre chemin et de la fidélité que je luis dois. Quelle raison a-t-elle de me tenir ces propos ? Elle me confie qu’elle perçoit en moi une sorte de lassitude. Il n’en est rien. Le choix de ma personne en tant que guide lui avait été imposé par sa propre conscience qui était immédiatement devenue la mienne. La mission qu'elle m'avait confiée a toujours été dirigée par ma propre pensée et le fond de mon cœur, qui sont à n’en pas douter aussi les siens. La capacité à entrevoir l'avenir nous est commune. De façon incompréhensible, elle vient de m’envoyer Aber pour remédier à ma fatigue, au surmenage engendré par les ravins, les rencontres et la création de notre langue. Je l'en remercie tout en me méfiant car je ne me sens pas fatigué.
Elle me confirme alors l’origine de son nom, EMARIZ, issu de EME,( femme) d’AR( mâle) et d’IZ( eau et vie) et me répète que l’usure de la consonne finale comme celle de la voyelle initiale a engendré le mot MARI. Elle ajoute qu’elle est notre déesse et qu’elle le sera à tout jamais. Elle se répète. Serait- elle aussi fatiguée? Par contre elle me révèle qu’elle aurait fondé une famille. Je n’en ai jamais entendu parler. Pour ma part j'ignore encore ce que représente la foi mais je ne peux renier la voix qui m’a incité à marcher. La nature exacte de son être m'inspire parfois une grande incertitude et je ne parviens à retrouver ma sérénité qu’en priant et en la considérant comme une mère dont la voix céleste serait devenue mon chant intérieur. Je réalise alors qu’elle a raison de me parler de fidélité car la religion ne va pas être mon fort. Je me penche à nouveau sur la formation de son nom et sur sa signification, « la femme vivante d’en haut » est la preuve qu'elle supplante ma propre conscience car tous les sons conceptuels que nous avons inventés se retrouvent dans son patronyme, elle qui existe bien avant la conception de ces idées et qui s'est manifestée lors du ruissellement des eaux dans la grotte.
Je remercie à présent les pertes successives de la notion du temps qui m'ont aidé à enchevêtrer les liens entre le divin et la réalité. Je sais qu'elle m'a assigné une mission depuis longtemps, j'en connais les détails et je me souviens exactement de sa première apparition qui nous avait poussés à quitter la grotte. Je n'arrive pas à élucider la raison de son absence antérieure. Comme tous les dieux se serait-elle cachée? Je pense que son émergence correspond au début de la parole et que le but essentiel de sa naissance est de sauver mon peuple et de lui donner une langue. On lui doit la lumière de notre symphonie phonique dont elle est à la fois l'origine et l'effet.
Combien d'années, de siècles, de millénaires ne se sont-t-ils pas écoulés depuis le début de notre aventure, combien d’ères pour enfanter notre progéniture linguistique et nous associer à d’autres tribus indispensables à notre survie ? A un moment donné elle m’a envoyé Emiz. Je l’en remercie car notre descendance a été assurée par sa présence. Je vis depuis très longtemps. Trop peut- être. Tout à coup je réalise la concordance des sons entre EMIZ et EMARIZ. Le seul point discordant réside dans le concept de hauteur, de divinité et d'inconnu. Aliz est terrestre, Emariz céleste. Je saisis que le temps importe peu et que le destin fixé par la déesse va être garanti par ma compagne. Elle en était l'émissaire, la garante, l'heureuse élue envoyée par sa mère. De futurs éventuels prédicateurs affirmeront son rôle auprès de nous. Elle se tient à mes côtés. Je l’embrasse tendrement et lui jure fidélité. En guise de réponse Emiz m'avoue être en possession d'un secret digne d'un nouveau ravin. Elle prétend avoir un père. Un père céleste bien évidemment. Le compagnon d’EMARIZ. Je n'en reviens pas. Au moins cette révélation a le mérite de me démontrer la filiation divine existante entre les deux femmes et que la déesse n’est point vierge. ABER a entendu parler d’une famille mythologique dont IZUGAR (devenu Sugaar, vie aqueuse et virile) appelé aussi IZUGOI (sugoi) en feraient partie. J’en doute car il m’est difficile d’admettre la présence d’un U dans ce genre de noms. Ce serait le père d’EMIZ ?
Ils auraient engendré plusieurs enfants dont ATARRABIZ, Atarrabi ( AR+B+IZ) et MIKELIZ( MiK+L+IZ), Mikelats, et auraient des neveux du nom de EMAIU( Maiu) ou ORTZI* ainsi que bien d’ autres ? Tous parents proches de ma bien-aimée. ABER me cacherait-il un savoir transmis par EMARIZ que je serais susceptible de ne pas accepter? La déesse souhaiterait-elle avoir l’exclusivité de ma dévotion en dissimulant ainsi sa famille? A vrai dire je n’en tiens pas cas car c’est elle que je vénère et je préfère ignorer tous les autres.
Je comprends tout à fait à présent son discours sur la fidélité et induis qu’elle suspecte ABER de divulgation ingrate de secrets. Il est jeune et pardonnable. Il ne peut réaliser l’importance de la primauté de la divinité féminine dans notre existence. Les hommes pourraient devenir une entrave à la bonté.
* Tous ces noms correspondent en réalité aux dieux païens vénérés par les basques pendant toute leur existence. Leurs vestiges sont encore vivants dans de nombreux territoires. La plupart du temps, l’appropriation de ces croyances de la part de la religion catholique a modifié leur origine et les ont transformées en doctrine chrétienne. De plus la coïncidence entre le nom de MARI et celui de la vierge Marie lui a été d’une grande aide .
J'ignore encore le rôle que vont jouer tous ces génies dans notre culture, notamment celui d’ORTZI qui deviendra le Dieu du ciel, du tonnerre et de la tempête. Pour preuve les mots OTZANTZA, ORTZIRIA, (le tonnerre) mais surtout ORTZADARRA (l'arc- en- ciel, ou la corne d' Ortzi). Je ne peux pas encore deviner que plus tard, des peuplades celtes venues du nord nous rejoindraient et permettraient de relier leurs croyances d'ordre naturel à nos dieux.
Notre vocabulaire et notre syntaxe avancent à grands pas. Tout ce qui défile devant nos yeux gagne automatiquement une qualification lexicale. Les composants de notre groupe se voient attribuer un nom. Je réalise tout à coup que je n'en ai point. J'en parle à Emiz. Elle avoue que je n’en ai pas besoin. Son amour pour moi la pousse à employer un X ( ch), son à caractère diminutif affectif irréfutable, réduction logique du Z, de IZ. A mon étonnement, elle lui ajoute un U matériel démontrant ainsi que quoiqu' en j'en dise, je suis attaché à l’avoir. Puis un B a l’air de vouloir s’imposer car mon ordre de mission est irréductible. Le I, relatif à la mort, indissociable de la vie, IZ. Moi qui me croyais immortel constate que la fille d’EMARIZ me réserve une mort irrémédiable. Dramatique et soulageant à la fois. Le son L exprimant le mystère s'avère également incontournable car aucune autre sonorité ne dévoile mieux qu’elle mon intériorité, mon caractère artistique, poétique et créatif. Voilà ton nom – me dit- elle- XUBILTZ. Je lui cache que j'aurais préféré XUBIZIL plus en concordance avec ma personnalité mais même la fille de Dieu ne peut être parfaite.
Tous les nôtres prennent alors un nom:
Le méchant GIZOR, (IZOR, enceinte, mais aussi « enculé » en langue basque), un personnage caractériel qui me fait front, celui qui entrave le bon déroulement de la vie du groupe, se bat et viole nos femmes. Je le déteste.
IZON, le bon type ( IZ et ON, bon en basque)
LIZ, la femme mystérieuse (de L mystérieux et d’IZ vie)
BUK, le voleur, celui qu'on oblige à tout accaparer.( de B! Et UK , avoir)
UKIZ, l'homme complet, aussi spirituel que matérialiste (d’UK et IZ.)
DUIZ, un embryon de perfection (de D présent, IZ et U avoir, mais l’absence du K nous suggère son caractère incomplet)
IZAT, celui qui a du mal à accepter notre évolution et notre nouvelle langue (non à la vie). AT signifie dehors, sans.
UKAT, le non possessif (celui qui renie la propriété)
EMIL, homme maniéré (eme, femme, et L éventuel).
ARRON, l'homme à la semence fertile.( bon mâle)
ARREME, l’homme féminin. Synonyme de EMIL ( de Ar et Eme)
EMAR, la lesbienne (de Eme et de Ar)
LUK, l’avare (celui qui espère avoir L- UK)
EMUK, celui qui aime les femmes (qui en prend beaucoup, UK et EME)
UKEME, doté de grande expérience sexuelle (celui qui en a pris beaucoup)
URAT, l'éjaculateur précoce (gicleur d'eau UR et AT)
IZUK, celui qui est toujours prêt à forniquer (prêt à prendre les humains)
LIZON, celui qui regrette ses mauvaises actions ( L éventuel, IZ vie, ON bon)
BIZ, l'optimiste. ( B! IZ)
IZIAR, le macho ( IZ vie AR mâle)
LIZOR, LIXTOR, le serviable (l’éventuel, IZ vie, OR là, prêt à aider)
ERIZ*, le malade éternel
ITS : le vieillard
AITOR*, origine impossible à définir
Je devine dans un coin Hyacinthe de Charencey riant volontiers son ombrelle à la main.
Et c'est ainsi que nous baptisons tous nos amis, pour toujours. La particularité de cette qualification réside dans l'interprétation, celle de l'origine des sons, une vision très personnelle de l'acquis, loin de toute valeur lexicale d'ordre scientifique, loin de toute valorisation grammaticale officielle. Il faut faire preuve d'intuition et d’humour. Emiz et moi-même en sommes capables. Nous employons souvent l’ancien mot IZAR (étoile en basque), doté de deux significations radicalement différentes. La première est en relation avec la vie d'en haut (IZ- AR), la seconde la vieille vie, comme si nous en provenions, IZ ZAR( zahar vieux). C’est sans préciser le nom de l’animal errant de nos montagnes, difficile à chasser car adepte des parois escarpées, une sorte de chèvre solitaire, l’IZAR dont le nom sera adopté par des langues futures sous la forme d’ISARD.
Notre vie en autarcie et notre isolement dans les vallées entourées des montagnes éloignées me fait craindre que personne ne soit en mesure de pressentir le devenir de notre langue, ni l'impact qu'elle aura sur toutes les autres. J’appréhende la fierté qu'elles prétendront montrer et leur obsession à vouloir annihiler le basque que nous venons de créer au nom de grandeurs culturelles néfastes et déplacées. Même Emiz, la fille de la déesse intemporelle Emariz, ne pourra prévoir que ces cultures et ces religions se chargeront d'éliminer nos croyances les traitant de païennes et de rétrogrades. Je suis le seul à pressentir que notre Euskara va engendrer d’autres langues. Abandonnant ces conjectures inutiles, je décide de poursuivre mon chemin en structurant mon idiome chéri. Je n’ai plus de forces et me sens las. La création ne m’a pas usé. L’ingratitude oui. Je pense avoir rempli mon contrat et bâti notre socle linguistique. Aux autres maintenant de le compléter et de façonner une langue moderne. Néanmoins, avant de passer le témoin, quelques lacunes structurales apparaissent au grand jour. Les sonorités qui précisent la circonstance, le lieu, le moyen, la destination, la provenance font encore défaut. J'en fais part à ABER qui me promet de s'en charger.
Pour la seconde fois je pense à la mort. La mienne. Celle qui marquera ma postérité. Aber s'en rend compte et me dit de ne pas m'en faire, qu'il est comme mon filleul et qu'il ne manquera pas de suivre la voie tracée. Je m'aperçois alors que je suis vraiment son mentor. Avant d' abandonner ma mission je règle quelques problèmes en suspens tels que des mots en relation avec le temps climatologique et la nature, KAZKABAR de AR de KAZKA, onomatopée signifiant le choc, ARRI- (pierre) pour la grêle qu' on appellerait aussi ZIZKORRA, de IZ et de gogorra ( dur). D' autres mots surgissent toujours à partir de AR, BULAR( le sein), BIZKAR( le dos), INAR ( sec), LIZAR, (le fresne) et bien d' autres comme SAGAR(la pomme), UDAR( la poire),ZUMAR,(l' orme), ASTIGAR( l'érable),GARAGAR( le houblon), ARBI( le navet), ILAR( le haricot) ARREGA( la fraise).
Tout à coup la création de tous ces mots amène ma réflexion à constater que nous avons réellement changé de période et que les siècles et les millénaires se sont écoulés à l’improviste. Il nous reste le ravin définitif à franchir par inertie, sans entendre de voix ni d'incitations précises. Je ne l’entendrai plus. Elle a délégué à sa fille et à Aber la destinée de notre peuple et de sa langue.
Toutes les voyelles ont pris une importance notoire et il résulte que les plus fermées, le E, le I, le O, et le U sont devenues les plus importantes, celles qui ont construit le socle verbal et lexical de notre langue. Le A si courant en basque n’est qu’ornemental. Il n’est pas essentiel si ce n’est pour l’absolutif défini. Les autres, associées à certaines consonnes comme le Z, le K, le D, le R,….sont devenues le fondement du puzzle basque. Notre système phonologique est enfin complet. Je m’efforce d’en fixer certains détails. C’est ainsi que
AR qui signifie depuis longtemps la hauteur et AI la descente engendrent des mots en ER pour désigner la nature et ses environs: BAZTER( environs), HERRI( village), ERRO( la racine), LER ( le sapin), ERLE( l' abeille). Emiz utilise souvent des mots qui me semblaient oubliés. Les autres femmes en font abstraction. Le tabou serait-il né ? Je ne le pense pas car la religion catholique n’a pas encore vu le jour. Elle emploie IZPE, l’entrejambe, IZTOKI ou IZONDO (l’aine, lieu d’eau) et IZTER (la cuisse) qui ont intégré son vocabulaire courant depuis longtemps. Issus de notre IZ, ils désignent des zones proches du sexe féminin, IZaren bazter, ( près de l'eau près d'effluves féminines, des parties aqueuses). Leur érotisme m’émeut.
Le puzzle géant prend corps.
Tous mes amis s'assoient à mes côtés pour le diner et je sais qu'il s'agit du dernier repas, d'une cène magistrale où certains commencent déjà à remettre en cause certains mots créés car ils n'admettent pas tant de modernité. Je pense que la jalousie les ravage. Seraient- ils les précurseurs de l’attaque contre notre langue, des GIZOR en puissance ?
Notre départ est prévu pour le lendemain mais de fortes averses vont le retarder. Nous profitons d’une accalmie pour nous diriger vers l’ouest. Une odeur inhabituelle et familière à la fois se fait sentir. La mer approche et les embruns élèvent un arôme d’iode. Enfin IZOSOA ! ( IZ OSOA, toutes les eaux). Nous passons de IZBASO,( eau sauvage) à IZOSO( la totalité des eaux).
Quelle merveille ! Toute bleue, elle s’étend devant mes yeux, à l’image d’un cœur recueillant le sang de ses artères fluviales, à leur tour grossis par les rivières et ruisseaux rencontrés sur notre route. Notre chemin n’est pas le seul. D’autres peuples ont pu suivre les fleuves adjacents. Je les distingue bien. Je suis arrivé au bout et ma vie va s’éteindre. Celles des cours d'eau aussi. Je scrute l'horizon inconnu. La voix de Mari se fait entendre. Elle me rappelle le précepte annoncé selon lequel la nouvelle vie engendrée par la fonte des glaces nous conduirait à la mer. Nous y sommes. Ma mission s'achève ainsi. Celle d' Emiz aussi. J'ai réussi mon pari d'emmener les miens de la glace source de vie à la mer. J'en suis heureux. J'embrasse ma chérie amoureusement. EMARIZ bénit à sa manière notre union éternelle.
B
Les élèves n'aiment pas trop les cours de littérature mais le professeur ayant terminé ces démonstrations linguistiques demande à l’une des élèves de bien vouloir lire le poème de Xubiltz, pseudonyme littéraire de Xabier Soubelet. Tous ont apprécié l’exposition de la théorie du IZ. Pour clore le sujet il s'engage donc dans une lecture poétique qui servirait de transition entre les deux cours. L'essence du poème réside dans le IZ. Elle entame sa lecture.
Ekizpi sokatik
Ekizpi soka goritik naiz igo,
haizearen indarrez dilindan hor nago,
eskuak errerik, gorputza biluzik,
zuregana gorantz ezin joanik.
Hodei elurtuen artetik, begiak lainoturik,
hegaldaka nire haria ezin heldurik,
hotzikara hitsez, iduzkiarengana,
argi odolturik, iturriarengana.
Kaskaildurik nago, lainotik berorat,
heltze argiak narama sortzerat,
ekizpi sokatik, betiko itsurik,
amaren sabela dakusat beterik.
Traduction sommaire
Le rayon lumineux
Je grimpe le long d'un fil lumineux- IZPI( rayon).
Rayon de soleil incandescent- EKIZPI( rayon du soleil).
Balancé par la force du vent.- HAIZE( vent).
Nu, les paumes écorchées,
J'ai peine à me hisser vers toi.
Aveuglé de brume, je vole dans les étuves enneigées.
Ne pouvant m’accrocher au cordon.
Tout frissonnant, je m’élève vers le soleil.
Vers la clarté ensanglantée,
Vers la genèse originelle.
Je suis épuisé,
Et scrutant l'aurore de ma naissance,
je grimpe le long de ce rayon ardent,
et ébloui par la forte lumière
J'y distingue les eaux profondes de ma mère.
A
Je ferme les yeux et remarque qu' EMARIZ m'attend au milieu de la voûte céleste. Je la vois enfin ! Elle est belle. Elle me hèle. Je reconnais immédiatement la voix qui m’a parlé si souvent, celle qui m'a précipité de ravin en ravin. Elle m'implore de la regarder. Encore une fois, j’obéis docilement. La ressemblance avec Emiz est flagrante. Je sais que j'ai atteint mon but. Elle vient me chercher et me prend par la main. Elle m’emmène des nuées vers l’inconnu, à la recherche de l'enfance perdue et de l'origine absolue. L’eau a transformé son ventre fertile en vie, semblable à celle qui ruisselait dans la grotte et qui fit naître le basque afin d’avancer dans cette aventure extraordinaire. Notre vie est comme un torrent qui remonte vers sa source nourricière qui se répand à travers les vies. Nous sommes ceints dans un climat adéquat, bercés par les rayons de soleil enthousiastes, au pied de l'eau de pluie vivifiante, comme réchauffés par un feu pluvieux et humidifiés par la pluie ardente. Jusqu’ à quand vivrons- nous ? Notre langue et nous même seront- nous éternels? Gare à ne pas provoquer des changements climatiques qui nous conduiraient à la disparition, car ils sont les seuls à pouvoir nous détruire. Tous. L’histoire se répète. Jadis les bouleversements climatiques étaient naturels. Plus aujourd’hui. Sauvegardons la planète en l’aimant, la soignant et en la développant sainement. Nous en redescendrons sous forme de ruissellements aux semences fertiles de ruisseaux IZUR et IZBI, de rivières et de fleuves IZBAI et IZBASO, de mers, IZOSO et IZUR. De sources de vie.
En hommage à la langue basque.
L’ALIZIEN-Alizia
Avant-propos
Les essais "IZ, source de vie" et "Alizia" sont les deux ventricules du même cœur. Ils rejoignent la même démonstration qui consiste à élucider l'origine de la langue basque.
Lorsque le réchauffement irrémédiable de notre planète l’aura détruite et anéanti l'ensemble des humains, viendra le tour de l'état des lieux, du bilan et de l'histoire de l'humanité. On essaiera de remonter le temps pour comprendre les raisons de l’attitude insensée des hommes. Parmi ces recherches on tentera aussi d’élucider les moyens de communication que détenait l’humanité jusqu' à en rechercher l'origine profonde. Sans aucun doute, on trouvera les basques sur le chemin de l’investigation car, protégés par EMARIZ et à l'image de leur survie pendant les millénaires précédents, leur langue poursuivra sa route jusqu' à la fin des temps.
Les hypothèses avancées dans l'essai "IZ, source de vie" vont m’entrainer à voyager dans un nouveau monde à la recherche de preuves formelles sur l’origine du basque qui me conduiront à créer une nouvelle langue appelée ALIZIA.
Xubiltz, dans son parcours accidenté, aidé par le professeur et ses élèves ainsi que par les élucubrations des amis linguistes, a tenté de démontrer la provenance aqueuse du basque, en partant du son IZ pour arriver à une langue constituée de racines, d' affixes et de suffixes, très proche du basque d' aujourd'hui. Cette langue est issue d'un besoin, celui de quitter la grotte pour fuir les ruissellements qui couleront dorénavant dans ses veines. D'autres idiomes ont subi le même sort à l'instar des ruisseaux qui semblent disparaitre en s'écoulant dans les rivières pour alimenter les fleuves et plonger dans la mer.
Préface
Dans le récit intitulé " L’alizien- Alizia » je me suis donc aventuré à créer une nouvelle langue basée sur la morphologie verbale du basque. Fille d'une création poétique inédite, elle va s'ériger peu à peu sous une forme imagée, à l'image de la langue basque issue du phonème IZ et de ses onomatopées originales. Mon dessein consiste à démontrer qu'un idiome, quel qu'il soit, peut naître à partir de sonorités naturelles, se construire comme un puzzle, et devenir un mode d'expression audible et compréhensible. A partir de cet exercice il s'agit de prouver que les éléments fondamentaux de ma théorie sur le son IZ sont légitimes et d'en établir le bien fondé.
Le Pays où vont se dérouler les événements s'appelle le pays des Aliziens où ses habitants détiennent un savoir particulier, celui de connaître l'origine de leur langue antique. Tous bien pesés, les mots et expressions aliziens créés au cours de la démonstration qui suit ne sont pas le fruit du hasard. Les lecteurs initiés en linguistique et en phonétique trouveront leur chemin aisément. Les bascophones curieux aussi. Les autres chemineront différemment. Je leur conseille de prêter moins d'importance aux éléments d'ordre purement phonologiques et de renouer avec le texte, celui qui raconte l'histoire du pays et de la langue des aliziens. Mon seul dessein est de démontrer la provenance de la langue basque.
La fuite
-" Dépêchez- vous de partir! Ici la police, quittez la ville au plus vite! Il faut évacuer les lieux. Attention, je répète, quittez la ville, tout le monde dehors! Il y a danger de mort! Prenez la route au plus vite, et dirigez vous vers le nord et l'ouest! Vous pouvez empruntez aussi la A 1937! Pressez- vous, il ne reste plus de temps! Le danger est imminent. Vite! Ce n'est pas un exercice, fuyez!-
La mort frappant à notre porte, nous sommes restés confinés pendant trois mois, sans sorties, sans échanges, avec une société et une économie. A l’issue de cet isolement, nous pensions en sortir pour reprendre notre vie commune et renouer les relations humaines intrinsèques à la vie en société. Il n’en est rien car la nature s’est alliée au virus et la fin du monde approche.
Il fait une chaleur torride, le vent du sud souffle fortement et les pompiers qui accompagnent la police émettent incessamment des avis d'évacuation. Ce n’est pas la première fois. Ces dernières années le dérèglement climatique nous a obligés à évacuer la ville plusieurs fois. L’eau et le feu en ont été la cause. Le volcan et le fleuve. De plus, des incendies réguliers calcinent nos montagnes et des trombes d’eau s’abattent sur nos plaines. Les rivières débordent, des ouragans dévastent notre contrée, des vents d’une force extraordinaire balayent la plaine. Pourtant tant de siècles se sont écoulés sans entrave particulière. Dix, vingt, cinquante. Je ne sais plus. La course à l’industrie et le développement économique généralisé n’a pas tenu compte des contraintes écologiques auxquelles nous étions soumis, surtout pendant les deux derniers siècles. Les déchets, le nucléaire, les émanations de fumées polluantes et de gaz toxiques, tous ces éléments provoquant des émanations à effet de serre explosives entraînant un réchauffement de la planète. L’absence de règlements et de lois pour la préserver d’une dégradation irréparable est également en cause car les lobbies industriels n’ont pensé qu’au profit et se sont moqué éperdument de l’écologie. Voilà où nous en sommes! Des virus, des fléaux et des plaies et à présent tous contraints à la fuite. Comme des fourmis en plein labeur, les gens courent dans les rues sans direction précise. Il faut fuir. Les valises à la main ils se dirigent vers les sorties de la ville. Des familles entières se précipitent vers l'inconnu. Certains filent comme des comètes affolées, d'autres emportent leurs affaires dans leur Pick- up et leurs remorques débordantes de matelas, des machines à laver, des lave-vaisselle, mais surtout d’ordinateurs. Certains prennent leurs objets de première nécessité, d’autres encore ceux de valeur. Chacun la sienne. Les plus dandies, des costumes encore suspendus à leurs cintres, les artistes leur guitare en bandoulière ou des toiles et leurs chevalets, les croyants, des bibles et des corans. En plein chaos, un perroquet en cage posé sur le toit d’une berline répète à tue- tête les consignes émises par le porte- voix municipal. -Fuyez ! Dépêchez- vous ! Danger !-
Tous descendent la rue principale, à pied, en vélo, en scooter, en voiture ou en camion. La panique règne. Les coups de klaxons sont insupportables. Une longue queue s'est formée à la sortie ouest et les moins respectueux tentent de la doubler en créant un désordre circulatoire inédit. La circulation est bloquée et personne ne peut plus avancer. La police ne sait plus où donner de la tête. Elle vocifère des phrases décousues" -Dépêchez- vous. Quittez la ville au plus vite. Un peu d'ordre svp. Hâtez- vous! Danger de mort! Et le perroquet qui répète à tue-tête. Les gens trébuchent, les arbres s'écrasent, les véhicules s'emboutissent, les moteurs grondent - Plus vite! Accélérez! Pressez- vous. Il faut quitter la ville! - ressassent les policiers. Les femmes tirent leurs enfants par le bras tout en tenant les bébés dans l'autre. L'affolement et la panique sont effroyables. La population est terrorisée. Les gens courent à perdre haleine. Certains se traînent. Les chiens hurlent. Les blessés sont abandonnés. Le tocsin sonne violemment. Le chaos! La panique redouble d’ autant plus que la terre s’est mise à trembler. L'effroi s'est emparé de la foule. Certains paralysés de peur n'avancent plus. Ils se font bousculer, renverser, écraser. Pas de pitié. Certaines chutes condamnent à mort. Aucune compassion! Chacun pour soi.
La chaleur est pesante, lourde, terrible, insupportable. Les coups de sifflets des policiers retentissent, les sirènes stridentes frémissent, les moteurs des véhicules grondent, les portes grincent et claquent sous la force du vent, les hirondelles criardes s’enfuient. Les cris des femmes affolées et les pleurs des enfants apeurés enveloppent la ville dans une plainte lugubre. La poussière enveloppe l'atmosphère. La précipitation est intense. Le tocsin refuse néanmoins de se transformer en glas. Personne ne connaît exactement le motif de cette précipitation. Et à nouveau- " Dépêchez- vous! Fuyez, il y a danger de mort. Quittez la ville! – Et le perroquet avec malice,-Fuyez ! Fuyez ! Fuyez !-
Tous obéissent à la lettre les consignes sans en connaître la raison exacte. Ils les avaient déjà suivies lors du confinement. Pour rien. L'aspect dramatique de la ruée intrigue les gens au plus haut point. Tout le monde suspecte le volcan. Il est si proche. Aurait-il repris de son activité? C'est le plus logique. Chacun y pense. Il faut fuir vers le nord et se réfugier dans les montagnes. D'autres pays ont subi les assauts du soleil et de l’eau. La perforation de la couche d'ozone est latente. Le paysage est déjà devenu ocre et jaune. Le vert a disparu. Comme la poussière du désert. Aucun remède disponible pour arrêter cette progression. Trop tard. De notre faute. On nous avait pourtant avertis. C’est notre tour. Nous n'avons rien fait pour éviter cette catastrophe. Les méfaits de la pollution nous frappent de plein fouet. Nous payons la soumission à l'argent de notre civilisation insensée. La mondialisation. La fuite est maintenant la seule issue. C'est un choix de vie ou de mort. Le volcan plaide non coupable. Il reste discret. Le sol brûle déjà. L'air est irrespirable. La population a peine à inhaler ce cocktail de fumée et de poussière. Certains se sont procuré des masques, d'autres ont enfilé des chaussures de montagne afin d'éviter les brûlures, d'autres encore des lunettes de soleil. La pénurie de masques est dramatique. Personne n’avait rien prévu. C’était pourtant leur rôle, celui des gouvernants. Ils diront que c’était imprévisible. Trop facile. Personne ne mesure l'ampleur du désastre. Nous devons déguerpir! Vite. La terre tremble à nouveau. Les sirènes ressemblent à des trompettes de Jéricho abandonnées par Josué. Les porte- voix poursuivent leurs advertances criardes. Les câbles électriques pendent comme des arcs distendus au milieu de la chaussée. Le péril d'électrocution est imminent. Les poteaux qui soutiennent les fils se sont effondrés empêchant tout véhicule d'avancer. C'est l'apothéose. Ses causes directes sont encore inconnues des fuyards. Certains crient que c’est la fin du monde. Un nouveau big-bang. Les radios des voitures aux vitres ouvertes annoncent la généralisation du phénomène. Les gens s'échappent dans l’ ensemble du pays. Comme ici. Ailleurs, des averses bouillantes se déversent déjà sur la population, des tsunamis couvrent des territoires, des incendies ravagent les villes et les campagnes, des secousses sismiques provoquent la panique, les lacs, les marécages s’assèchent ou débordent dangereusement, A chacun son tour, l’eau, le feu. Les rivières ont perdu leurs eaux. Les barrages ont cédé. L'ambiance est devenue incandescente. Chez nous, le volcan ALAR est la cause de tous les maux. C’est ce que veulent faire croire les pouvoirs publics mais cette conclusion est insuffisante. A chacun son dû. Cela fait dix ans que ses vibrations sismiques sont plus régulières et nous nous en sommes habitués. Trop. La lave rougeâtre dévale à présent la pente. Les effluves de gaz empestent l'air. Elle s'approche irrémédiablement de la ville. Le danger de mort était imminent. Le sol continue à trembler. Sauve qui peut! C'est partout pareil. Même sans volcan. Ailleurs des typhons, des ouragans inondent les villes. L’eau et le feu se donnent la main. Nous les avons mariés. La destruction de la couche d'ozone nous augure un avenir obscur.
Je retourne à la maison pour chercher refuge. J'en ai assez! Je n'ai rien à faire sur les routes. Pour aller où? A mon âge. Et puis je m’y suis habitué lors du confinement. De la fenêtre j'observe la panique. Mieux vaut mourir chez soi. Les cris des fuyards m'effraient. Les premières explosions du cratère ont provoqué un nouveau séisme à secousse multiples. Je décide résolument de ne pas me joindre à l'affolement collectif. Je m’enferme chez moi. Encore une fois. Dans l'attente de l'inconnu. J'abandonne Emiz à son sort. Elle a quitté les lieux. Je la suspecte d’avoir rejoint sa mère. J'allume la radio. Elle grésille. La terre vibre et les montagnes sont en feu. C’est la fin. Je n’y crois pas. Une intuition me dit que je ne vais pas mourir. Une étoile humaine va apparaître. EMARIZ. L'eau va- t elle encore une fois me sauver.
Je suis seul à la fenêtre. J’espère le retour d’Emiz. Sans elle je n’ai plus de raison de vivre. Sans nouvelle mission non plus. Je n'ai plus personne à sauver. Personne ne peut venir à ma rescousse. Je me terre chez moi. Je n'aurais fait qu'entraver la fuite des gens dans la rue. Malgré mon effroi, je m'assieds sur mon fauteuil poussiéreux pour écouter les infos. Je rétablis la connexion. La fumée particulière de mon Havane m'envahit agréablement les poumons. Quoiqu’ on en dise, elle est moins nocive que celle de l'extérieur. C'est sûrement mon dernier cigare. Il est savoureux. La conscience même qu’il puisse s'agir de l'ultime bouffée me rapproche du trépas. Je ne sais pas si je perds connaissance ou si, loin de la réalité, je suis plongé dans un sommeil brumeux. Tout me semble lourd. Excessivement pesant. Je m'endors. Je rêve. Je pressens tout à coup que mes rêves deviennent réalité. Le sommeil m'éloigne du tumulte. Je divague.
Tout à coup, je me retrouve dans un ovni circulaire qui descend, une sorte de soucoupe qui franchit les nuages bas et qui se pose sur une planète inconnue. L'atterrissage est périlleux. Le chaos de ma ville agressée par le séisme est encore flou dans mon esprit. La notion du temps me quitte. Je me souviens encore des ravins. Surtout d'EMARIZ. Je me réveille enfin. Sans maison ni fauteuil. Sans cigare ni radio. Sans Emiz. Plus de ville, ni d'espace vital. Le vide! Le feu! Mon rêve qui prend fin est devenu réalité.
Précipité d’un monde à l’autre
Je me réveille subitement sur une plage sans mer, assoiffé et en sueur, un endroit asséché de sable blanc semblable à un désert de sel fin plongé dans une réalité bien éloignée de la fiction onirique. C'est bien moi. Mon corps. Mon esprit. Mes sentiments. Seul. Sans personne d'autre. Perdu. Bien éveillé. A moitié nu sur le sable. Sur le sel. Seule créature vivante dans le monde. Pas le mien. Un univers inhabituel.
Les gens qui fuyaient la ville ont disparu. La cohue et la confusion se sont éteintes. On n'entend plus de sirènes, de véhicules de police et leurs porte- voix, les avis des pompiers se sont tus, les explosions de gaz ont cessé. Plus d’éclairs de câbles électriques, de pétarades de motos, de grincements et de claquements de portes et de portières. Qu'est- il survenu? Le chaos généralisé n'était pourtant pas une invention. Le volcan Alar existait bien. La frayeur collective était bien réelle. Moi aussi. Il me manque mon fauteuil, ma radio et mon cigare. Mon rêve. Ma réalité. Je n'en sais rien. Je l'ai pourtant vécu. Nous l’avons tous vécu. La preuve, j'ai encore le goût du Havane dans ma bouche. Comme si je venais de le fumer, d'en aspirer les dernières bouffées. Je ne l'ai pas imaginé. Je suis bien sur une plage de sable blanc. J'ai perdu la mémoire. La notion du temps. Mon être. Tout a disparu. Je suis seul. Venu de nulle part. Expédié d'un songe ardent. Expulsé du monde calciné. La mer a disparu. L'eau s'est évaporée. Le ciel tourne au jaune. Une lumière crépusculaire est en voie d'extinction. J'ai l'impression que partout où se pose mon regard apparaît un contre- jour inexplicable. Le soleil est partout. Il m’agresse. Une vision qui obscurcit tous les éléments intermédiaires. Une impression aussi lumineuse qu'ombragée. Mon cerveau s'avère incapable de répondre à mes interrogations. Je m'endors à nouveau sur le sable. Il a changé de couleur. Il est devenu noir. Comme la mort. Comme une vie éteinte que l'on abandonne. Noir comme la terre brûlée. Parfois grise, comme la cendre. L'ombre semble avoir pour mission de faire exploser la lumière, de faire surgir un nouveau jour encore inconnu. La vie après la mort. J'ai du mal à me réveiller. Comme des bulles visqueuses, mes yeux n’y voient plus. Couverts de sable. De deux couches superposées. L'une blanchâtre enduite de pleurs, l'autre toute noire prête à sauter puis à renaître. La nuit et le jour. Mon corps est las. Las d'être là. Il se lève sans goût à la vie. Ma main tente d'évacuer mes chassies. Elles sont grises et gluantes. Comme à travers des lunettes aux verres inappropriés. Le paysage me paraît éteint et mat. Il est néanmoins translucide ou va le devenir. Je le sens. Je le sais.
La mer est une illusion. Elle laisse place à un désert cristallin qui se déploie à l'infini. Le sable fin s'est transformé en embrun. Plus de vagues, ni d’écume. Mon être a disparu. Léger comme le sable. Mon essence maritime s’est dispersée dans les airs. Où suis-je ? Je vole vers le firmament jaunâtre. Orange. Rouge. Les nuages couvrent le ciel et le soleil a franchi le cap. Il perd ses couleurs fauves. Il s’est éteint. Le mauve du crépuscule mourant transforme le bleu de Prusse en un noir de Soulages. Lumineux. Le feu s’est éteint. Mon rêve devient réalité.
Amateur de sismologie, je sais que ce genre de phénomène ne survient que tous les six ou sept mille ans. Tant de temps s'est- il écoulé depuis l'abandon précipité de la ville? Tant de siècles depuis mes rêves latents? Tant de millénaires depuis ma réalité préhistorique? J’ai atteint le nouveau monde. Une nouvelle planète bordée par la plage sans océan. Un désert confus d’où émerge un sable artificiel qu’on aurait déposé consciencieusement et en secret. La complicité des nuages est avérée. Ils ont déversé une pluie salée. Je suis témoin. Je l'ai toujours été. Comme un chaperon rouge familial ayant semé les éléments indicateurs faisant foi de son omniprésence. Peu à peu le vent se met à souffler. Attention ! Je dois fuir. Je cherche partout une issue. J'aperçois le soleil disparu. Il souhaite passer inaperçu. Il a basculé vers le passé et a changé de teinte. Il est tout blanc, tapi dans l’ombre. Il me faut renaître. L'astre suprême me fait un clin d' œil. Je perçois immédiatement l’appel de mon vieil ancêtre. Il est revenu et me hèle discrètement. Nous sommes complices. D’ailleurs je n'ai pas le choix. Le ciel s'est coupé en deux. Sombre et nuageux au dessus du désert. L’annonce de la fin. Illuminé et coloré en deçà des montagnes. La vie émerge. La genèse. J' appréhende. J'ai déjà gravi des cimes et franchi des ravins. Les crêtes semblent marquer une barrière séparant deux mondes distincts. L'un illuminé plein d'espoir, l'autre éteint et agonisant. Mon imaginaire s’efface. Il est devenu réalité depuis longtemps. Je m'allonge pour la dernière fois sur cet océan de sable. Ses vagues asséchées m'entraînent vers le large. Elles m'engloutissent. Leur regard amer est étrange. J’ai déjà vécu une situation similaire. Jadis. J’y renonce en m'envolant vers les cimes. Le vent m’emmène. Je franchis le seuil des sommets. Je déserte. Un nouveau monde m’attend. La plage n’était qu’un purgatoire. Je viens d'échouer avec fracas dans un ravin échu à l' envers. Pourtant ce n’est pas le passé. Il était caverneux. Au sommet du massif volcanique je suis déjà à son pied. Comme l'Aral qui n'a déversé sa lave que sur un seul flanc. Le noir, le gris, le sable, mais ce n’est pas l’Aral. Il y ressemble. L'autre côté est attirant. J'y suis. Mon corps gît au milieu de la lumière, en plein jour, entre deux collines sans végétation. Elles me font penser à la poitrine d' Emiz. Où est donc ma chérie? Je sais que je vais la retrouver. Sous un autre nom. Sous une nouvelle apparence. La fille de Dieu ne disparaît pas. Encore moins celle de la déesse. Derrière ces buttes un nouveau mur de rochers escarpés lumineux s’érige. Des gardiens immobiles au crâne dégarni. Les cimes pointues ressemblent à des poignards acérés avides de sang. Ils giclent leurs reflets vers le soleil qui leur renvoie ses rayons comme un miroir de ciel bleu sur un lac scintillant. Je me fixe ces pics terrifiants comme but. C'est le seul moyen d'oublier la sécheresse sablonneuse qui m'étouffe encore. Il fait chaud. Le contraste mystérieux surgi entre nos deux mondes m'effraie. C’est la première fois que je déteste l’ombre. La lumière blanche resplendit fièrement au dessus des crêtes. Dans ma réalité onirique, je me dois de l’atteindre. Mon rêve devient réel. La rougeur du crépuscule a envahi le flanc sud. L'ex. Le mien. Je l’imagine car je ne le distingue plus. Il m'imprègne néanmoins de ses couleurs sanguines. Je suis prêt à bondir dans la clarté dominée par le soleil matinal. La résurrection vers le bas. Mon corps se met à trembler.
A l'image d'une étoile inaccessible, l'astre solaire m'interpelle à nouveau et me hèle discrètement. Il ne veut pas être repéré. Il est ma destinée secrète. Je suis investi du devoir d'amener ma propre âme vers un nouvel univers. En phase de conduire le peuple perdu dont je suis l’élu. Les prédicateurs me transformeront en roi mage dépourvu d'encens et de myrrhe pour me réincarner en Moïse, sans peuple errant dans le lit du Jourdain. Je sais que les vagues majestueuses mystérieusement figées et déguisées en guerriers rocailleux aux lances acérées m’ouvrent le passage vers la lumière. Je me dois de franchir inexorablement le mur du jour. Pas celui du Jourdain. Le destin m'a élu à nouveau. Je ne vais pas être englouti. Emariz les retient. Elle les a transformées en roc. Je n'ai même pas besoin de franchir le ravin. Je suis déjà dans la vallée. La chaleur est torride. Mon corps se traîne de douleur. Je distingue au loin une forêt obscure. Mon regard fixe le rayon lumineux qui l’y mène. Il me trace le chemin. Je m’y engage. Le temps me semble long. Je sors enfin des ténèbres feuillues. Je tends le bras dans le seul espoir de m'accrocher à ce rayon généreux. Je souhaite gagner du temps. Je me souviens d'un vieux poème que me lisait mon père qui relatait la montée d'un enfant vers le ciel agrippé à une corde lumineuse incandescente. J'en récite les vers avec enthousiasme. J'en comprends aujourd'hui exactement le sens. La lumière vient de m’engendrer. Cherchant un refuge spirituel, je scrute à nouveau les crêtes et me demande si elles pourraient abriter l'une des demeures d'Emariz. Elle a l'habitude de choisir les hauts sommets éclatants comme habitation. A moins qu’elle ait péri dans l’incendie. Je m'en dissuade car une déesse ne trépasse pas. Elle veille toujours sur les siens. En sacrifice à jamais. Le flanc illuminé ne doit pas être de son ressort. Impossible. Un dieu, encore moins une déesse, ne pourrait exister dans des limites et des confins bien déterminés. Il est partout ou nulle part. Ou il n’est qu’un leurre. La voix rassurante d'Emariz me manque. Ce n'est qu'une fausse pudeur car elle m'a toujours été fidèle. Elle m'a livré provisoirement à mon nouveau sort. Je n'en sais rien. Me reproche- elle d’avoir rêvé? Non, elle m'aime trop. Je sais qu'elle m'incite à avancer sereinement sur le chemin. Mes doutes l'effraient. Elle souhaite me faire comprendre qu’elle est l’inconnu. Je suis dans l'erreur. Il ne s'agit nullement d'un ravin habituel semblable à ceux qui ont forgé la vie depuis la grotte. Difficile d'y croire car depuis des millénaires notre route a été jalonnée de transformations extraordinaires. Elle a du oublier que mon voyage est intellectuel. Je suis en quête d'une preuve supplémentaire pour corroborer ma théorie linguistique. Celle de mon origine et celle de ma langue. C’est tout. Je n’ai pas envie de m’engager dans une nouvelle vie. J’ai trop vécu. Mille vies. La bouche ouverte et la langue asséchée, je crache les grains de sable encore incrustés dans mon palais. Je voudrais que ma langue retrouve son humidité. Sa noirceur m'effraie. Depuis que j'ai lâché le rayon, l'espace qui m'en détache est invariable. Le temps aussi. Je sais que je vais en perdre la notion. Pour l'instant je n'ai perdu que celle de distance. Quelques arbustes longent timidement le sentier. Une colline. Je ressens à nouveau une impression de vécu intense et la vitesse d'exécution de la nature m’alarme. La vie est toujours ainsi faite. Je suis bien placé pour le savoir. Tout cela m'est familier. Plus de retour en arrière. J’ai vécu mon passé. Édifiant mais caduc. Je voudrais connaître ma destinée. Je me demande si l'humanité a réussi à survivre sur sa terre calcinée. Sur sa terre inondée. Je suis conscient d’avoir franchi le ravin définitif. Le plus impressionnant précipice de mon histoire. Je crains ma destinée. Je m'engage dans le sentier des doutes qui m'amènent définitivement vers le futur. Jonché sur le pic, un arbre se dresse. Seul. Sans terre qui puisse recevoir son ombre. Il est dépourvu de racines. Il me semble néanmoins commun. Habituel. Il me parait même sacré. Il est le premier indice d'une vie ordinaire. Le nouvel univers ressemblerait-il au précédent? L'antinomie existante est difficile à comprendre. L'ancien temps, nuageux, obscur et ombragé est associé à la chaleur torride vécue alors que le soleil lumineux l'est à l'humidité et à la douceur. Un esprit divin aurait- t- il modifié les données ? C'est évidemment la conséquence du réchauffement climatique. Je me souviens des ères glacées et de leur prompte déglaciation. De l'arrivée du climat tempéré. De l’octroi d’une nouvelle vie. L'humidité était alors également synonyme de chaleur, de réchauffement climatique. Le phénomène se répète. Alors nous provenions du glacier pour nous engager dans l’inconnu. Aujourd'hui nous quittons la fournaise pour un inconnu identique. La boucle va se refermer. Je souhaite vivement que ce nouveau monde corresponde à la mission dont on m'a investi. Pas à pas, je descends de la colline. Une étendue de terres, de plateaux et de plaines qui se perdent à l'infini s’étendent devant mes yeux. La lumière ne m'agresse plus. Je m’y suis habitué. L'ombre abandonnée réapparaît timidement. Le ciel bleu qui surplombe cet univers me fait augurer un bonheur intense. Les terres lointaines paraissent néanmoins inaccessibles. Je me sens enfin libre. L’allégresse comble le trou de l'enfer. Emiz accapare mes pensées. Elle me manque. La vision des ravins franchis à ses côtés m'envahit l'esprit. Je ne peux plus faire marche arrière. J’ai espoir de la retrouver. De les retrouver. Je m'engage avec audace sur la nouvelle voie. Aucune voix ne me donne plus aucun conseil. Aucune embûche n'entrave mon chemin. Aucune difficulté ne me fait plus obstacle. Je ne trébuche plus. Ne chute plus. Je salue respectueusement l'avenir lointain. Le Xubiltz préhistorique, le professeur devant ses élèves et le linguiste à la théorie du IZ ne font plus qu'un. Après tout ce désordre, il est temps de plonger à la recherche de la preuve finale, celle qui va donner suite à la vie nomade, qui va convaincre définitivement les élèves de la provenance de notre peuple et qui deviendrait sujet d'étude et d'analyse du groupe de linguistes réunis en séminaire à Arizkun. Je n’en ai plus aucun doute. Mon rêve s’est transformé en réalité. Le concret en abstrait. Big Bang !
- Du calme- me dit-t-elle pausément- Tu as tout ton temps. Ne mets pas ta vie en danger.- J’en étais sûr. Elle attendait que cet épisode tourmenté s’emplisse de sagesse, que mes craintes s’estompent et que mon chemin retrouvé, je sois prêt à m’engager sereinement dans mon destin. Elle ne pouvait pas m’abandonner. Toute une vie ensemble. Elle regrette de m’avoir fait souffrir et de m’avoir fait perdre trop de temps. La transition entre les deux mondes aurait pu être moins onirique. C’est pourtant elle qui m’a plongé dans ce rêve réel.
- Repose-toi à présent, me chuchote-t-elle- Et bercé par un chant mélodieux, je m'endors profondément à l'ombre d'un nouvel arbre. Elle est à l' origine de ce sommeil si absent pendant longtemps. Un bonheur. Mon réveil en est l'apothéose. Comme par enchantement, je suis sain et sauf. Je n’ai éprouvé aucun dommage physique. Plus aucune égratignure. J'ai dévalé d’autres pentes abruptes sans encombre. Je suis dans la plaine. Emariz m'avait bien averti. Je ne suis plus à la recherche de ma vie. Je souhaite simplement corroborer l’origine de sa langue. Je me retourne et contemple au loin un torrent qui se jette dans le vide. IZGOAZU. Mon regard s'élève une dernière fois. Je suis conscient que je proviens de sa source. Je promets de ne plus scruter jamais les cimes. Elles me sont aujourd’hui étrangères. Je me souviens de l’ovni circulaire. De la plage. Serais-je sur une autre planète ? Ma longue barbe rousse me fournit la preuve que ma précipitation dans le vide a duré très longtemps tout le long des parois escarpées. Elle ressemble au paysage automnal qui m’entoure. Les feuilles mortes qui avaient matelassé ma chute s'envolent grâce à un coup de vent impromptu. Elles me parlent - Suis nous- Et c'est ainsi que je me redresse prêt à m'engager sur la route de la vérité. J'emprunte lentement le sentier qui mène vers l'ouverture définitive de la vallée. Mon accoutumance à ces chemins, ces vals et rivières me font pressentir la présence apaisante de la mer. Je n'en ai plus aucun doute. Je continue mon chemin parmi les rochers couverts de mousse verte. Des étendues d'herbe humide de verts différents s'étalent devant mes yeux. Ils me font penser à mon ancien monde où les prairies et les champs avaient supplanté la glace fondue, où les glaciers s’effondraient augmentant ainsi le niveau de la mer, où les torrents dévalaient la pente en quête d’une nouvelle vie salée. J’hésite. Je suis comme l’eau du fleuve qui descend vers la mer et que la marée haute arrive à ralentir, puis à stopper. Juste le temps de respirer et de redescendre ensemble vers IZOSO. C’est ma destinée.
Le pays des Aliziens
Au bout de quelques jours de marche sur la vaste plaine, je crois enfin déceler la présence d'un personnage qui tient un panneau indicateur à la main. Un mirage. Il porte un chapeau de paille qui dissimule son visage et tient dans l'autre main un balai fait de branches de buis. Il semble me montrer le chemin à suivre à contrecœur. Je pense qu’il pourrait s’agir d’un homme ayant mené une vie maussade. Une fierté démesurée se dégage de sa posture, comme s'il souhaitait affirmer qu'il était chez lui et que l'accès à son monde était réglementé. Je crois y percer les traits d’un visage connu. Je décide de m'en approcher.
Déception, il ne s'agit que d'un épouvantail. Ce mannequin me fait néanmoins augurer une présence humaine. Quelqu'un a bien du installer ce pantin désarticulé à cet endroit précis. Des agriculteurs afin d'éviter que les oiseaux ne dévorent les plantations environnantes. A mon approche, un immense banc de moineaux s'envole de ses bras abandonnant ainsi le corps statique et inutile. A quoi sert donc cet épouvantail s'il est dépourvu de sa propre raison d'être? Il n’est pas destiné aux oiseaux. Il s’adresse sûrement aux visiteurs indésirables. Je me sens intrus.
La flèche indicatrice qu'il tient à la main me montre le chemin à suivre. Fatigué, je m'assieds à l'ombre qu’il projette en prenant appui sur le pieu qui fait office de corps. Il ressemble à un personnage de carnaval rural peu soigné. Il porte une chemise bariolée, un chapeau de paille et un pantalon bleu de travail. L’ombre de son corps statique me paraît salvatrice. Comme si mon arrivée lui avait été annoncée, il a fait fuir les moineaux afin d'engager un dialogue personnel avec moi. Il n'existe aucune plante, aucun semis, aucune céréale, aucun arbre fruitier à protéger. La présence de l'épouvantail doit être purement esthétique, indicatrice, ou tout bonnement hospitalière. Le mot ALIZERRIA, le pays des Aliziens, effacé par le temps, figure en gros caractères sur l'écriteau.
Je poursuis mon chemin. Longtemps. En dehors du chemin, je remarque une chute d'eau déversant un mince filet dans une mare stagnante. Elle ressemble aux ruissellements sur les parois de la grotte qui nous désaltéraient. Tout paraît paisible. Autour, se dressent quelques châtaigniers dont les bogues traînent négligemment sur l’herbe. L’automne. Je tiens à l’observer. Je m'assieds contre l'un des troncs et admire le paysage. Les fruits d’un pommier me défient de ses couleurs rouges. Il en laisse choir une. Je m'empresse de la ramasser. Il me paraît étrange de voir des pommes mûres en automne. Le temps des saisons n’existerait plus ? Je la croque à pleines dents. Son jus savoureux me délecte les papilles. C'est mon premier aliment depuis la plage déserte au pied des montagnes. Le ravin est déjà bien loin. J'ai l'impression de plonger dans un monde où le soleil laisse place à la brume. La notion de temps et de distance égarées, je scrute l'épouvantail qui me rappelle mon passé caverneux. Je me revois, vêtu de peaux en lambeaux, quittant la grotte pour suivre la rivière en direction de la mer. Un destin similaire semble m'attendre et le nom d'Alizerria qui indique une ville, une contrée ou un pays va égarer mon esprit. Ce n'est pourtant pas le moment car je suis venu à la recherche de l'origine de ma langue. Un pressentiment raisonnable m'envahit. Cette terre est peuplée et sa population écrit. Les lettres figurant sur le panneau indicateur me remplissent d'espoir car si elle écrit, elle parle et possède donc une langue. J’ignore encore sa morphologie, sa phonologie et sa structure mais je suis certain que je trouverai un idiome sujet aux conditions atmosphériques, seules aptes à bouleverser le mode de vie des gens qui le véhiculent. Le monde se répète. Toujours. Je souhaiterais tellement découvrir que nos deux langues soient nées d'un tronc commun.
Le pays des aliziens ne devrait pas être trop loin. J'en aurai le cœur net en avançant sur le chemin. Je reprends la route vers l'inconnu. C'est ma destinée. Bien éloignée du passé en constant mouvement vers le présent. La perte de la notion du temps ne me perturbe plus et j'ignore vraiment si je me trouve dans le même monde ou si j'ai atteint une autre planète. Je suis prêt à accepter toutes les explications, d' autant plus que la voix d'Emariz m’a conseillé d'oublier mon vécu. Habitué à lui obéir j'endosse le costume d'un nouveau- né à la découverte du monde. J'ai l'impression de croquer une pomme pleine d'enseignements dans l'espoir que personne ne me châtiera de l'avoir dégustée. Une fine couleuvre glisse sur le sol. Elle a l'air libre. Je lui lance violemment le trognon de pomme. Elle s'enfuit. Moi aussi je me sens libre. Je quitte l'ombre de mon arbre et me mets à déambuler sur le chemin, les mains dans les poches, en sifflotant, comme si j'étais absolument seul sur cette terre. Pourtant elle a une histoire et les pierres volcaniques qui abondent autour de moi sont révélatrices d’un passé igné. Je distingue encore l'épouvantail qui continue à me narguer. Il n’a aucune de raison de le faire. Ce n’est qu’un pantin. Je lui aurais bien demandé des précisions sur le Pays des aliziens. Que sais- je ? Sa superficie et sa population par exemple, des renseignements sur leur langue mais son panneau écrit à la main m'indique la route à suivre. J’ai l’impression d’être silencieusement expulsé. Bref, je sais pertinemment qu’en continuant mon chemin ma rencontre avec les habitants de ce pays s'avère inéluctable. Je sens la mer proche. Son embrun me délecte les narines. J'en distingue la lumière. Cette couleur maritime du ciel et sa luminosité intense. Un parfum d’iode m’envahit. Je ressens les gouttes d'écume imperceptibles projetées au loin par le vent. Une capacité innée, héréditaire, congénitale. Comme les marins. Une existence océanique devenue essence humaine. Ces pensées m'engagent davantage encore dans la voie de ma destinée.
Tout à coup, je sens une présence. Tel un phare, je balaye du regard les environs sans percevoir de présence humaine. Pourtant! A l'image de la mer que j’ai devinée à son insu, quelqu'un m'épie. Je n'ai pas rêvé. Quoi de plus normal que des individus apparaissent à l'improviste. La peur me gagne. Je poursuis ma route. Comme sur mes gardes j'avance lentement. Il me semble que le temps ralentit. C’ est le moment de vieillir. Je n'y suis pas accoutumé. Toute ma vie antérieure a été dépourvue d'âge. Ce nouveau monde n'est plus intemporel. L'océan alizien va ébranler mes habitudes. Après voir abandonné mon peuple, Emariz m'aurait- elle quitté ? Non. Elle n’a jamais abandonné personne. Ma mission est exclusivement d'ordre solitaire. J'ai quand même une sensation de déjà vécu.
Des cris d'enfants attirent mon attention. Ils sont là- bas, assis par terre, très souriants. Ils jouent et échangent des mots qui me semblent incompréhensibles. Je m’approche discrètement. Leurs yeux brillent de malice. Je me cache derrière un arbre et me mets à les observer. Ce sont deux petites filles de sept ou huit ans. Elles ont l'air heureux. Leurs rires me touchent. Ils viennent du fond du cœur. Ce n’était pas le chic de mes amis d’antan. Ils n’étaient pas amusants. D'arbre en arbre, je me déplace à petits pas. Je m'approche d'elles sans être vu. Elles sont vêtues de jupes écossaises d'écolières, plissées à carreaux bleus et verts et de longues chaussettes bleu- marine, laissant apparaître leurs petits genoux bronzés. Une chemise blanche couvre leur torse et leurs cheveux sont enlacés de minces rubans blancs nouant deux minuscules couettes amusantes. Les jambes croisées, occupées à déplacer des pions, elles sont assises par terre, un palet dans la main. Sans doute un jeu de filles. Elles discutent comme de petites adultes dans une langue inconnue que je ne perçois pas bien. Les battements de mon cœur s'accélèrent. J'écoute. Je décide de sortir de manière impromptue de ma cachette pour observer leur réaction. Leur sourire et leur regard hagard me démontrent qu'elles croient avoir à faire à un extraterrestre. Effrayées et jetant leurs instruments, elles s'enfuient à toutes jambes vers le chemin. Je réalise alors mon allure négligée. De longs cheveux crasseux qui tombent sur mes épaules couvertes d’une chemise blanche en lambeaux, une longue barbe hirsute et intemporelle qui cache mon visage bronzé, de longs ongles noirs ressemblant à des serres de vautours égarés et de répugnantes traces de blessures encroutées sur mes mains sales, sans oublier la plante des pieds noircie par la longue marche millénaire. Une réincarnation de l’épouvantail mais en pire.
Dans leur fuite, j’entends crier les enfants. Il me semble saisir quelques bribes de mots en anglais- Un fantôme! Come on! Get out! A ghost!- Il me semble avoir rêvé de les entendre parler anglais. Je préfère l'oublier. Comment des enfants d’un pays perdu pourraient- ils parler anglais? Serait- elle devenue la langue suprême et aurait-t- elle réussi à s’imposer sur toutes les autres langues du monde occidental? Aurait- t- elle franchi des ravins et se serait-elle installée sans vergogne dans cet univers lointain ? D’autres auraient donc traversé le précipice avant moi. Je n'aurais donc pas changé de planète. Les nombreuses interrogations me submergent. Le réchauffement de la planète n’aurait-il pas réellement sévit ? Le climat océanique du pays des aliziens semble calme, traditionnel, loin d’avoir subi des modifications importantes du paysage. Le seul et unique point qui me tourmente est la présence des pierres volcaniques qui attestent d’un passé de feu. Elles me font penser à Alar, le volcan en éruption qui avait causé tant de dégâts. J’ai l’impression d’être arrivé dans un monde antérieurement assailli par le feu et qui aurait repris son mode de vie quotidien. La lave, ses braises et les cendres éteintes auraient pu permettre à une nouvelle ère de survivre. Nous avions vécu une situation identique, plusieurs fois, notamment lors des glaciations Wurm, Riss et Mindel et à chaque reprise notre planète avait ressurgi. Le dernier ravin qui avait accompagné l’arrivée du climat tempéré et l’abondance d’eau avait modifié notre monde ainsi que nos modes de vie. Les aliziens auraient-ils vécu une situation similaire grâce à une vivification du feu ?
Je suis profondément déçu des mots en anglais que j’ai cru entendre. Je ne voudrais pas retomber dans un univers anglophone. Moi qui viens à la recherche de la preuve de mes origines linguistiques, comment admettre que les "yankees" soient parvenus à dominer le monde. Les mondes. Je me dois de vérifier et d’approfondir cette constatation. Je perds les gamines de vue. J'essaie de suivre leur chemin d'un pas rapide en empruntant la seule voie existante qui longe le cours du fleuve. Je risque d’atteindre la mer. C'est à la fois libérateur et angoissant. Je souhaiterais tellement rencontrer d’autres humains. La stimulation est énorme. La crainte aussi. J'appréhende de découvrir ce monde inconnu. Toutefois, à la vue de ces enfants, je leur imagine des parents du genre humain. Comme moi. J'avance à grands pas sur le sentier profitant de la beauté du paysage. Il est maintenant orné de vallées, de ruisseaux et de rivières, de prairies. Les forêts lointaines lui offrent un chromatisme merveilleux, jusqu’au pied des montagnes escarpées de couleur bleuâtre. Ton sur ton, le ciel est également d'un bleu azur étonnant. Je marche longtemps sans pour autant rencontrer d'habitations. Les prairies sont divisées par des murets en pierre qui délimitent les espaces agricoles. Je pense au passage de notre civilisation du mésolithique au néolithique, période à laquelle l'agriculture et l'élevage apparaissent et le paysage se transforme. C'est alors que le Pays Basque devint ce qu'il est aujourd'hui, une terre façonnée par ses habitants où les parcelles vertes sont destinées à élever les animaux. Le site qui s’étend devant mes yeux lui ressemble étrangement. La nuit tombe et je profite de la présence isolée d'un grand chêne pour m'assoupir. La température est agréable.
A mon réveil, je suis encerclé par une troupe d’enfants ébahis par ma présence devant eux. Les deux fillettes sont au premier rang. Elles ont rameuté tous leurs amis afin de leur faire partager ce spectacle peu commun. Elles ne doivent pas me craindre pour agir ainsi. La petite au premier rang en face de moi semble rechercher mon regard. Elle me sourit. Je lui réponds gentiment. Tous éclatent de rire. Me manquerait-il des dents ? Ils communiquent entre eux dans une langue inconnue. Pas en anglais. Pourtant …Ne sachant que faire, je décide de me lever. Ils m’entourent et me font signe d’avancer en passant devant. A l'image du flûtiste d' Hamelin, la meute d'enfants se dresse en colonne derrière moi et m'emboite le pas. Nous marchons dans la direction indiquée par l'épouvantail. Les deux petites sont à mes côtés. Nous marchons ainsi plusieurs kilomètres. Tout à coup, à la sortie d'un virage, deux hommes armés nous ordonnent de stopper. J'essaie de leur faire comprendre que je ne suis pas leur ennemi. Ils le voient bien grâce à l'amicalité des enfants. L’épisode de l’ours me revient à l’esprit. Ils veulent connaître mon identité et ma provenance. Dans un anglais approximatif je leur réponds vaguement. Ils n'apprécient pas mes réponses et poursuivent leur échange particulier. Parfois ils font des apartés dans une autre langue qu'ils croient étrangère pour moi. Je ressens une sensation familière. Ils me font asseoir gentiment pour un interrogatoire plus poussé. Je ne sais pas quoi leur dire si ce n'est que j'ai perdu la mémoire et que mon amnésie a été provoquée par la descente du grand ravin. Ils ne me croient pas car personne n'est capable de franchir ce mur du temps. Ils m'expliquent que ces cimes atteignent les douze mille mètres, hauteur insupportable au maintien de la vie humaine. Pourtant… Je me souviens que l'Everest, le sommet le plus haut de la terre atteignait les 8848 mètres. Seraient- ils antérieurs à la découverte de Copernic et penseraient-ils que la terre est plate et qu’ils seraient projetés dans le vide au-delà de ses limites? Impossible, leur présence est postérieure à la mienne. N’auraient-ils donc pas encore découvert la rondeur de la terre ? Peut- être. Considéreraient- ils que l’au delà des montagnes serait un gouffre vers le néant? Je me résous à leur confirmer que j'ai perdu la mémoire. C'est plus prudent. En plus, ce n'est pas faux. Je ne me souviens plus de rien. A cet instant je ressens une sensation étrange. Comme une perte de la notion de gravité. A l'image de celle que pourrait ressentir un oiseau inconscient en chute vertigineuse, une sensation d'aisance et de légèreté qui me fait penser au bien-être qu'on éprouve un instant avant la mort. Toutes les vies que j’ai parcourues m’ont évité la disparition physique et intellectuelle, mais plus d’une fois j’ai ressenti cette sensation de défilé d’images dans le tunnel du non retour, retraçant ainsi toutes les périodes de ma vie. C’est un secret. J’étais alors certain de mourir mais Emariz m’a toujours sauvé la vie et aidé à renaître pour plusieurs générations. Ce n’était point une renaissance puisque je conservais le même âge. Toujours trente deux ans. Je crois. Parfois j’ai trouvé cet épisode enfoui et obscur interminable, comme si le chemin vers la mort était plus long que la vie ou que la mort. Jamais en temps puisque j’en avais perdu la notion, mais en péripéties et en événements essentiels. Évident. J’ai toujours revu l’ensemble de mes vies. Il en est toujours été ainsi. Ma vie millénaire ne s’est jamais écoulée en vain.
Je suis soulagé d’avoir rencontré ces aliziens. C'est la première phase de mon voyage. Il ne reste plus que la mer et l'analyse de leur mode de vie et de leur langue. J'ai l'impression que cet idiome ne m'est pas étranger, comme si un biscayen se demandait si le souletin était du basque. Il me perturbe car j’ai la sensation de comprendre son ossature. Il me semble percevoir le squelette d’un homme dépourvu de chair tout en reconnaissant ses traits. Je comprends parfois ce qu'ils disent. Je me demande s’il ne s’agirait pas d’une déformation de l’un de nos dialectes basques et si le temps n’aurait pas provoqué une usure logique du vocabulaire. Nous reprenons la marche en direction de la ville. Ils ont baissé leurs armes et les enfants nous suivent en jouant. Les environs s'éclaircissent, ce qui me fait augurer la proximité de l'océan. Je ressens l'embrun caractéristique des bords de mer. Une chaîne de dunes s'étend devant moi. Nous gravissons la dernière. La mer apparaît devant mes yeux. Majestueuse. IZOSOA, ITSASOA, le confluent de tous les ruisseaux, rivières et fleuves si attendu. Le bruit des vagues m'émeut au plus haut point. Des rafales puissantes de vent balayent les lieux en provenance de l’océan frangé d’écume. Des nappes blanches tourmentées courent sur les vagues au dessus desquelles tournoient mouettes et goélands. L'horizon est toujours inaccessible. Il est tellement beau que sa lumière illumine et réchauffe mon cœur. Une végétation arbustive abondante nous entoure à présent. Les tamaris encadrent le paysage maritime à tel point qu’on se croirait en Provence, à l’Estaque peinte par Cézanne. On n’entend plus que la rumeur des vagues qui monte de la grève rocheuse mêlée aux appels déchirants des oiseaux marins. Nous avançons sur le chemin d’où s’ouvrent de nouvelles fenêtres au milieu des arbustes sur l’océan. Je suis heureux.
Le trajet
Je marche sans peine. Entouré de mes deux gardiens et des enfants, nous nous engageons sur la promenade maritime du pays des aliziens. Le vent souffle et la mer est agitée. Sur la droite et pour la première fois je distingue des habitations, toutes de style identique, de petits édifices blancs à colombages rouges, verts ou bleus, toutes pourvues d'un jardinet. Je n’aime pas trop. Elles me font penser à la côte basque de mon ancien monde où dans les dernières années l’architecture était devenue lassante et monotone. C’était beau, oui, mais morne, triste et dépourvu d’avenir. A la vue de ces habitations, on se croirait face à des ruches d’essaims d’abeilles colorées où les insectes seraient devenus des vertébrés importés par les préceptes imposés.
J'ai l'impression qu'il s'agit d'un quartier résidentiel, bien éloigné de zones industrielles situées habituellement en périphérie. A gauche s'étend la mer jusqu'à l'horizon. Elle me hèle bruyamment. Elle sait que je n'en suis pas insensible. On dirait que pour attirer mon attention les vagues ont cessé leur mouvement afin de créer une étendue calme et satinée, un lac sans courants. Elle sait que j’apprécie l’eau. Les couleurs célestes sont extraordinaires. Le soleil plonge derrière l'horizon cherchant à dissimuler son visage rougi de timidité. A l’image de sardines scintillantes, des bancs d'étoiles brillantes surgissent de la mer. Personne ne les remarque et le cortège avance tête baissée vers sa destination. Le beau paysage ne les attire plus du tout car trop habituel. Je pourrais le comprendre de la part des enfants. A vrai dire, ces deux hommes ont l’air assez rustre. La complicité des fillettes me laisse supposer qu’elles pourraient être cousines. La promenade du bord de mer mène à une butte où clignote la lumière d'un sémaphore. De nouveaux tamaris à l'air souffrant tortillent leurs branches de douleur. Nous franchissons la colline et nous nous engageons dans un sentier balisé qui mène à la ville. Je suis à présent en tête de cette procession toujours flanqué de mes deux gardes armés mais passifs. La ville apparaît au loin. Je suis immédiatement frappé par l’absence d'église. Dans mon pays c’était le premier bâtiment en évidence. De belles maisons cossues constituent le centre ville. Les plus humbles ornent leurs façades de colombages de couleurs. L'un des gardiens se met en colère lorsque nous passons devant une villa plus moderne sans rapport avec la construction dite locale. J’ai le sentiment qu’au nom de lois et règlements erronés toute innovation artistique est exclue et toute architecture innovante rejetée, comme si la culture se résumait à ces ruches rouges et vertes dépourvues de ces abeilles. Ma mémoire est à la recherche de conversations animées qui traitaient parfois d'architecture lors des séminaires de mes amis linguistes. Beñat Oiharzabal avait l' habitude de dire que les basques du nord ne s'attachaient à l'architecture locale que lorsqu' ils avaient perdu toute leur identité, devenue exclusivement géographique et lorsqu’ils résumaient la culture basque à interpréter des chants basques, un verre à la main, sans en comprendre le sens, la langue basque ne faisant plus partie de leur panoplie depuis longtemps. A ses dires, ces renégats considéraient la fête comme le socle culturel par excellence et, à l’instar de leurs maisons, ils adoraient se grimer en rouge et vert pour faire ainsi défi à la tradition ou à la trahison, qu’il aimait si souvent évoquer avec tristesse et humour.
J'ai exactement la même impression en observant mes gardiens qui ne parlent leur langue qu’entre eux et sans témoins. Au premier abord, il me semble qu’ils souhaitent s’en éloigner de peur d’être considérés comme des paysans. L’alizien doit sûrement être dénigré par les citadins. Ils me font penser à nos basques géographiques. Nous croisons un groupe de femmes se promenant sur le sentier. Elles parlent anglais. Je me demande si la particularité est également bannie dans ce pays. Abandonnant la zone de villas, nous arrivons à la partie portuaire. Les habitations sont plus humbles. Leur disproportion me choque. Elles sont hautes et étroites, comme si une seule pièce occupait la largeur de la façade. Toutes les petites fenêtres donnent sur des balcons fleuris à larges barreaux de bois vert ou bleu. Les fleurs suspendues dissimulent en partie les colombages. C'est beau et kitch à la fois. Nous pénétrons à présent dans les rues encaissées de l'intérieur de la vieille ville qui débouchent sur le port. Le quai est très animé. On vocifère. J’ai l’impression d’entendre un vol de mouettes criardes au dessus d’un bateau chargé de poisson étripé. Les pécheurs déchargent les thons qui sont remontés des bateaux un par un et de main en main jusqu’ au sommet des escaliers de pierre comme des ballons de rugby, puis projetés bruyamment dans des chariots à barreaux métalliques. Ces pauvres bêtes d’un bleu acier couleur d’obscurité mortelle, laissent apparaître sur leur gueule des filets de sang asséchés. A leur plus grand plaisir, les touristes prennent en photo les pêcheurs vêtus de cirés brillants jaunes ou verts ainsi que la grande quantité de thons béants remplissant ces cages ouvertes. La scène fait penser à une pêche miraculeuse. Certains marins posent. D’autres font mine de n’avoir pas remarqué les photographes et sont fiers d’afficher leur dextérité. Je suppose que l’activité portuaire est un des éléments moteurs de l'économie locale.
La marée baisse. Je remarque qu'en peu de temps les barques qui flottaient amarrées aux bites d'amarrage des escaliers en pierre ont disparu de mon axe de vision. Il en est de même des mâts des bateaux qui semblent tout à coup plus courts. Vue de loin, la coque des grands thoniers est maintenant dissimulée sous le quai. Comme issus du fond de la mer, les thons gluants continuent de sauter et virevolter entre les mains des pêcheurs. Les cris, les sifflements et l'impact des jets d'eau sur les ponts rythment la danse des lourds poissons. Le nettoyage a commencé. Les pontons s‘agitent dans tous les sens et leur craquement irrégulier fait croire à un affaissement immédiat. Il n'en est rien. Ces bruits sont tellement habituels que je suis le seul à les entendre. Un peu comme dans cette forêt toute nouvelle. Les effets sonores de ma ville menacée par le volcan Alar me reviennent en mémoire. Les deux fillettes rient et parlent fort. M’escorter est comme un jeu. Le caractère masculin de la profession maritime met en exergue leurs voix aigues qui ressemblent à des violons dominant un orchestre symphonique grave. On quitte le port et nous nous dirigeons vers la butte. En haut de la côte, les deux hommes armés ont stoppé la marche. Ils souhaitent me montrer la vue portuaire inédite de loin. Ils ignorent que j'ai déjà vécu toutes ces scènes. On pénètre en ville. Tout le monde les connaît. On les salue. Les enfants aussi. Personne n’est surpris par les armes qu’ils tiennent le long du corps. Je remarque que les panneaux indicateurs sont écrits en bilingue, en anglais bien sûr, mais aussi dans une langue inconnue. L’écriteau qui s'érige devant moi indique le centre ville: Town- Alalo. Je réalise que je n'ai pas entendu un seul mot d'anglais sur le port et que les pêcheurs ne communiquent qu’en alizien. Ce n'est pas le cas de mes gardiens qui l’ont abandonné pour s’exprimer en anglais dès leur entrée en ville. Ils ont l’air fier de l’avoir renié. Nous sommes arrivés. Nous nous arrêtons devant une demeure à l'architecture locale située à l’arrière du port. Les fillettes entrent en courant embrasser leur mère. Les deux hommes posent les armes et me font rentrer dans la demeure. Ils me demandent de m'asseoir gentiment. La menace a disparu. Deux femmes vêtues d'un tablier de travail préparent le souper. Une odeur agréable de poisson se dégage de la marmite, celui d’un ragoût de thon de tomates et de poivrons qui cuit à feu doux. Les femmes me sourient aimablement. Elles se présentent, Malen et Malalen. Je les salue. Je n'ai rien avalé depuis mon départ de la plage et l’arome de la marmite me creuse l’estomac. La pomme près de l’épouvantail ne m’a pas rassasié. Malen me sert un verre de vin local. Il est très agréable au palais. L'une des femmes m'explique que leur petit pays à densité importante est situé entre la mer et la montagne. Ses habitants parlent l'Alizien, langue co-officielle du pays. Elle m'explique que la géographie de leur territoire est divisée en provinces, certaines industrielles, d'autres agricoles ou vouées à la pêche. Ils ne dépendent pas d’un état. Ils ont disparu depuis des lustres. Le Pays des aliziens fait partie d’un continent divisé en une fédération de nations. Chacune a sa langue et sa culture et l’anglais leur permet de communiquer entres elles. Comme pour éviter de se faire comprendre, leurs apartés se font en alizien. Elles ne peuvent pas imaginer que j’en saisisse le sens. Pas tout, bien sûr mais son ossature ne m'est pas étrangère. De la même manière que j’avais cru comprendre les propos des enfants. Mystère. Profitant d'un instant de silence, j’engage la conversation sur la raison de mon voyage, leur langue. Je leur explique qu’elle pourrait me servir à retrouver l’origine de la mienne. Elles n’y comprennent rien. D’ où viendrais-je? Je leur demande infructueusement de me faire un bref résumé de l'histoire de leur peuple. Aucune idée. Ni du parcours historique de leur pays, ni même de leurs racines, si ce n’est la constitution antique du continent fédéré. Le sujet n’a aucun intérêt pour elles. Il est à mille lieues de leurs préoccupations. J'insiste. Elles répètent souvent qu'elles sont continentales et citoyennes du continent. Leur nation est d’ordre secondaire. C'est bien ce que je pensais. Un peu comme les gens de chez moi, simplement attachés au paysage, à l’architecture et au chant. Alors que je les interroge sur l’alizien, elles me répondent que c'est un dialecte oral réservé à la pêche et l'agriculture. Pas une langue. Elles l’ont appris naturellement à la maison et l’ont un peu oublié à présent. Elles ne s’en servent qu’insidieusement. L’anglais leur paraît le seul idiome cultivé. Quoi de plus naturel. Elles l’ont appris à l’école puis il est devenu idiome essentiel de leur vie. Je connais ça. Je déteste la soumission. Encore plus le folklorisme dépourvu de culture propre aux pays ayant perdu leur identité. Sans percevoir mon indisposition, Malen ajoute que l'alizien est démodé et que l'anglais est devenu la langue moderne par excellence, celle qu’on parle partout, à la radio, à la télévision, à l’école. La seule digne de transmission. Elles considèrent l’alizien comme un parler ancestral de paysans ou encore de nationalistes locaux. Elles les détestent. Leur indifférence ne me surprend pas. Je l'ai déjà vécue. Malgré tout, je suis heureux d’apprendre que toute la population ne pense pas comme elles. J'espère en rencontrer rapidement. Quoiqu’ il en soit, les deux femmes sont adorables. Malen a mon âge, trente deux ans, des yeux bleu- vert splendides qui dégagent un regard séduisant. Au contraire, Malalen, un peu plus âgée, est plus corpulente et son sourire radieux laisse apparaître deux incisives amusantes qui lui octroient un charme certain. Les deux femmes sont sensibles et intelligentes. Leurs maris ne parlent pas beaucoup. Ils ont l'air brave et serviable. J’ai décidé d’oublier notre première rencontre armée. L’époux de Malen s'appelle Izar et n'est pas originaire du pays. Il est venu travailler le poisson et dirige une conserverie. Il n'en a pas du tout l'air. Alzor par contre est d'origine alizienne et n'a jamais quitté sa ville. Ils logent tous dans la même demeure, les premiers à l’étage, les autres au second. Tout le rez-de-chaussée est commun et composé d’un salon spacieux, d’une grande salle à manger et d’une cuisine incorporée où ils prennent leurs repas tous ensemble. Nous sommes à table et le bon vin a délié quelque peu les langues. Alzor commence à raconter des aventures de jeunesse. Izar, plus discret, se tait. Je trouve drôle que personne ne me pose de questions sur mon origine. Le diner se termine dans la bonne humeur. On me montre enfin ma chambre que je gagne rapidement. Je m’endors.
Les rayons de soleil qui pénètrent tôt à travers les stores transparents projettent une lumière blanche désagréable. Je m'enfouis sous les couvertures. Il est cinq heures du matin. Je suis forcé de me lever. J’ouvre les fenêtres. La vue qui s'étend devant moi est remarquable. Le port dans son accalmie matinale. Je n'avais pas imaginé qu’après tous les tours entrepris dans le vieux quartier, le balcon de derrière puisse donner ainsi sur le quai qui est absolument désert. C’est beau. L’activité portuaire s’est interrompue. La marée haute a surélevé les coques rouges et vertes des bateaux fortement amarrés. Ils ressemblent à des gardiens gigantesques veillant sur le port. Une montagne solitaire s'érige comme un décor théâtral en fond de scène, un sommet orné d'une longue antenne fournissant une continuation verticale aux mâts des bateaux comme si un artiste- peintre l'avait sciemment dessinée à cet endroit précis pour compenser et équilibrer la composition du site. Une heure s’est écoulée. La sirène stridente de la conserverie sonne le glas aux ouvriers qui, la mine triste embauchent à six heures. Je compatis. Une des petites me hèle d’en bas pour me dire que le petit déjeuner est prêt. J'ai besoin de dix minutes supplémentaires pour prendre une douche réparatrice. Mon dernier contact avec l'eau me ramène au ruisseau aux reflets limpides dans lequel j'avais vu mon visage boursouflé. J'ai du mal à sortir de la douche. Je m’y sens bien. Ils m'attendent autour de la table. Je m'assois quelque peu intimidé à la même place que la veille. Nous déjeunons en vitesse. Trop vite. Mais le travail journalier et l'école les attendent. Malen accompagne les petites. Je me joins à elles. Alitxo me tend la main. Je suis heureux de la lui prendre. Elle me fait un sourire. Au bout d'un quart d'heure de marche nous atteignons l'école. La fillette me salue et Malen se rend à son travail.
Enfin seul! Je vais pouvoir découvrir la ville et me plonger dans mes pensées sans que personne ne me dérange. Je prends la direction du centre. J'aperçois une librairie qui vend des plans de la cité. La vendeuse s’adresse à moi en alizien. Je dois avoir l’air local. J’ai compris ses paroles. Je lui réponds en basque. Elle saisit tant bien que mal le sens de ma phrase. Bien que nos deux langues soient absolument différentes, leurs constructions sont similaires, ce qui aide quelque peu à leur compréhension. Je n'ai point besoin d'avoir recours à l'anglais. Chacun s'exprime dans sa langue sans effort particulier. Je ne sais pas comment l'expliquer. Je pense à la morphologie du basque et décèle immédiatement dans l’alizien des éléments communs. Seraient – elles apparentées? Je me dois de l'approfondir.
Comme je l'avais pressenti lors de mon arrivée, la ville est divisée en trois parties, le centre- ville, le port et la zone résidentielle. Je me dirige vers l'Alalo, le centre. J'emprunte des rues commerçantes très animées. De temps à autre des grands édifices officiels parsèment la chaussée. Le plan m'indique qu'il s'agit du palais du gouverneur, du commissariat de police, de la bibliothèque et de la mairie. Des constructions massives en pierre grise. Tous ces édifices sont garnis de trois mats qui n'arborent aucun drapeau. Je n'en comprends pas la raison. Parfois une seule enseigne bleue étoilée vient orner le balcon. Elle ressemble au drapeau européen. Je déambule dans les rues en observant les gens. J’en déduis que deux sortes de populations se côtoient. Les uns ont le teint brun et la peau tannée par le soleil maritime. Ils sont vêtus d’habits sombres. Uniquement les jeunes changent d’aspect et ont l’air plus sportif sous leurs survêtements bleus, gris ou noirs. Les plus âgés ont la mine triste et la résignation se dégage de leur regard. Les autres, venus sûrement d' ailleurs, sont en short, et habillés d’habits plus colorés. Ils n’ont rien à déplorer. Je suppose qu’il s’agit d’anglophones.
A mon arrivée sur la place principale, je suis impressionné par l'architecture du bâtiment dominant qui s'avère être la bibliothèque municipale. C'est un édifice ancien. Il est construit en pierre mais prétend dévoiler malgré tout une certaine modernité. A l’instar des bateaux grandis par la marée, sa taille est imposante. Les armoiries qu’il arbore représentent un fier cyclope, comme si un seul œil suffisait à évoquer fièrement son histoire. Il brandit un rôle de gardien évident. A sa droite, un jardin de roses délimité par des galets côtoyant quelques arbrisseaux ainsi que des massifs de fleurs de laurier rose. J'imagine alors Emariz, ou même Mari, ayant envoyé son messager Tartalo* veiller au bien-être et à la bonne tenue de la place.
Après avoir erré toute la matinée dans les rues, je réalise qu'il est tard et que l'heure du repas approche. C'est sans compter sur les traditions locales qui amènent les gens à déjeuner tard. Il est quinze heures. C'est samedi. Nous nous asseyons autour de la table et entamons à nouveau une longue conversation sur les habitudes locales, leur culture et leur langue. Les hommes ne rentreront que le soir. J'apprends que de nombreux aliziens de souche souhaitent se dissocier du monde anglophone centraliste et que cette opinion est très répandue parmi la population. Je n’ai pas eu de chance et suis tombé sur des antis. De plus armés. Néanmoins, tous se disent d’ici, aussi bien les ouvriers originaires d' ailleurs venus travailler dans les conserveries et l’activité
*Tartalo : personnage mythologique basque correspondant au cyclope
portuaire que les natifs. Elles m’expliquent que d' un côté les aliziens de souche pratiquent encore leur langue et de l'autre les "english" locaux ou propriétaires de résidences secondaires ne parlent qu’anglais. Malen et Malalen sont sans aucun doute aliziennes. Un peu géographiques. Dommage. Elles sont nées dans une famille d’ici qui a adopté l’anglophonie sans même réaliser qu’elles contribuaient ainsi au dénigrement de l’alizien. C’était comme çà, dira-t- on. Trop facile pour éviter de l’apprendre. Au moins l’enseigner à ses enfants à l’école. Comme beaucoup de gens, elles s’en moquent. Elles sont continentales. Point final. Néanmoins je pense qu’elles sont moins fanatiques que leurs maris qui considèrent que l’intolérance n’est que d’un seul bord, puisque le leur est naturel, conservateur et sans problèmes. Leur attitude sournoise de parler alizien entre eux et de passer, sans témoins, à l’anglais à l’entrée de la ville afin de ne pas être entendus est significative. Au moins ils ne l’ont pas perdu. Comme beaucoup ils ont envoyé leurs enfants en enseignement bilingue ce qui leur a permis de le retrouver. Ils ne l’auraient pas transmis sans école.
Après le repas je ressors et consacre l'après- midi à visiter la ville et à observer les gens dans les rues. Le meilleur endroit est le parc. Je m'assieds sur un banc. Des promeneurs passent devant moi. Je m'amuse à deviner leurs origines socioprofessionnelles. Certains hommes d’aspect latin, de petite taille, bruns et aux cheveux noirs, arborent souvent une petite moustache ibérique et un cigarillo à la main. J'ai l'impression d’avoir à faire à un collectif d'immigrés attiré par la situation économique florissante du Pays des aliziens.
Ceux qui portent des vêtements de sport et colorés mâchonnent du chewing-gum, favorisant ainsi l'élocution de l'anglais qu'ils parlent fièrement à haute voix. Je suis abasourdi par la quantité d'obèses. Surtout des femmes. Les hommes passent souvent inaperçus et leur allure est insignifiante.
Je rentre tous les midis et soirs à la maison mais l’hospitalité a des limites. Au bout de plusieurs semaines, Aliz que j’ai rencontrée il y a quelques semaines me le suggère. Je la remercie du fond du cœur et je commence à visiter les agences immobilières en quête d'un appartement. C’est ma dernière nuit. Je suis sur les nerfs.
J’ai du mal à m’endormir. Mes rêves me font perdre la notion du temps. Comme avant. Depuis combien de temps suis- je ici ? Un mois, comme le dit le calendrier ? Mais non, beaucoup plus. On a changé d’année. Peut- être. Quoiqu' il en soit, cela n'a plus aucune importance et une nouvelle vie solitaire s'ouvre à moi. Je réalise que comme auparavant, je suis devenu le représentant de toutes les générations.
Plongé dans un abstrait intemporel, je revois mes grands parents que j'adorais, mon père trop absent et ma mère trop vite partie, mes enfants et petits enfants, toute mon ancienne famille, la nouvelle, ainsi que celle d’adoption. A présent, je me dois d'éclaircir leur raison de vivre, l'amour de leurs racines, de leur identité et de leur langue. Mon esprit bouleversé m'empêche de distinguer l'instant présent du rêve vivant qui me plonge dans de nouveaux doutes. Je décide d’oublier. Je me réveille comme si de rien n'était, abandonnant le passé à l'histoire ancienne, le présent à la vie actuelle et l'avenir au futur. Je suis leur représentant global.
La mort
Plus de chemin, de mer, de ville ou de famille. Je suis dans le ciel, coincé parmi des bulles d'oxygène, de moins en moins confortablement installé. Les nouveaux venus sporadiques nous poussent lentement vers le haut. D’autres précipitamment arrivés par groupes importants nous y compriment violemment. Dernièrement l’arrivée de nombreux infectés par un virus est devenue la préoccupation essentielle des occupants habituels.
Tous ces esprits évadés des corps meurtris logent dans cet espace céleste qui ressemble à un immense grenier rempli d'âmes repenties, de matières grises usées, de pensées épuisées, les unes gonflées d'air vicié, les autres en pleine mutation, les dernières éclatées par leur jeunesse explosée. Toutes ont l'aspect de cellules humaines gonflées par l'air vivifiant de la mort. Nous sommes tous en réunion. En communion mortuaire. En rassemblement de victimes. Sans aucun Dieu. Sans Allah. Encore moins de Jehova. Sans autorité quelconque. Tous sommes frères et nous tenons par la main. Certains sont heureux de réaliser que la religion n’a été qu’un leurre, que la foi si souvent arborée et si intensément prônée n'a eu aucun d'avenir. Beaucoup sont fiers de dénoncer le plus grand mensonge du monde. Quelle revanche! J'ai beau regarder dans tous les sens, je ne distingue ni d'Adam, ni d'Ève, ni même de Noé. Ils n’ont jamais existé. Pourtant tous les êtres vivants ayant quitté la planète sont autour de moi. Je suis dans les ténèbres de la mort.
Des cellules toute rouges couvertes de honte constatent que le matérialisme dialectique vide de toute croyance n'a servi à rien. Il a été tout aussi mensonger que la foi. Il n'est pas issu d'une matière indépendante de la pensée. Il n'y a plus d’erreur possible, nous sommes tous rassemblés dans le ciel, dans un espace coloré redevenu animé grâce à la présence de cellules vivifiées d'oxygène. Chaque bulle renferme son esprit. C’est une société édifiée par le solde de toutes les pensées et de toutes les idées. Elles sont devenues intelligence fantomatique nouvelle. Chacune peut deviner le contenu des autres et mettre à nu toute son activité cognitive antérieure. Les mensonges et les vérités surgissent au grand jour. De nouvelles idées naissent. La pensée est devenue source de vie. A l'image d'un cœur battant, elles sont en révolution continue. Seule l'arrivée d'une bulle souche savante régénératrice pourrait les sauver. Toutes sont vouées à céder place aux nouvelle- venues, en se serrant les unes contre les autres. L'érotisme ainsi créé est visqueux et profond.
Certaines bulles aqueuses sont gonflées et regorgent de vie, de plasma et de globules de sang. L'entrée de cet immense paradis ressemble à un ventre de femme fertile, clos et hermétique, renfermant des êtres égarés, des femmes, des hommes dépourvus de toute sexualité. Le bonheur est hermaphrodite.
Chacun prend sa place, en se tassant au maximum en essayant de se glisser vers le haut. Le fond de l'atmosphère est gorgé de globes visqueux semblables à des fœtus humains, en ordre linéaire, du plus ancien, à l'étage supérieur, aux plus récents, plus bas, jusqu’ à l'accès principal. Tous les êtres humains depuis leur création y sont présents, leurs esprits, leurs idées et leurs pensées. Le monde physique et corporel a disparu. Les rangées sont disposées selon leur arrivée et comblent l'espace encore existant. Ces cellules ont une particularité existentielle et sentimentale, celle d'avoir la capacité de se rapprocher des êtres aimés et de reconnaître leurs pensées et leurs sentiments. Le soi- disant ciel. Les retrouvailles. Les bulles sont en osmose. Dans cet espace céleste les langues sont superflues. Seuls les esprits et leurs produits apparaissent. Elles ont leur espace particulier. Les futilités ont quitté les âmes. Elles sont restées en chemin. Seules les pensées fondamentales ont pu franchir le seuil. L'intelligence subsiste. Je survis. Les cellules qui se tiennent tout près de moi sont restées intactes. Elles sont à mon goût. D'autres plus loin éclatent, produit de leur bêtise et leur méchanceté sur terre. Pure vengeance. Bien fait! Personne n'y peut rien. L'absence de police favorise les représailles. L'absence de Dieu aussi. Certaines ont réalisé que l'enfer n'existe pas. Elles sont soulagées car elles l'auraient mérité. Elles sont quand même confinées par groupes. Horizontalement disposées. Au vu de la cruauté humaine, elles occupent très peu de place. Un autre lieu leur serait réservé. Pas le purgatoire issu de l'imagination des croyants. Rien de tout cela ne tient plus debout. Toute croyance a disparu.
Je me souviens de mes missions sur terre. Celle de créer ma langue, celle d'apporter la preuve du bien fondé de son origine aqueux. Celle d'aujourd'hui la rejoint. Je me dois de remonter les étages et rattraper le temps. Dans les strates les plus élevées de l'atmosphère se trouvent les langues mortes. Au dessus des cellules humaines. Il m'est difficile de franchir la zone glissante qui délimite les deux espaces. Avant de m'engager dans le domaine linguistique, je dois rechercher les créateurs de la langue basque, les personnages qui avaient abandonné la grotte pour retrouver la source de vie. Moi et les miens. Si la population est dense dans les premiers rangs, elle l'est beaucoup moins dans les sommets. Je m'engage donc sur le chemin escarpé et visqueux bondé de bulles. Je m'accroche à elles et me hisse vers le haut.
- Veuillez m'excuser- en me frayant un chemin. Comme un serpent gluant, je me faufile dans les eaux, filant, coulant, giclant vers le passé. Jusqu' où dois- je grimper?
Les hautes marches de l'espace cellulaire sont proches. Les pensées et les croyances des gens que je double m'accaparent l'esprit. Elles me désolent. Je suis pris de compassion à la vue de la bêtise et de la méchanceté humaine au fil des siècles. Des religions. De l’outrance de ces personnes. De la rancune généralisée. De l'esprit de revanche. Mes doutes perpétuels sur les pensées philosophiques trouvent un appui tangible et je réalise que le présent céleste est empreint de réalité, loin de Dieu et de Marx. J'évolue à présent dans la foi en la pensée. Celle qui surgit à l'aube de la mort. A la vue de toutes les bulles encore empreintes de cruauté, je suis gagné d’une pitié incommensurable. Je progresse néanmoins vers les hauteurs. Je suis à la recherche de groupes de cellules arrivées en groupe. J'aperçois un cénacle de musulmans, collés les uns contre les autres, à moitié endormis, comme des phoques au soleil sur la berge. Les femmes ont retiré leur voile. A leurs côtés une autre troupe à la bave rougie de Ketchup ne peut cacher sa provenance. Ils portent des casquettes de base-ball couvertes de poussière portant l'effigie d'immeubles anéantis. Plus haut un grand nombre de japonais défigurés par les atomes d'une bombe. Immédiatement après, l'adhérence entre les cellules paraît se distendre et toute une foule de bulles semblent occuper l'espace sans encombre.
Même si le fond supérieur est habité, on distingue qu'il s'agit d'une période où la population est nettement moins dense. Ma bulle provisoire dépourvue de toute notion de temps remonte la vie jusqu' à son origine. J’essaie de dissimuler que je ne suis pas mort. Personne ne le soupçonne. Puisque je suis là. L’immense majorité des occupants du ciel ignorent le froid glacial qui règne dans les strates supérieures. Les cellules s'y entassent pour produire une chaleur humaine et réchapper à la température ambiante. J'arrive enfin aux derniers étages de la demeure céleste. J'atteins le lieu privilégié où s'amoncellent des alvéoles qui détenaient le savoir originel. La préhistoire embrasse le Moyen âge, le mésolithique la modernité. Tous les cerveaux les plus intelligents s'y rassemblent. Certains ont franchi des strates indûment et sont montés à l’appel des amis. Les créateurs de langues sont là. Ils sont mêlés aux premiers arrivants. Ce ne sont pas les habitants primitifs de la terre car la forme de leur palais et leur langue asséchée me dévoile qu'ils ont maîtrisé le langage. On le décèle dans leurs cellules. Il doit y avoir quelqu'un plus haut. Un étage spécial réservé aux aphones. Les pithécanthropes ne parlaient pas. Il est étrange de constater qu'à l'inverse des rangées les plus basses, la maigre quantité de bulles libère des espaces d'atmosphère qui ne demandent qu'à être occupés. Un Dieu, un chef de la police aurait mis un peu d'ordre dans ce chaos. Quelques coups de sifflet auraient suffi. Il est peut- être ailleurs. On m’a pourtant toujours dit qu’il était au ciel. Tant pis. Il ne doit pas exister. Ou il persiste à se cacher. Je me dois de grimper davantage. Là où sont stockés les cerveaux ne renfermant point de concepts. Ceux qui n'avaient pas encore prêté de signification à leurs cris. J’y suis. Les « onomatopéiens ». J’en aperçois contre le toit de l'atmosphère. Ils volent dans l'espace intermédiaire entre les gens dotés de parole et les illettrés phoniques. Les plus intelligents les poussent vers le haut, comme s'ils voulaient se démarquer de l'humanité sans parole. Dans ce vide créé entre les deux sortes d'humains, je vois de l'eau qui coule, une mer d'eau qui comble le vide. Je ne sais plus ce que je recherche. Je suis néanmoins en plein territoire créateur. Les bulles flottent. Certaines d' entre elles ont même aspiré un volume d'eau suffisant pour se suffire à elles- même.
Je la reconnais! Elle est là, devant moi, bien plus volumineuse que les autres, remplie d’IZ. Je ressemble à un touriste heureux d'avoir trouvé un site extraordinaire. Je dois recueillir toute l'information nécessaire à alimenter ma thèse. Ce n'est pas un travail aisé car l'eau contenue dans cette grande alvéole est trouble. L'oxygène lui manque. Il lui en reste quand même suffisamment pour résister à l'hydrogène envahisseur. Quelqu'un s'était acharné à effacer des preuves. Je sens le regard coupable de certaines langues fières et jeunes qui traversent sans vergogne tous les niveaux. Elles regardent vers le haut. Elles me fixent. H2O! Enfin! La cellule s'éclaircit et retrouve la limpidité du torrent que j'avais découvert à la sortie de la grotte. Je suis exactement à l'endroit souhaité. L'origine de la langue basque m'apparaît. Celle d'autres aussi anciennes qu’elle aussi. Toutes les bulles perdent leur forme. Elles n’ont plus d’âme. Elles ne correspondent plus à des êtres humains. Je réalise enfin que c'est un espace exclusivement réservé aux langues. Certaines ont perdu leur couleur transparente et leur noirceur me fait augurer qu'il s'agit de langues mortes. Peu importe leur âge. Celles qui me toisent, beaucoup plus jeunes que le basque, ont perdu toute leur clarté. Elles étaient vouées à disparaître. Il y en a un bon nombre. La dernière vision me laisse pantois! Des espaces vides attendent celles qui sont en voie de disparition. Je remarque deux petits écriteaux de réservation de places où figure leur nom. Elles ne sont pas arrivées à destination. Pourtant ça fait longtemps qu’elles ont disparu. Le français, l’espagnol et bien d’autres. L’entrée serait – elle encombrée ou seraient-elles soumises à jugement? Par contre, d'autres moins connues ont regagné leur place. Il s'agit de leurs ancêtres égarés. Je reconnais le vieux français qui s'est chargé de réserver le couvert du nouveau. Qui croirait que le Français qui s'est évertué pendant son existence à jouer de sa grandeur et essayer de faire disparaître les plus petites soi- disant inutiles en serait arrivé à ce point. Le voilà voué à un repos inéluctable, lui qui exaltait sa langue au détriment de soi- disant patois immondes et de parlers de paysans. Je souris en pensant qu'il n’a récolté que ce qu'il a semé. D’autres bulles arborent un écriteau masculin sur lequel on peut lire « Bull ». Ses voisins gesticulent en criant Olé. En levant la tête, je viens de reconnaître le latin parmi les langues qui me scrutent. Il est plongé dans une cellule trouble. La fierté, l'arrogance et le mépris n'ont pas payé.
Je m'installe sur un fauteuil d'eau plastifiée abandonné dans l'espace vide et examine toutes les langues pré- indoeuropéennes qui flottent au même niveau que le basque, la seule dont l'aquosité intérieure est cristalline car vide de substance. Elle vit toujours. J'aperçois le celte et toutes les langues apparentées. Un détail me frappe. Elles ont toutes eu un ergatif semblable au suffixe K basque, émetteur de l'action. Je ne pensais pas qu'il puisse y en avoir autant. Elles sont toutes classées par ordre alphabétique, nageant dans des eaux souillées par le temps. Mon regard se dirige immédiatement sur le Ligure flottant au milieu de tous ces idiomes antiques, langue amie si souvent mentionnée aux côtés du basque comme langue pré indo-européenne connue. Je les reconnais toutes mais m’étonne que leur classement soit alphabétique car leur morphologie est tout à fait contraire à cette manière de procéder. En effet, comme le basque et à première vue, la plupart de ces langues ne veillent pas à un ordre établi des mots dans la phrase et ne placent pas le sujet devant le verbe qui, à son tour, précède les compléments. A vrai dire, ce n’est qu’une impression car le classement des mots suit une règle bien définie, celle d’insérer le mot important de la phrase devant le verbe, celui qui correspond à la question posée. Il est donc bizarre de constater que l’ordre alphabétique ait pu être adopté pour disposer toutes ces langues dans les nues comme si un pouvoir divin étranger à leurs morphologies s’en était chargé. Les derniers temps de la civilisation perdue avaient néanmoins perturbé cette règle morphologique par l’influence néfaste du français et de l’espagnol. Revenant à l’essentiel, ces considérations de second ordre m’abandonnent et je reconnais donc l'aspnetien, l' acadien, l'aljamien, l' araméen, l' asirien, l'abestien, le babylonien, le bactrien, le burgondais, le celtibère, le kuronéen, le dazien, le dalmatien, l'éblaitien, l' élamite, l' etéocrétois, l'éteocypriote, l' étrusque, l' éyakien, le faliskéen, le phoenicien, le frigien, le galatien, le galindanais, le galien, le gothique, le guezéen, l' hatti, le hitti, l' hurri, l' ibère, l' illirien, le kassite, le laurentien, le ligure qui me sourit, le lombardais, le lubitien, le lizi, le lidi, le macédonien, le médere, le meroiticain, le mesapien, le minorais, le mili, le moabitain, le mozarabe, le nadrubien,le nubien, l' onbrien, l'orok, l'osko-onbrien, l' osker, l' ugaritikais, le palaitien, le parte, le piktere, le polabère, le prussien, le puniquais, le retik, le romanien, le sabinen, le saxien, le samanitanéen, le samogitien, le sarmatien, le sitien, le sélonien, le sémigalien, le skalbien, le slobitien, le sogdierais, le sudobien, le sumérien, le tokarien, le trazien, l' anatolien, incompréhensiblement pas à sa place, le vandalien, le vénitien, le viel irlandais, le volskéen, le yébanique, le yotbinien, toutes ces langues côte à côte, certaines se tenant par la main, d' autres égarées séchant encore leurs larmes. Je remarque qu'il reste beaucoup de place vide.
Juste au dessus de l’espace linguistique s'étend la place des idées nobles. Immédiatement j'entrevois les religions, repenties et pleines de regret d'avoir entraîné des milliards de personnes sur un chemin erroné et d’avoir fait preuve d’étroitesse d'esprit en utilisant souvent la violence pour imposer leurs idées. Les indiens d'Amérique revivent. Ceux du nord. Ceux du sud. Une véritable rédemption. D'autres croyances philosophiques et politiques dorment à leurs côtés, complètement égarées. Le marxisme, le maoïsme, le stroskysme et toutes leurs variantes sont à la recherche d’un soupçon de gratitude. Le capitalisme, le libéralisme, le racisme et le machisme empreints de regret stagnent paisiblement dans le ciel.
Je quitte cet espace et me dirige à nouveau vers celui de la linguistique. Je décide de descendre d'un palier et retrouver les individus créateurs de langues, ceux qui ont accaparé ma recherche, mon goût de l'aventure et de la découverte. Je tourne vers la droite et distingue enfin l'intellect de personnes disparues dont la viscosité enfouie dans des alvéoles me rappelle à nouveau le plasma maternel. Je ne me trompe pas car il s'agit d'artistes. Je localise rapidement Xubiltz, moi, et l'eau qui renferme sa bulle. Elle est vide de présence humaine. Elle me fait prendre acte que c'est bien elle qui a conçu la langue basque à partir du son IZ. Le ruissellement continue. Je repère Emuk, Gizor parmi les repentis.
-Emiz !-crie-je. Enfin, je la retrouve. Que fait- elle là alors elle n’est pas décédée ? Je comprends. C’est la fille d’Emariz. Elle me prend part la main et m'entraîne dans une descente progressive. L’information recherchée en ma possession, on s'arrête successivement devant les cellules de nos ancêtres, les miens, les siens, tous ceux et celles qui nous ont élevés dans l'amour de la langue basque. Je me dois de les remercier. Leur travail n'a pas été vain. Démonstration d'amour effectuée, je continue mon retrait. Emiz me serre affectueusement la main. Soudain, un feu rouge stoppe notre progression. De jeunes alvéoles empourprées font office de signalisation lumineuse. A qui appartiennent donc ces neurones? Un panneau délavé m'indique qu'il s'agit d'aliziens. Ils occupent plus ou moins le centre de l'espace total. Ils tiennent des poches qui contiennent des bribes d’une langue primitive qui leur sert de générateur. Ce sont des restes de basque et d'alizien, tenus comme un trésor caché à l' écart de corps étrangers susceptibles de les agresser. Je ne comprends pas de suite la raison de cette transgression. Ils me font la confidence qu'ils ont gardé ces secrets dans le but de me les faire parvenir. Je les en remercie vivement. Ils m’attendaient. Ils souhaitent me fournir la preuve matérielle de notre unité. La constitution du puzzle commun né de sonorités différentes. Nos deux langues ont donc un socle identique et le témoignage vivant est entre mes mains. Le sourire aux lèvres, je m'éloigne lentement. Je constate que là- haut le mensonge n'a pas d'espace réservé. Par contre la pitié, la compassion et le regret s'étendent jusqu' à l'infini. La fierté néfaste aussi.
Je suis en possession de l'attestation qui assure que toutes mes recherches ne se sont pas avérées vaines. J'ai la preuve que la langue basque est bien né de l'onomatopée IZ et que l'alizien en est sa fille bien-aimée. Reste maintenant à le prouver matériellement. La sortie est proche. Elles me hèlent pour me montrer la place qu'elles m'ont réservée tout près d'elles, dans une belle bulle translucide où l'amour règne en maître. Je l’avais repérée. Vide. Elle m’est destinée ou plutôt, le sera. Je ne suis pas mort. Elles ignorent que je suis immortel.
Art et science
A mon réveil, j'allume la télé. Une émission scientifique. Les dernières investigations de chercheurs renommés affirment que le pays des aliziens pourrait être le vestige d'une planète disparue entièrement carbonisée lors d'un big-bang millénaire, transformant ainsi les premiers aliziens en un réduit de peuple rescapé. Je pense au déluge et à l’animal de chaque espèce sauvé des eaux par Dieu. A ses proies. J’espère que les prédateurs étaient dressés, que les antagonistes naturels étaient apprivoisés et que Noé les menait à la baguette pour éviter toute révolte carnivore ou sexuelle.
Le journaliste ajoute que les indices qui ont amené les scientifiques à cette conclusion se basent sur des recherches privilégiant l'hypothèse du feu dévastateur. Je ne peux déterminer avec exactitude l’époque de mon arrivée chez les aliziens car j’ai été épargné de la succession des générations. Je me souviens que tous les amis qui m’ont accompagné dans mon périple terrestre ont toujours vieilli naturellement et que j’ai été le seul dont l’âge s’est fixé à celui que j’ai aujourd’hui, trente deux ans. Tous mes compagnons de route ont toujours décédé après leur vie mouvementée sauf Emiz qui a gardé éternellement le même âge que le jour de notre rencontre. Emariz a toujours eu notre destinée en mains et de la même manière qu’elle m’a investi d’un travail de recherche concernant mon peuple et ma langue, elle m’a envoyé Emiz, détentrice du UK pour parfaire ma langue et en assurer la transmission. Quoi de plus naturel pour une déesse en quête de reconnaissance éternelle. Je pense au ciel et aux divinités et philosophies inutiles.
Elle et moi avons vécu une riche vie antérieure précédant notre rencontre et si je connais le sens linguistique de la mienne, j’ignore encore celui de ma compagne. Dans ma vie intemporelle j’ai le souvenir de personnes importantes m’ayant profondément marqué. Mon père et mon grand- père initiateurs de ma vie artistique, ma mère décédée trop jeune et toute ma famille qui ancrée dans le temps prenait de l’âge pour devenir oncles et tantes, grands oncles et grandes tantes, alors que peu de temps avant ils n’étaient que neveux, cousins ou cousines. De nombreuses générations de femmes nous ont engendré, moi et les miens et ont créé ce peuple dont je suis si fier. De plus j’en suis le guide, celui d’un des seuls peuples rescapés, celui qui a franchi les ravins. La télévision divulgue- t- elle aujourd’hui cette émission afin de dévoiler le secret de l’origine de ma langue? Quelle coïncidence. Y aurait-il eu des fuites? Je préfère ne pas y penser car les seuls au courant de la vérité sont Emiz et Emariz.
Les vicissitudes de mon parcours envahissent mon esprit et les personnes qui, en dehors de ma famille directe, ont vraiment compté pour moi ne sont pas nombreuses. Je crois que je n’ai pas eu le temps de les connaître. Elles ont vieilli si vite et le temps a été si court. Je me mets à cogiter et le premier qui accapare mes pensées est Izludal. Il est apparu dans la période précédant l’éruption du volcan. Je pense qu’il a été l’émissaire de mon père car c’est grâce à lui que je suis devenu artiste. Personne n’en a jamais parlé. Dali et Luiz nous rejoignaient souvent. De temps à autre Luzil, Ral et Kalmai se joignaient au groupe, formant ainsi le groupe de peintres « iziens ». Nous nous réunissions souvent pour peindre sur le vif des paysages de notre pays encore vert. Tous ces détails me reviennent comme si les circonstances de la vie étaient plus importantes que son fond.
Le monde et l’homme. Le monde infime qu’est l’homme et l’homme immense qu’est le monde. Le réveil matinal me vient à l’esprit, cette naissance après la mort infime qu’est la nuit. Je réfléchis aux fondements de la vie, à cette longue corde à nœuds jonchée de situations précises, de détails du quotidien forcément oubliés, à toutes ces minutes, ces heures vidées de contenu, mais néanmoins pièces maîtresses du temps passé, éléments essentiels du socle de vie, insignifiants et obscurs mais à la fois débordants de lumière tenace.
Qui se souvient des accords de musique et de l'existence de centaines de notes sautillant sur la portée, celles qui figurent sur la page dix du livre numéro cinq, celles gravées sur le pupitre noir posé au milieu de la scène, entourées d'autant de portées, de pages, de livres, d'instruments, et de musiciens? Personne ! Moi non plus. J’ai beau essayer de m’en souvenir.
Ma vie a été longue. Néanmoins et sans en connaître la raison profonde, j'ai en mémoire la flûte qui accompagna notre première danse, celle qui rythma notre première chanson, celle qui engendra la musique de nos amours. L'éphémère n'a pas de lien intrinsèque avec la vie, sauf quand il est empreint de sentiments et qu’il se transforme en coutume et tradition.
Les jours de sortie picturale avec Izludal sont restés gravés dans ma mémoire. Le désir de postérité et du sentiment de l’œuvre achevée m’y ont aidé. Je me souviens de chaque tableau, de chaque coup de pinceau, de chaque destruction de toile, de tout éphémère disparu ou dûment éternisé par une reprise. Il était de quarante ans mon aîné, du moins à une certaine période. Il a bien connu mon père. Il était cousin de ma mère qui dans sa jeunesse avait peint avec lui. Il était le seul à m’entretenir de papa. Personne ne m'avait vraiment raconté sa vie pleine de secrets, comme si des éléments inavouables le concernaient. Le seul qui m'en parlait était Izludal. Au goutte à goutte. Exclusivement sur des sujets touchant à l'art. Il me rapportait qu’Aita était passionné par la peinture. Je savais qu'il ne tergiversait pas car le déroulement de sa vie temporelle restreignait ses capacités lorsqu’il s’adressait à moi, complètement volatile, éternel et dépourvu de calendrier. Il n’en était pas conscient. Lorsqu’Izludal me narrait leurs aventures je souriais car j'adorais écouter ces histoires amusantes qu'il avait l'habitude d’inventer inconsciemment.
La succession des vies de mes amis s’est toujours greffée à la mienne, si secrète. Celle de mon père aussi. Dans la grotte, près de l’eau, au pied de l’Aral. Depuis mon enfance je me suis senti comme un métèque, comme un intrus dans leurs courtes existences. Les paroles de mon oncle Balu carillonnent encore dans mes tympans. De sa forte voix et vexé par une de mes affirmations, il avait laissé échapper que j'étais un étranger, Je ne l' ai jamais oublié car l' impact de ses paroles fut d’une portée incroyable, comme s'il avait dévoilé le plus grand des secrets, une confidence qu’on m' aurait toujours dissimulée. Le silence qui régna fut impressionnant. Balu nous a quittés depuis longtemps et je n'en ai plus jamais entendu parler. Pourquoi avait- il employé ce mot fatidique qui butait contre tous mes préceptes culturels, ceux qui me poussaient à la recherche de nos racines. Moi, étranger ? Quelle insulte. J’ai toujours essayé d'en élucider la cause. En vain. Faisait-il allusion à Emariz dont il me considérait le fils ?
L’émission télévisée qui reprend son cours coupe le fil de mes pensées et comme si l'essentiel avait déjà été formulé, elle sombre dans de vulgaires considérations touristiques. J’éteins le poste et me fais un café. J'ai la journée devant moi. De la fenêtre, j'aperçois la montagne mythique. Elle a l’air de me héler. La vue impressionnante qu'elle doit offrir de son sommet me persuade de la gravir. Peut- être pourrais- je même y distinguer les chemins menant à mon ancien monde, l'ampleur du pays des aliziens et le réseau hydrographique artériel des fleuves, rivières et ruisseaux menant au cœur battant de ce pays qu’est la mer. Je sors et me mets à marcher sur les sentiers de montagne. Je traverse le ruisseau sur un pont en pierre qui mène à un chemin caillouteux et pentu que je gravis sans peine. A peine la première côte franchie, je suis en extase face à la vue qui s’étend devant mes yeux. Je m'assieds sur un rocher et m’enivre de cette beauté exaltante. Je reprends mon chemin. Le dernier tronçon est le plus pénible. Le vent souffle fort et le soleil frappe dur. J'arrive enfin au sommet. Mon premier regard se fixe sur l’océan lointain, dénué de sa couleur et englouti dans le brouillard, comme si la vie reprenait un cours inverse et toutes les artères en provenaient pour remonter le temps, s'éloignant ainsi du cœur pour s'approcher de moi. A l'image d'un arbre généalogique géant ou à une longue chevelure de femme décoiffée qui remonte vers ses racines, toutes ses branches fluides semblent se hisser vers la montagne et ont l’air de provenir de leur destinée. Tous les cours d’eau sont à la fois source et océan. De l'autre côté de la crête, versant sud, au loin, les hauts sommets rocheux érigent leurs cimes à l'horizon rajoutant un soupçon d'anxiété à mes sensations. Je les connais bien. Je les ai franchis.
Versant nord s'étend le pays des aliziens, orné de ses cicatrices rouges et vertes, de ses habitations blanches parsemées ou regroupées en villes et villages. Celui que j’ai connu n'est pas le seul. D'autres surgissent épars au milieu du paysage, servant de lien entre les rivières qui ont prêté leur nom au pays, à l’image des eaux iziennes à notre existence, au passage de la source à la vie.
Le brouillard dissimule toute la partie ouest susceptible de prolonger ce pays à l' infini.
ALIZ
Au sommet de la montagne, un refuge. Il a l’air ouvert. Je pousse la porte et une auberge magnifique s’offre à mes yeux. Située au sommet du crêt elle a pour but de restaurer les randonneurs. Je commande une assiette et un verre d'eau à la jeune serveuse qui me salue poliment. Son sourire plein de gratitude me remercie de l'avoir sortie de son ennui automnal. Pas d’autres clients. Le choix des plats est simple mais varié. Je penche pour une omelette au jambon. Je lui précise que je les aime baveuses. Délicieux. J’engage la conversation. Elle se prénomme Aliz. Après avoir échangé quelques mots, elle me demande d’où je viens. Je lui réponds naturellement que je viens d’en bas, du pays des aliziens. Son air étonné me laisse deviner qu’elle met en doute ma réponse. Elle précise qu’elle ne m’y a jamais vu et qu’étant d’origine locale, elle connaît la plupart des gens.
- Ca fait longtemps que vous êtes arrivé? me dit- elle comme gênée.
Je lui réponds que non et que je loge chez des amis.
- Ah oui, et chez qui donc? ajoute- t- elle.
- Chez Malen et Malalen- lui dis-je, vous les connaissez?
- Oui bien sûr, mais dites- moi, vous êtes en vacances ici, d' où êtes- vous? Je lui réponds que je ne suis pas de loin, ce qui ne semble pas apaiser sa curiosité.- Vous allez rester longtemps chez nous ?- ajoute-t-elle.
-A vrai dire, je n'en sais rien. Si je trouve un appartement en location, il est possible que je m'y installe, mais ce n'est pas évident car je ne connais personne d'autre ici.-
- Et bien pour quelqu'un qui n’est de pas loin d’ici, c'est drôle, n' est-ce pas? dit- elle ironiquement, ne vous en faites pas, vous connaitrez du monde et pour ce qui est du travail, on trouve toujours des solutions dans la pêche, le bâtiment, le travail à la ferme, ou encore les travaux saisonniers. Vous savez, en été les touristes affluent. Il y a toujours du travail dans la restauration. Regardez, moi- même je travaille à mi- temps ici et le reste du temps à la télévision locale.-
Il se fait tard, je lui demande si on pourrait se revoir le lendemain. Elle sourit. On fixe un rendez- vous. Après avoir réglé mon du, j’entame la descente sans cesser de penser à cette fille qui pourrait éventuellement m’aider. C'est bien la première fois que quelqu'un s'intéresse à moi sans trop m’interroger sur mes origines. Habituellement, je préfère me taire ou, comme ici, dire que je suis alizien de peur de donner des réponses différentes à chaque interrogatoire. Jusqu' à maintenant tout s'est bien passé mais que répondre si quelqu'un insistait et souhaitait connaître mon passé. Heureusement qu'Aliz est toutefois restée discrète. De toute façon, il faudra bien que j’avoue la vérité un jour à quelqu’un. L'oubli n'est pas un argument suffisant car en fait, je n’ai rien oublié de mon voyage, si ce n’est le temps écoulé lors de mon périple climatique. Pour l’ instant, je ne peux pas révéler la vérité. On me considérerait comme un extraterrestre ou simplement un menteur.
A l' instant présent toutes ces supputations sont secondaires et la seule chose importante réside dans le doux moment que j'ai passé avec cette jeune fille. Je pressens déjà que nous allons devenir amis.
Afin de découvrir d’autres chemins, j’emprunte un nouveau sentier qui longe la forêt. Il me faut une heure et demie pour atteindre mon domicile. Je suis éreinté. J’ai pourtant l’habitude de marcher. Après une petite sieste, je décide d’aller faire un tour. Les petites rentrent de l'école. Elles m’appellent et me demandent où je vais. Je n’ose pas leur avouer que je me rends à l’agence immobilière en quête d’un nouveau logement. Malen arrive à la maison. Repoussant ma visite au lendemain je lui propose de l'aider à préparer le diner. Sacrilège! Elle était maîtresse des lieux et n'admet aucune intrusion masculine dans sa cuisine. Je ne sais pas quoi en penser.
A table, je leur raconte la rencontre avec Aliz au refuge de montagne. Je sens comme un rejet. Malalen me conseille de faire attention. Je perçois immédiatement qu’elles ne l’apprécient guère. Ferait- elle partie du collectif nationaliste dont on déjà parlé ? Je constate que la division existante dans leur société est importante. Elle me prévient qu’Aliz est dangereuse et que les séparatistes ne souhaitent que le chaos économique. J’en doute. Je réalise que la famille est conservatrice et défavorable à tout changement. Leur relation équivoque avec l’alizien et leur préférence de l’anglais me laissent supposer qu’ils sont absolument continentaux et diamétralement opposés à une réelle identité alizienne. Ils doivent considérer les adeptes d’une séparation comme de dangereux révolutionnaires. Je sais qu’elle se trompe. Mon expérience m’a appris que toute revendication identitaire ne tend qu’à défendre une histoire, une langue et une réalité économique locale permettant aux jeunes de pourvoir vivre et travailler au pays. Malen et Malalen considèrent qu’une telle revendication va au détriment de la grandeur du continent car elles sont partie prenante du pays anglophone et tiennent l’alizien pour une langue inférieure, un idiome de paysans, de pécheurs ou encore de patriotes exacerbés. Aliz doit appartenir à ces gens qui, au contraire, défendent une identité alizienne ancrée dans la culture autochtone et leur langue ancestrale qu‘ils se doivent de sauvegarder, de maintenir et de transmettre à tout prix. Il est évident que les différences idéologiques entraînent des distensions graves parmi les habitants. A choisir, je préfère les personnes comme Aliz. Quoi de plus naturel de la part de quelqu’un qui vient à la recherche de l’origine de sa langue.
Je dois partir d’ici. Ces gens-là ne m’aideront pas à retrouver mon énigme. Ils me déçoivent. Une fois couché, je réfléchis et décide d’en parler le lendemain à Aliz.
Je quitte la maison vers huit heures et la retrouve comme prévu au café. C’est amusant de constater que le prix du café n’est pas le même pour les locaux que pour les touristes. Hier je l’ai payé plus cher. On s’installe à une table. La conversation tourne immédiatement sur la raison qui m'a amené au Pays des aliziens. Je suis discret. On parle de ma famille d’adoption. Elle me confirme la différence entre les deux visions de la société, celle qui arbore le centralisme et l'anglophonie, et celle qui, locale et proche des racines, suscite l’enthousiasme des jeunes. Elle m'explique que certaines provinces continentales ont accepté sans vergogne la transformation des mentalités, en prônant ouvertement l'absorption de la culture locale par le monde du chewing-gum dont ils sont si fiers. Ils ont même sacrifié le travail et fait en sorte que tout le territoire ne puisse être industrialisé favorisant le tout tourisme et le confort des estivants. On pourrait dire qu’ils sont devenus de simples aliziens géographiques ignorant l’essence de leur propre identité qu’ils considèrent arriérée au détriment d’une anglophonie exacerbée, d’où la dangerosité prêtée à Aliz de la part de Malalen.
Ils méprisent la langue du pays et pratiquent la politique constante du dénigrement consistant à cultiver l'anglais avec arrogance au détriment de l’alizien, refusant ainsi de reconnaître leur propre ignorance. Ils pensent détenir la langue suprême, empreinte de grandeur, celle qu'on leur a appris à l'école, la seule, l’unique, celle qui a couvert de honte l'alizien et l'a humilié pendant tant d’années. En fin de compte la défense exclusive de l’anglais leur permet d'être des imbéciles en toute supériorité. Ils détiennent la normalité. Celle qui a absorbé la société depuis des lustres. Celle qui a fait en sorte que leurs enfants ne l’aient pas apprise à la maison car il fallait à tout prix bien parler anglais. Se rebeller contre ces idées s’apparente à une fracture insupportable. La bourgeoisie ne l’admet pas. Elle est absolument contraire à l’alizianisme, néfaste à son essor et considéré de gauche comme une entrave sur leur soi- disant modernité.
Au fil de la conversation, Aliz me raconte que récemment un groupes de scientifiques a approfondi des recherches sur l'alizien et qu'il en a conclu qu'elle ferait partie des premières langues mères du continent et qu'elle aurait même pu engendrer certains des idiomes majeurs dont les langues sont issues. Je lui réponds que j’ai regardé l’émission à ce sujet à la télé. En sortant du café, elle me présente Altxor, un ami d'enfance. Il est pressé et poursuit son chemin.
Je me rends compte de l’osmose qui existe entre nous. Nos deux réalités sont quasiment identiques. La mienne, bercée par ses onomatopées ruisselantes dans la grotte et la sienne plus aride et constituée de sons ardents. Je me souviens des larmes amères que j’avais versées et qui avaient creusé un large sillon inexorable reliant nos deux mondes. Nous passons toute la journée ensemble sans même aborder le sujet de mon appartement. Aliz m’émeut. J'appréhende l'avenir car après toutes les vicissitudes de mon existence mouvementée, je suis devenu quelqu'un d'expérimenté. Les ravins successifs, la perte de notion du temps et le vécu réincarné de génération en génération ont fait de moi un sage, un homme dont l'expérience est inébranlable. Malgré cette vie riche d’enseignement, je n’en demeure plus qu’humain et, mon cœur, à la merci de toute éprise, commence à succomber au charme d’Aliz. Je résiste. Emiz est toujours dans mon cœur. Bien qu’absente, elle est mon amour éternel. C’est la fille d’Emariz. Nous pourrions être frère et sœur mais la déesse en a décidé autrement. Elle nous a destinés l’un à l’autre. Un inceste involontaire. A présent, Aliz accapare mes pensées. Elle est comme la montagne qui pourrait attirer transitoirement un marin toutefois incapable d’abandonner son essence, la mer.
Comme le brouillard qui disparait sous l’intensité du soleil et contre toute attente, Aliz a tout à coup disparu. Incompréhensible. Elle m’aurait averti de son départ. Je passe mes journées à sa recherche. Je languis de sa présence. Elle semble s’être volatilisée. Serait-ce une précaution prise par Emariz? Cette idée envahit intensément mon esprit. C’est la seule explication possible. Je parcours la contrée de fond en comble. Je suis forcé de m’en faire une raison. Ma vie en devient monotone, aliziennement inactive. Promenade, repas, repos. Où donc est-elle passée? La marche et la découverte sont devenues sources d’oubli. J’essaie de côtoyer de nouvelles personnes. Parfois je gravis la montagne à sa recherche. Elle n’y est pas. Ni à la télé. Nulle part. Le temps passe et la solitude me pèse. Un bien pour un mal. Cela m’a permis de faire connaissance de gens en ville. Petit à petit je deviens des leurs. Je parle alizien. Cela ne m’a pas beaucoup coûté. J'ai assimilé leurs coutumes. Je leur ressemble. Même d'aspect. Tout se transmet. Je ne suis plus l’étranger de Balu. Les jours passent. Tout à coup le brouillard dissipé et sans aucune explication Aliz est revenue. Elle mentionne juste qu’elle n’est point responsable de son départ. Je suis persuadé que c’est un tour d’Emariz. Elle me connaît et sait que je suis capable de flancher. Elle tient à la préserver de mon éventuelle infidélité. Elle me juge mal. Peut- être pas.
Comme pour se faire pardonner de son absence impromptue Aliz m'invite à un cocktail public de présentation du nouveau magazine de sa réalisation. Sûrement la raison de son absence. Elle aurait pu m’en aviser. Elle me présente à tous ses collègues de travail, des producteurs, des monteurs, des réalisateurs, des preneurs de son, mais aussi des artistes et notamment des peintres, des écrivains et des musiciens. Ils laissent entendre que le tournage de l’émission a été plus long que prévu. Je préfère l’oublier et me pencher sur ce monde créatif que j’adule. Je suis dans mon domaine. Au fil de l’une des conversations un ami d’Aliz, Jaltxu, mentionne la vente d’un appartement dont il est propriétaire. Sans autre préavis, je lui demande de me le réserver. Je n’en connais pas les détails, ni la superficie, ni son prix. Peu m'importe. Je me dois d'abandonner ma chambre. J’en ai assez. Mes logeurs aussi. La nonchalance qu'entraîne le chômage n’est pas bonne conseillère. Je me laisse aller. Ils détestent que je traîne. Ca fait trop longtemps que ça dure. Bien que j’ignore l’adresse exacte du logement de Jaltxu, seule m’intéresse la proximité de celui d’Aliz. Le soir- même je fais part de ma décision à Malen. Elle n'apprécie soi- disant pas ma façon d'agir et me réprimande de prendre un appartement à la légère. Je m'en fiche. Je souhaite partir. Je n'oublierai jamais leur gentillesse et leur bon cœur. Elles m'aiment bien. Toutes. Mères et filles. Moi aussi. Les hommes moins.
J’ai pris rendez- vous avec Jaltxu cet après- midi. Il va me faire visiter l’appartement. Il est seize heures. Aliz m’accompagne. L’escalier ne paye pas de mine et ses marches craquent sous nos pas. Nous gravissons les deux étages quelque peu inquiets. Seuls les paliers ont été rénovés. Celui du second affiche un parquet rutilant de bois clair vernis qui contraste avec la rusticité du reste. Il me déplaît. Que dire du pommeau de la porte couleur or brillant. Kitch. Je me tais. Jaltxu nous ouvre la porte donnant sur un hall agréable et lumineux. Suit un salon éclairé par deux baies vitrées qui s’ouvre sur un grand balcon. La pièce est spacieuse. A gauche, la cuisine. Un petit couloir mène à la chambre et la salle de bains. Rien à voir avec l’entrée. L’appartement me convient à merveille, d' autant plus que le prix de la location est raisonnable. Nous scellons notre accord. La vue du balcon me décide à signer le contrat. Contrairement au commun des mortels qui aurait préféré une vue sur le port ou sur la mer, la cour d'école qui s'étend à ses pieds me sied parfaitement. Le silence règne car les enfants sont en classe. J'imagine le vacarme de voix criardes pendant les récréations. Tout à coup la sonnette stridente retentit et une meute de gosses envahit la cour en courant, chacun essayant d'arriver le premier à son lieu ludique de prédilection. Cette course affolée me rappelle l'envol du banc d'oiseaux quittant l'épouvantail savamment accoutré. Quelle sensation de liberté! C’est sûrement la première fois que des cris si aigus me réjouissent intensément. J'attribue ce bonheur au souvenir.
Aliz m’observe. Elle réalise ma double satisfaction. La proximité de chez elle et ma passion pour les enfants. Elle a raison. Je me dis que côté rue, je pourrais surveiller par la fenêtre de la chambre ses va et vient, son départ matinal vers les studios de télévision ou vers le refuge de montagne. Côté cour de récréation, les activités enfantines. Il en est ainsi pendant quelques semaines. J’épie surtout la lumière allumée de son salon. Elle ne se l’imagine pas. Je connais ses horaires et l'attend souvent en bas de l’immeuble. A son passage nous nous rendons au parc où nous passons de longues heures. Je suis heureux. Lors de ses absences, je me sens comme dessaisi d’une mission de surveillance secrète et je me repose. Elle le devine. Je redoute les longues réunions de travail auxquelles elle participe le soir. J’attends son retour. Mon amour platonique est profond. Je crois que le sien aussi. Je suis aux ordres. Je me joue gentiment d’Emariz avec un léger sourire. Lors de nos promenades au bord de la mer, Aliz et moi nous tenons parfois par la main. J’ai du mal à supporter son attitude qui consiste à la lâcher à proximité de la ville ou lorsqu’on croise des gens qu’elle connaît. J’ai l’impression qu’elle prend ses distances. C’est de l’égoïsme de ma part car, de mon côté, je ne me rends pas disponible. Il s’agit d’affirmer mon ego, de tester ma capacité de séduction. Du pur égoïsme. Aliz est plus jeune et ses sentiments envers moi sont chaleureux. Nous nous entendons à merveille mais mon amour naissant risque d’entraver notre relation amicale. De temps à autre nous allons au cinéma, dégustons une glace sur la promenade maritime ou simplement prenons un café à l’Itzal. Ses yeux bleu-vert illuminent son doux visage. En rêve, j’entrevois Emiz l’air grave. Elle sait que je pourrais succomber au charme humain. Aliz n’est point une fille de déesse. Pas encore. Je préfère me réveiller. Mon regard par la fenêtre est éloquent.
Alan
Alan est professeur de langue, littérature et civilisation alizienne au lycée Raval, une matière passionnante pour un créateur de langue comme moi. C’est un ami d’Aliz. Il habite au premier. Nos spécialités communes vont nous rapprocher rapidement. Quelle aubaine d'avoir un passionné de culture dans mon immeuble. Nous devenons rapidement inséparables. Nos entretiens portent sur la culture locale, l’histoire du peuple alizien et sa langue. J’ai l’impression que ses connaissances vont compléter mon voyage parmi les cellules. Je me permets de l’accabler de questions. C’est le but de mon exploration. Peu à peu Aliz disparaît de mes préoccupations et Alan occupe une place de choix dans mon emploi du temps et dans ma vie intellectuelle. A vrai dire, elle en a un peu assez de mon obsession linguistique.
L’immense culture de son pays et de sa langue que possède Alan modifie définitivement ma façon d'être et mon comportement. Enfin, j'entrevois un sens concret à mon voyage. Je réalise qu’il est imprudent de tomber dans la sentimentalité mais j’ai du mal à m’éloigner de cette fille. L'intérêt suscité par l'étude de la langue me rappelle l'eau naissante, source de notre langue basque antique. Oubliant ainsi la routine de ma nouvelle vie, je renoue avec le puzzle géant qu’est le verbe basque et la splendeur de son origine aqueuse. La glace fondue transformée en verbe. L’onomatopée métamorphosée en langue. Les sonorités ruisselantes mères des cris sauvages transformés en concepts. La compagnie d'Alan me conduit à me replonger dans mon monde phonétique et à établir une comparaison raisonnable avec l’alizien. Mon épopée est en pleine apogée. L'origine du basque va s’appuyer inflexiblement sur l’ alizien. C'est le destin. Le mien. Celui qui procure une signification à mon voyage. Je suis sûr que l'examen exhaustif de l'idiome local va ouvrir des portes explicatives à celui de mon peuple. Même s’ils ont la même structure et proviennent de la même origine ils sont néanmoins différents. A moins que l‘alizien ne provienne directement du basque. La méthodologie employée lors de sa création est absolument identique à celle de l’euskara et a même l’air d’en avoir été copiée. Je ne détiens pas encore la clef du mystère mais le son AL est si présent dans leur vocabulaire et leur toponymie locale qu’une recherche mérite d’être engagée. Alan m’y aide. Je me dois de remplir la mission qu' on m' a confiée, celle qui consiste à prouver que d' autres langues, le cas échéant l'alizien, sont bien nées d' onomatopées et que ce cheminement sonore est capable d’inventer une langue. La démonstration phonétique de l’origine de l’alizien prouverait instantanément que ma théorie du IZ au sujet du basque est inébranlable. Je n'ai plus aucun doute, c'est ma raison d'être dans ce nouveau monde. La seule. Que m’importent Aliz, Malen et les petites. Je me penche exclusivement dans ces nouvelles vérifications et crée des parallèles entre les constructions verbales et lexicales des deux langues. Alan est aussi passionné que moi. Sa main va déposer les pièces du puzzle alizien à leur place précise, la mienne le fera sur celui du basque. Sans le savoir, il s'apprête à me dévoiler la clef de l’énigme, celle qui ouvre la porte de la découverte finale et qui accède à la preuve formelle. Je comprends maintenant tous ces franchissements de ravins. Je saisis enfin les propos d'oncle Balu qui me traitaient d'étranger car, pour chaque nouvelle vague d’individus, j’ai toujours été à la fois père et fils, ancêtre et descendant. Ses propos incarnaient la tradition et l’ancrage et voulaient dévoiler que je n’en étais point issu puisqu’en marche éternelle. Ils souhaitaient dévoiler que même si un jour j'avais été nouveau- né issu du ventre de ma mère, je ne le serai plus jamais, car mon monde est pour ainsi dire à l’ envers. Je suis un aïeul redevenu enfant, sans l’avoir été réellement car j’ai toujours le même âge. Pourtant mon expérience se renouvelle à chaque fois, celle que m’a insufflée la mission confiée par Emariz. A mes trente deux ans, je vieillis et rajeunis dans la traversée du temps. Je comprends maintenant le fond du secret. L'expérience de ma mort, de mes morts, de ma naissance et de mes renaissances. Combien de fois ai-je décédé, moi qui connais si bien le fond du ciel et ses occupants gluants ? Combien de fois ai- je vécu, moi qui connais si bien mon pays et celui des aliziens, leur civilisation et leurs secrets? Balu le savait et souhaitait le rapporter mais personne ne donnait de sens à ses paroles. Alan a remplacé Aliz. Il est mon essence, elle était mon détail. Il est tradition, elle était éphémère. Malgré tout je n’en suis pas sûr car ma longue vie m’a démontré que les situations provisoires ne figent pas l’avenir.
AL et IZ
J'ai vécu d’abord dans ma grotte, puis près de l’eau, d’IZ en IZ, de ravin en ravin, pour vivre aujourd’hui d’Al en Al, près du feu. Je suis monté dans le monde des esprits à la recherche de mes créateurs et de ceux de ma langue. Je les ai rencontrés. J’ai accédé jusqu' au sommet de la pyramide céleste et visqueuse mais je n'y ai pas trouvé Adam et Eve, ni Noé, ni tous les noyés du déluge biblique, ni personne. Par contre le déluge a du exister. Pas celui- là. Un autre car l’eau est source de vie. Les hauts sommets de la construction céleste occupés par des néanderthaliens m’ont montré que Dieu n'existait pas. Du moins le Dieu du conte. Le personnage inventé pour atténuer la souffrance de la mort. Celui- là n’est pas. L'eau l'a remplacé. Les inventeurs de la Bible, par contre, occupent un espace important, vers le milieu de la chaîne. C’est en s’interrogeant sur la mort et son énigme postérieure qu’ils ont du se pencher sur son origine et sa provenance lointaine. C’est à ce moment là qu’ils ont du inventer Dieu et la création du monde. L’odeur de chlorophylle que j’ai sentie dans les hautes sphères m’envahit encore les neurones.
J’ai remarqué lors de ce premier voyage que certains esprits étaient calcinés, sans aucune viscosité, se craquelant au contact les uns des autres, nécrosés et de couleur noirâtre. Si IZ et tous ses descendants sont pleins de vie, je constate que les brûlés sont issus du AL, d'un monde de feu qui a réussi à donner naissance à une vie humaine grâce à ses flammes vivifiantes. Les fumées ont atteint les hautes nues et se sont mélangées aux odeurs naturelles qui flottent dans l’air. Plus bas, comme si les braises activées par un soufflet linguistique avaient encore la capacité de donner la vie, IZ et AL se sont unis et appartiennent aujourd’hui à la même famille. Tante et nièce. Oncle et neveu. Je suis heureux de constater que les places réservées au basque et l’alizien sont vides. Elles disparaitront peut- être avec le monde. Les langues pré-indo-européennes déjà éteintes et sœurs de l’euskara sont fières dans leur espace d’avoir un représentant terrestre dans la société. Elles savent qu’il sera éternel.
L'idée de la mère créatrice s'empare de ma pensée. Le basque pourrait- il être la langue originelle de l'humanité? Certains sourient déjà. Imbéciles. Sa provenance aqueuse prêche en faveur de cette théorie. Je me souviens qu’alors que je quittais les lieux célestes visqueux, un ligure m’avait tapoté le dos gentiment pour m’encourager à poursuivre ma recherche.
Alizia
Alan m’invite à diner. Il entame une explication intéressante sur l’origine de l’alizien et de son verbe. Elle me rappelle la construction du basque et le puzzle géant de sa morphologie. Toutes mes expériences célestes sont corroborées par ses dires. Il les ignore et poursuit en m’annonçant que l'alizien est une langue construite à partir du phonème AL qui signifie feu. Je revois les braises, les fumées et les bulles calcinées du monde cellulaire. Je lui avoue ma condition de guide et de missionnaire. Il me regarde bizarrement. Alan comprend le basque tout en l’ignorant. Exactement comme moi avec l’alizien. Comme s’il avait deviné mes pensées, il se penche sur le verbe et me récite son présent de l'indicatif. Il s’agit du verbe être, ALAN en alizien. Il s’appelle Être. Quel beau nom ! La morphologie du verbe alizien est quasiment identique que celle du basque. IZAN et ALAN frères. La ressemblance est flagrante.
De Dal- je suis
Be Bal- tu es
Ge Gal- il est
Dez Dalaz- nous sommes
Bez Balaz- vous êtes
Gez Galaz- ils sont
Abasourdi de voir que le système mobile de désinences verbales correspond réellement à nos suffixes habituels, j’observe que leur première personne ( je) DE DAL commence par un D aussi bien au singulier qu’au pluriel, ce qui me semble tout à fait logique car le moi est naturellement inclus dans le nous, DEZ DALAZ. Le pronom et le verbe, comme en basque, commencent par le même son à toutes les personnes, Ni NAIZ en basque, DE DAL en alizien, BE BAL, le B servant à l’allocution, Toi, Vous, le G pour d’autres que moi, GE GAL(AZ), BEZ et BEZI BALAZ, vous, GU GAIZ ( gara). Néanmoins quelques modifications surgissent dues à l’usure du temps.
La comparaison de nos deux verbes est extraordinaire. Provenant d’onomatopées, leurs deux racines AL et IZ ont servi de base pour fonder les deux langues. Alan est ébahi de la ressemblance mais il ne se doute pas encore d’avoir à faire à deux langues jumelles. Il m’explique alors que l’ensemble de leur verbe est ainsi conçu. Je lui réponds que le notre aussi. Comme si je n'avais pas bien compris sa démonstration, il s'empare de la feuille blanche qui traîne sur la table et griffonne le présent. Je le laisse faire en souriant. A moi de jouer. Il s’agit pour moi d’adjoindre les formes basques aux personnes du passé qu’il note sur la feuille :
Alizien Basque
De Dalat Ni nintzen
Be balat Hi hintzen
Ge galat Hura zen
Dez Dalazt Gu ginen
Bez balazt Zu zinen
Bezi balazit Zuek zineten
Gez galazt Haiek ziren
Il était évident que la terminaison N employée en basque pour indiquer le passé est remplacée par un T en alizien. C'est formidable de constater que toutes les personnes ont leur correspondant dans l'autre langue. Nous sommes bien d' accord que l'écriture importe peu et que les deux langues ont été crées par leurs propres sonorités. La leur me parait plus simple, plus logique et moins déformée que le basque qui a sûrement subi de nombreux changements au fil des millénaires. L’alizien est plus jeune et a été moins sujet aux apports extérieurs.
Parfois l’alizien n'utilise pas de voyelles entre les consonnes, un peu comme en hébreu, et aucun inconvénient majeur n’existe pour associer deux sonorités de consonnes comme le Z et le T alors que le basque l'aurait encombré d'une voyelle ouverte. Je fourre ces notes capitales dans la poche ventrale de ma vareuse à l'instar d'un fœtus prêt à voir le jour une fois l'échéance atteinte.
Alan est devenu mon ami, mon complice, mon frère. Nous avons la même passion. Son aura, sa culture et sa finesse m'impressionnent. Je me demande parfois s’il ne serait pas l’émissaire secret d’Emariz, un genre de fils adoptif envoyé pour me prêter main forte. Le lendemain et comme pour me faire pardonner, j'appelle Aliz. Nous allons prendre un café. Assis à la terrasse du bar Itzala, j’observe le store portant l’enseigne de l’établissement et constate que ce mot est construit de nos deux sonorités majeures, le IZ et le AL. Notre conversation est banale. Je m’ennuie avec elle et suis pressé de rentrer car la feuille assortie de notes ne demande qu’à renaître. Je lui dis que j’ai un rendez- vous et que je suis pressé. Elle ne me croit pas. Tant pis. Je la quitte. Je me penche sur les notes. Elles m’absorbent. Les heures passent. Il est tard. Je suis trop énervé pour m'endormir. L'approche du but final me stresse au plus haut point.
La nuit agitée a dissipé ma faim et un petit- déjeuner succin me suffit. Je me dirige vers le centre. La taille des maisons est étonnante. Leurs armoiries aussi. Les bâtiments publics étalent tous un large balcon à rambarde métallique soutenu par des colonnes imposantes qui dessinent de larges arcades. Je n'aime pas ce style de soutènement qui me faisait penser à ces constructions démesurées si chères aux pays où la démocratie laisse à désirer. Sur la façade de la bibliothèque, une date quelque peu effacée semble indiquer la période de construction de l’édifice. Il me semble que toutes les inscriptions de ce pays sont effacées par le temps et devenues illisibles. La porte imposante à deux battants est largement ouverte et laisse apparaître un escalier majestueux. Ma curiosité ravivée je pénètre dans le hall d’entrée qui dévoile une architecture somptueuse en pierre. L’année de construction qui s’érige sur le mur me dévoile que ces pierres ont plus de trois mille ans. En bas sur le côté, sous l'arc de cercle formé par les marches une petite porte close attire mon attention. Elle est absolument disparate avec l'ensemble de l’édifice. Je m'en approche. Au même moment en sort une femme des livres sous le bras. Elle referme la porte et m’empêche d’y accéder. Je m'engage dans l'escalier. Il sera toujours temps de visiter la salle mystérieuse. Le vacarme qui en est provenu m’a suggéré un instant qu’il pourrait s’agir d’un lieu privé très fréquenté, un bar, un restaurant ou un siège d’association. Je gravis les grands escaliers et me dirige vers la bibliothèque qui se trouve à l’étage. De longues meurtrières tournées vers la droite longent la partie haute de l'escalier. Elles ont été détournées pour rendre impossible la vision sur le couvent qui s’érige à sa droite. En haut, au fond d'un immense hall une dame contrôle l’entrée de la salle de lecture. Je m’en approche timidement. Sans autre préavis, Elle me demande mon nom. Pour la première fois je me rends compte que je n'en ai point. Interloqué par sa question, je ne sais pas quoi répondre. A l'image d'un enfant espiègle que l'on surprend à faire une bêtise, je rougis et réponds que je n'ai pas l'intention d'entrer. Elle insiste. Je me souviens alors de celui que je portais dans mon monde izien, Xubiltz, celui qui m’a défini depuis la sortie de la grotte jusqu’ à la plage. Je ne me rappelle ni de son origine, ni de sa confection. J’ai du le porter longtemps. Je le lui fournis. Elle me tend une fiche d'inscription que je remplis en inventant toutes les réponses aux rubriques habituelles si élémentaires que la date et le lieu de naissance ou le numéro de ma carte d'identité. Je ne connais que mon adresse. Ma curiosité me pousse à lui poser la question sur la présence du couvent et des religieuses qui m'étonne beaucoup car l’absence d’église en ville m’a profondément marqué et je n'ai décelé aucune présence d'éléments cléricaux ou monastiques dans ce nouveau monde.
Pour une raison inconnue, je me mets à dévaler les escaliers sous le regard médusé de la préposée. Carte d’inscription en main et sans me préoccuper davantage de mon admission, je me retrouve dans le hall. La pendule intérieure m’indique treize heures. L'heure de fermeture. Je préfère quitter les lieux au plus vite. Je rentre. Je reviendrai plus tard. A quinze heures des gens font déjà la queue. Une fois à l’intérieur, j’exhibe la carte acquise plus tôt à la jeune fille qui me sourit. Ce n’est pas la même. Elle me fit signe d'entrer. Une salle magnifique surplombée de galeries débordantes d’ouvrages s’étend devant mes yeux. Un frisson me glace le corps. Je n’ai jamais vu autant de livres réunis. Je m'empresse de grimper à l'étage pour admirer cette volupté de culture. Mon émotivité en prend un coup. Ma mémoire aussi. Les lecteurs, étudiants et chercheurs, en silence, dévorent les pages avec avidité. Je contourne les galeries. De longues échelles sont appuyées sur les rebords prévus à cet effet afin de consulter les livres rangés dans les galeries supérieures.
Je regrette d'avoir perturbé l'attention de tous ces gens. Le bruit de l’émotion. Un regard général plein de reproche se lève sur moi et me cloue de honte. Je décide de refaire le tour complet afin d'observer plus en détail les sections proposées aux lecteurs. Des livres de toutes les époques et de tous les styles se tiennent droits et bien serrés sur les rayonnages. Des milliers et des milliers d'ouvrages. Certains traitent de littérature, d’autres d’architecture, d’histoire ou de géographie. Plus haut la philosophie occupe tout un rayon. La théologie et la religion la suivent. La cosmologie. Plus loin, l'art, la musique. Enfin je me trouve devant la section de linguistique et de phonétique. La clef si longtemps convoitée se trouvait- elle enfermée dans ces pages? Je suis sans aucun doute face à mon destin. Ma raison d'être. Devant la source de vie théorisée, dans un espace céleste livresque ou ces manuscrits vont corroborer l’acquisition de l’évidence dans le monde des cellules. Avant d'entreprendre une consultation insensée, je décide néanmoins de demander conseil à Alan qui doit connaître sur le bout des doigts l'ensemble du contenu de ces livres de linguistique. Je dévale à nouveau les escaliers et me dirige chez mon ami pour lui demander de l’aide. Il n’hésite pas une seconde et décide de m’accompagner. Nous y sommes. La petite porte intrigante est close. Je décide de m’en approcher. Je n’avais pas remarqué l’indication pourtant apparente. L’inscription Xorrotx surplombe en lettres d'or la porte délabrée. Il s’agit des studios de télévision. Pourquoi tout ce mystère? Je referme la porte et rejoins Alan. Nous constatons que l’affluence est trop importante et décidons de revenir le lendemain. Nous en profitons pour passer l’après midi à nous promener et à parler de phonétique.
Le lendemain matin, je rencontre Malen, Malalen et les petites dans la rue. Nous nous embrassons amicalement et leur propose de leur faire visiter mon appartement. Le clin d'œil complice que j'adresse à Alitxo et à Liz leur fait immédiatement comprendre que la demeure est à leur taille. Elles l’adorent. Une véritable maison de poupées.
Liz ouvre la porte-fenêtre et reconnait la cour de son école. Elle me promet de me dire bonjour pendant les récréations. Les deux femmes semblent heureuses. La visite se termine rapidement. Nous descendons et je me dirige au point de presse pour acheter un journal. Il y en a plusieurs. Je ne sais lequel choisir. J'opte pour un des quotidiens bilingue, le Nige. Beaucoup de ses articles sont en anglais. C’est le seul qui semble proche des idées identitaires locales. Je feuillette les autres mais sans aucun doute ils sont de tendance anti-alizienne. L'un des articles de la section culturelle du Nige attire mon attention. Il s'agit d'un texte traitant de la défense de l'alizien, réaffirmant son caractère local et originel. Il termine par souligner le mérite de cette langue d’avoir survécu à tous les assauts linguistiques. L'article poursuit en dressant un état comparatif entre la climatologie, la phonétique et l'ethnologie, argumentant ainsi la théorie de l'apparition de cette langue à l’issue du réchauffement climatique.
Malgré la similitude marquée entre nos deux langues, cette recherche me parait incomplète car nulle part elle ne fait mention du basque, la langue d’un monde ancien dont je suis la preuve vivante. L'idée que le continent pourrait faire partie d'une autre planète envahit mon esprit. C’est la seule hypothèse susceptible de fournir une certaine véracité à ces conclusions scientifiques. Comment des chercheurs dignes de ce nom pourraient-ils omettre la présence d'autres langues antérieures dans un même monde ? Cela semble absolument impossible et la théorie extra-planétaire prend tout son corps. Cependant, je suis formel et sais que depuis le franchissement du grand ravin, je n'ai pas traversé d'espace céleste, ni de vide atmosphérique, ni de cosmos. Malgré mon saut dans le grand précipice et la perte de notion du temps, j’ai la conviction d’être resté sur terre. Aucun monde différent ne m'est apparu, seul le territoire alizien et sa langue. Je plie le journal et vais faire quelques courses. J'achète du poisson frais que je m’empresse de préparer au four. Inopinément, vers vingt heures la sonnette retentit. Alan est sur le palier. Quel bonheur. Les grands esprits se rencontrent. Je l’invite à dîner. Nous dégustons un apéritif local. Je surveille la cuisson du merlu et nous nous asseyons à table prêts à converser. Pressés d'en venir à notre échange, nous avalons le poisson à grandes bouchées. Des paperasses prennent place sur la table débarrassée. Quoique rapide, la révision est exhaustive. Nous engageons la conversation sur la morphologie verbale des deux langues qui à mes yeux est identique. Je lui en fournis toutes les explications qui l'étonnent au plus haut point. Néanmoins sa lucidité, sa culture et sa capacité de perception lui font comprendre immédiatement les similitudes structurales de deux langues.
AL, AL-ALI, AL- ALI- ALT, résument les catégories verbales de l'alizien, les mêmes que nos NOR, NORI, NORK.* Il est évident que les deux verbes ont la même morphologie, la leur basée sur la racine AL la nôtre sur IZ.
Les temps de l'indicatif se succèdent sans encombre mais la présence d'un préfixe commun au conditionnel nous laisse pantois. Le BA éventuel basque correspond exactement au SU alizien. Il en est de même pour le potentiel où la possibilité d'être ou d'agir est toujours suffixée par un PE chez eux et un KE chez nous. Une construction de sons, de racines, de préfixes, d'affixes et de suffixes identiques!
Français Basque Alizien
Si j'étais Ni Banintz DE SUDALA
Si tu étais Hi bahintz BE SUBALA
S' il était Hura balitz GE SUGASLA
Si nous étions Gu bagina DEZ SUDALAZ
Si vous étiez Zu bazina BEZ SUBALAZ
Si vous étiez Zuek bazinate BEZI SUBALAZI
S' ils étaient Haiek balira GEZ SUGASLAZ
*Trois formes du verbes basque : Sujet/ Sujet COI/Sujet( k) COD/ Sujet( k) COI COD.
Je remarque que dans nos deux langues surgit un vouvoiement bizarre, à la fois singulier et pluriel.
Dans la forme SUDALA, le préfixe SU a remplacé notre BA éventuel*, le D a pris la place de notre N initial correspondant à la première personne, et leur racine AL équivaut à notre IZ ( intz) et l'alizien rajoute l' affixe Z pour marquer le pluriel.
Au lieu de la forme conditionnelle basque Nintzateke, ( seconde partie de la phrase conditionnelle, si j’ étais….je serai) formée de N-IZ- KE ils emploient DALAPET formé d'un D (moi), AL ( racine), PE ( éventuel), T(passé) et logiquement DALAPET, BALAPET, GALASPET, DALAZPET, BALAZPET, BALAZPEZT, GALASZPET.
Les deux verbes contiennent le même nombre de modes, certains particuliers comme l'éventuel et le potentiel, ou encore une forme passée de ce propre conditionnel, DALAZPETET ( D moi, AL racine, PE éventuel, T passé, Z pluriel pour les formes concernées.).
Constatant toutes ces formules identiques, nous en venons à la conclusion que les deux verbes ont forcément une origine commune, l'ampleur de similitudes écartent d'office la coïncidence. Nous poursuivons notre démonstration en comparant les formes du potentiel, la possibilité d'être ou d'agir, curieusement commun aux deux idiomes et c'est ainsi que l'expression verbale "je pourrais être" correspond à un mode bien précis marquant la possibilité et intrinsèque au verbe. Il suffit d’en retirer la sonorité du passé, N en basque, et de le remplacer par un T pour obtenir la potentialité future.
Ni naiteke DE DALAPET- je pourrais être
Hi haiteke BE BALAPET- tu pourrais être
Hura daiteke GE GALAPET il pourrait être
Gu gaitezke DEZ DALAPEZT nous pourrions être
Zu zaitezke BEZ BALAPEZT vous pourriez être ( sing)
Zuek zaitezkete BEZI BALAZPEZT vous pourriez être( plur)
Haiek daitezke GEZ GALZAPEZT ils pourraient être
*Eventuel est synonyme de conditionnel
Tout s'imbrique à la perfection et devient extrêmement logique. Leur langue est plus pragmatique que la notre et ne s'embarrasse pas de fioritures. L’exemple apporté par les langues antérieures l’a sûrement amené à simplifier le verbe et à se contenter de l’essentiel. Comme si je m’étais trouvé en séminaire culturel avec mes amis, une touche humoristique me pousse à lui demander s'il est capable d'inventer sur le champ un éventuel potentiel passé, en réalité impossible à concevoir dans un présent temporel, mais réalisable en pure théorie morphologique. Je m’amuse donc à le construire et le défie d'en faire autant avec le basque. Il me regarde sournoisement et compose une conjugaison étrange.
-Exactement!- m'écrie-je en riant à pleine dents. La logique est implacable. Cependant, l’alizien rajoute un second E afin de distinguer ces formes d’autres déjà existantes. En relisant la réussite de son essai, je réalise qu’effectivement la forme J’aurais pu être, dans le futur n’existe pas dans les faits mais est morphologiquement constructible.
DE DALAPEET
BE BALAPEET
GE GALAPEET
DEZ DALAPEZET
BEZ BALAPEZET
BEZI BALAZPEZET
GEZ GALAPEZET
Il apparaît donc que cinq modes différents composent le puzzle verbal, l’indicatif, le conditionnel ou éventuel, le potentiel, le subjonctif que nous n’avons pas encore vérifié, et l’impératif dont le B basque est un élément incontournable. Un élément primordial me saute aux yeux. Le futur qui aurait du être marqué par une lettre ou une syllabe à l’intérieur du verbe n'existe dans aucune des deux langues. La construction verbale l’aurait pourtant sollicité. Toutes deux ont recours à un suffixe sur le participe verbal, KO en basque. Elles ignorent la forme synthétique* naturelle comme si personne ne se préoccupait jamais du lendemain. Leur futur serait- il voué à une modification postérieure et sujet à une simplification pragmatique susceptible de devenir forme synthétique à part entière? Je n'en sais rien. Lui non plus, mais il penche plutôt vers une construction analytique.
Dans leur essence verbale, nos deux langues sont à l'évidence cousines. Elles suivent la même philosophie, celle de l'essentiel, du vécu, laissant pour compte l'inconnu et l'avenir. Comment lui signifier que, parfois, dans certaines provinces limitrophes à d’autres cultures, le futur basque apparaît d’une manière plus évidente, comme si les fenêtres ouvertes sur les terres voisines occitanes souhaitaient divulguer l'évidente longévité de notre langue.
Je décide de changer de domaine, tout en méditant sur l'absence absolue de futur dans nos systèmes verbaux. Pourtant ils emploient bien le suffixe PE pour indiquer l'éventuel qui sans aucun doute est embryon de futur. Je ne saisis donc pas leur omission. Comme refusant de braver l'inconnu, les concepts de vie de nos deux langues sont basés sur le présent et le passé et je sais pertinemment et malgré tout que ce n'est point un oubli.
Nous sommes en plein cœur de notre philosophie commune. La leur serait- elle issue de fondements anciens appartenant à d'autres langues dont la notre? Qui sait si l'usure d’une forme ancienne n'aurait pas engendré un nouveau système verbal dépourvu de futur. Pour la première fois, j'envisage sérieusement que l'alizien pourrait provenir du basque, qu'il en serait postérieur, ce qui permettrait de développer l'hypothèse selon laquelle notre monde antérieur au leur et le franchissement successif de ravins dépourvus de notion de temps, ne pourrait appartenir à deux planètes distinctes mais bien au même univers.
* La différence entre synthétique et analytique réside dans l’emploi de l’auxiliaire. EX : j’étais venu est une forme analytique, Je vins est synthétique
Cela fait plus de quatre heures que nous échangeons sur le verbe et la fatigue commence à s'emparer de nous. L’étude du subjonctif va avoir raison de notre lassitude. Les formes basques du présent se disent en alizien, Nadin, hadin, dadin (que je soies, que tu soies, qu'il soit...….)
DALAN
BALAN
GALAN
DALAZN
BALAZN
BALAZNEZ
GALAZN
Celles du passé en Nendin, hendin, zedin (que je fusse, que tu fusses, qu'il fût.....) :
DANLAT
BANLAT
GANLAT
DANLAZT
BANLAZT
BANZLAZT
GANLAZ.
La logique de leur construction me conforte dans ma compréhension du système et nous passons à l'impératif basé sur la lettre M
Basque. Alizien. Français Espagnol
Hadi : MABA ! Que tu soies ! Seas
Bedi : MAGA ! Qu’il Soit ! Sea
Zaitez : MABAZ ! Que vous Soyez ! Seais
Zaitezte : MAZBAZ ! Que vous soyez (plusieurs personnes) Seais !*
Bitez: MAGAZ ! Qu’ils soient Sean
Quel bonheur! Nous savons pertinemment que nous détenons la vérité sur l’origine et la similitude de nos deux langues.
*Veuillez excuser l’absence d’accent en espagnol mais l’ordinateur n’en est point fourni.
SUBAL, IZAL enfants d' EMALIZ
Des flammes ont surgi aux ordres d'Emaliz et Subal et Iza se sont envolés dans le ciel pour sauver le peuple alizien. Frère et sœur, fuyant leur terre incandescente, prennent demeure dans les nuages. Ils apparaissent à présent dans les airs, incarnant deux génies du feu. Ils bondissent lestement d'un stratus à l'autre puis s’enfoncent dans des strato-cumulus cotonneux d’où surgissent des ronflements ténébreux, et font enfin naître des vents violents de leurs soufflets pulmonaires afin de disperser la fumée ondoyante provenant du sol. Ils reçoivent l'ordre de pénétrer dans un cumulo-nimbus si dense que personne ne parvient plus à distinguer leurs corps, leurs gestes et leurs actes. La déesse suprême leur a donné une directive bien précise, faire l'amour en secret. Leur plaisir est aérien.* Un fantasme. Peu après Izal se retrouve enceinte. Quel inceste macabre! A l’image de son ventre abondamment enflé, tous les nuages se remplissent d'eau, et une fois à terme, un éclair fulgurant transperce leur abdomen pour délivrer les eaux qui se métamorphosent en pluie afin d'éteindre l'incendie gigantesque qui suffoque le pays des aliziens. C'est ainsi que la vie s'est emparée de cette terre. La satisfaction d'Emaliz n'a pas de mesure. Oubliant que c’est elle- même qui a imparti l'ordre d’amour, elle leur pardonne définitivement leur inceste divin. Les lacs, les fleuves, rivières et les ruisseaux surgissent alors et les prairies, les plantes et les arbres se vêtent d'un vert émeraude resplendissant. La déesse peuple ce nouveau monde d'hommes et femmes aliziens et demande à ses deux enfants de créer une langue. Provenant de la vie répandue par Izal, Subal leur offre l'alizien et adapte leur pays à leurs besoins. A l'image du son IZ, les phonèmes SU et AL deviennent sacrés et, comme un cadeau merveilleux, la nouvelle langue surgie du feu se répand dans toute leur mythologie, une offrande faite aux aliziens modernes.
C'est le sujet préféré d'Alan lorsqu' il s'adresse à ses élèves. Je peux m'en rendre compte personnellement car il m'a invité à assister à l'un de ses cours. Les élèves l’adorent. Il a le pouvoir de captiver leur audience. A vrai dire, il prêche des convaincus.
*Origine de l’expression s’envoyer en l’air
Tous connaissent cette histoire originelle, cette genèse dépourvue de menace et de vengeance. Ils la considèrent comme rédemptrice car elle a sauvé le monde d'une destruction inévitable. Comme toujours, l'eau est génitrice de vie. Personne ne le met en doute, même pas les anglophones chevronnés. C’est une sorte déluge sans châtiment. La source de l'averse divine (IZOLA) a été couverte d'érotisme exquis. Alan s'adresse souvent plus particulièrement du regard à deux élèves passionnés par le sujet, Elizabeth et Mizel. Il continue son monologue.
- Sachez que tous les habitants du pays des aliziens ont disparu lorsque la déchirure de la couche d'ozone a provoqué un brasier qui a teinté de rouge cette terre, d'une couleur sanguine inexorable, d'une blessure incandescente insupportable.
Tout en refusant la théorie de la réincarnation, notre monde actuel n'est que la conséquence du leur. Après des milliers d'années de sécheresse totale, de désertification extrême et d'inoccupation des terres entraînant le vide absolu, la vie a repris son cours grâce aux flammes encore vivantes et à la pluie qui les a ravivées. Nous sommes nés de l'eau, d’une eau dépourvue de sa qualité d’éteindre le feu et dotée d’une fertilité à la fois aqueuse et ignée. Le couple divin géniteur créé par la déesse suprême en ont été les parents. Ils nous ont donné la langue. Tant d'ères sans parole. Tant d'âges sans langage. Tant de temps sans mémoire. Nous sommes aujourd'hui surgis des flammes aqueuses, prêts à perpétuer notre humanité.
Tout cela ressemble à un jeu, au prélude d'une scène théâtrale gigantesque, à la préface d’une bible écrite par les hommes. La terre a été anéantie par le feu et le ciel par sa fumée. L'humanité s'est avérée inutile jusqu' à l'averse céleste qui nous a redonné la vie. De là est née la parole. Désireux de renaître de ce monde incandescent, le besoin de communiquer s’est fait ressentir mais nous étions incapables de prononcer un seul mot compréhensible. Il nous était impossible de nous éloigner des cris et vociférations initiales dépourvus de concepts. Il a bien fallu trouver une clef. Celle qui a ouvert la porte de la langue alizienne. IZAL et SUBAL sont alors apparus et obéissant aux préceptes d'EMALIZ, SUBAL entreprend la création de l’idiome alizien, en prenant pour base et fondement le feu, AL dans notre langue.
Je suis abasourdi d'entendre cet exposé sur l'origine de l'alizien et surtout d'ouïr Alan mentionner le nom d’Emaliz. Sans aucun doute il s’agit d’une déformation phonétique d’Emariz, AR ayant été remplacé par AL. Il n’a pas pu l’inventer puisqu' elle existe réellement dans ma propre mythologie. Je me demande s’il ne s’agit pas d’une sœur jumelle de ma déesse mère d’Emiz et de la grande famille mythologique. Je n'ai jamais entendu parler de SUBAL et d’IZAL. Par contre la similitude de sonorité avec AL qui nous avait quittés est étrange. La relation évidente entre nos deux croyances est flagrante et les deux déesses ne font qu’une seule et même personne. L’alizien et le basque auraient donc la même mère.
Notre monde carbonisé s’est remis à vivre, alors que l'eau aurait du l'éteindre à jamais. Et c'est ainsi que les générations successives ont adopté le son AL pour construire leur langue, démontrant ainsi que les langues peuvent sans encombre provenir de simples phonèmes ou d'onomatopées.
C'est exactement ce que j'attendais, ce que je suis venu chercher dans ce nouveau monde. Emariz m'y a poussé. Elle savait que j’allais l’y retrouver sous un autre nom. Je me tais tout en souriant de satisfaction
- Pourquoi avoir choisi le son AL et pas un autre ?, ajoute-t-il. La seule explication réside dans la cause initiale de sa création, le feu. Dans des millénaires son origine s’égarera dans les strates temporelles inconnues et la science se contentera d’avancer des hypothèses sur l’origine de l’alizien. Abandonnant toutes les théories scientifiques restreintes, une recherche poétique serait la seule apte à prouver la source de notre alizien chéri. Il suffira de penser au feu, AL et de construire la langue à partir de ce phonème originel.
Je suis seul dans mon coin, passionné par ses dires. Mizel lève le doigt et l'enseignant lui donne la parole :
- Le nom mythologique de la déesse IZAL et l'appellation de notre langue ALIZIA nous laissent penser que le son AL a reçu un jour l'apport du IZ, en d'autres mots que le phonème aqueux IZ a pu être rajouté au AL pour la construction linguistique de notre idiome. Nous pourrions l’affirmer, n’est-ce-pas ? Je trouve dommage que nous n’ayons jamais vénéré la déesse IZAL car son nom le mériterait bien.
Assis au fond de la salle, ses propos m’éclairent et je réfléchis à notre mot, ITZAL (ombre en basque). Il a pu s'épanouir en pleine lumière en inversant ses syllabes et en devenant ALIZIA. Le cours se termine sur ces mots et je m’approche du bureau du professeur pour qu’Alan en profite pour m’expliquer l'introduction de l’attribution en alizien, celle d’un bénéficiaire de l’action au sein du verbe, celle d'un complément d'objet indirect inséré dans la désinence à l’aide d’une lettre. Il me répond. Je sais de quoi il parle puisque le basque le détient. Ce sera le sujet de son prochain cours.
Les élèves sont tous assis et le professeur se met à expliquer la forme AL- ALI, dans laquelle des suffixes et des affixes correspondant à ces deux fonctions viennent se greffer sur la racine verbale, AL en alizien et IZ en Euskara. Les élèves ont l’air de bien comprendre. Une fois l'exposé terminé, il leur demande de prendre leur cahier et d'essayer, en suivant la logique pure, de restaurer le présent de ce verbe qu'on pourrait traduire par la forme inexistante en français: "je suis à lui", "il s'approche" (à moi, attributif, à ne pas confondre avec un suffixe marquant la distance qui se traduirait par " il s’approche de moi").
J'ignore si Alan a abordé ce sujet pour s’adresser à moi mais il est évident que la tournure qu'a prise son cours est une manière cachée de m’expliquer la morphologie du verbe alizien. Je suis en mesure d’affirmer que nos deux langues sont sœurs. Leur don d'ubiquité est manifeste au même titre qu'EMARIZ et EMALIZ, chacune dans sa mythologie. Féminine. A l’inverse d’autres croyances à vision bipolaire basée sur le masculin et le féminin, les nôtres sont exclusivement féminines. Le silence règne. Il m’aide à cogiter sur la complicité de nos pensées et de nos propos. Les élèves ont achevé leur exercice sans erreur aucune. Il leur demande de bien vouloir rechercher les raisons de l'existence de ces phonèmes et de se pencher sur l'essentiel de leur raison d'être. Il essaie de les guider en leur indiquant que les consonnes naturelles plus faciles à prononcer et provenant d'onomatopées ont été les premières à être employées, le B, le D et le G, puis toutes les plus sourdes réservées aux suffixes telles que le P, le T et le K formant ainsi un groupe unitaire différencié par les sonorités labiales, palatales ou gutturales.
-Observez:- ajoute- il, le B et le P sont de la même famille labiale, à la différence de la force imprégnée au mouvement des lèvres. Il en est de même pour le D et le T au niveau du palais ou à celui de la gorge pour le G et le K. Tout est question d'intensité.
Les élèves sont ébahis par la logique de l'explication, celle qui résume en trois gestes buccaux des significations si diverses. Alan revient sur les mots SUBAL et IZAL composés de SU et de Al (le feu en basque et en alizien) et de IZ et de Al (eau et feu), une unité phonétique liée à une théologie grandissante. Laissant de côté l'intermède mythologique qui avait servi d'introduction, il explique l'essence même de la racine verbale qui se doit d'accueillir les éléments du puzzle, préfixés ou suffixés, selon le cas. C'est ainsi que toutes les premières personnes commençant en basque par N au singulier ou G au pluriel, une fois reliées à la racine signifient, quelque soit le temps et le mode, je, je suis, j'étais, "naiz","nintzen", ou nous nous étions, "gaiz", vont l'être exclusivement par le D en alizien. Il suffira d'y ajouter un I final pour les transformer en forme bénéficiaire, AL – ALI, NOR- NORI en basque, et marquer ainsi la forme Sujet- COI (complément d’objet indirect).
De même pour la deuxième personne, singulière ou plurielle, où le H basque correspond au B alizien, la troisième où le G basque singulier correspond au D alizien.
En résumé:
AL AL-ALI
Basque Alizien Sujet- COI Alizien
Ni naiz De Dal je à lui Ge Gadali à eux
Hi haiz Be Bal tu à lui Ge GaBali à eux
Hura da Ge Gal il il à lui Ge GaGali à eux
Gu gara Dez Dalaz nous à lui Ge Gadaliz à eux
Zu zara Bez Balaz vous à lui Ge GaBaliz à eux
Zuek zarete Bezi Balazi vous à lui Ge GaBalizi à eux
Haiek dira Gez Galaz eux à lui Ge GaGaliz à eux
Cette bi-personnalité implique le changement de sujet, mais aussi celui du COI. C’est ainsi qu’on pourra associer d’ une part le «je» avec toutes les autres personnes autres que la première, d’autre part le «tu» avec les personnes autres que la seconde, mais aussi le «il» avec toutes les personnes puisque la troisième personne pourrait être différente et ainsi de suite pour le pluriel. Elizabeth et Mizel s'amusent à compléter le puzzle sur leur cahier et ils montent le résultat à Alan.
Changement de sujet avec le même COI à la première personne :
Je à moi n’existe pas
Tu à moi Be Badali
Il à moi Ge Gadali
Nous à moi n’existe pas
vous à moi Bez badali
vous à moi Bezi badaliz
Ils à moi Gez gadaliz
Le COI à la seconde personne :
Je à toi De dafali
il à toi Ge gabali
nous à toi Dez dabaliz
ils à toi Gez gabaliz
Changement de sujet et COI à la troisième personne :
je à lui De dagali
tu à lui Be bagali
il à lui Ge gagali
nous à lui Dez dagaliz
vous à lui Bez bagali
vous à lui Bezi bagaliz
ils à lui Gez gagaliz
COI à la première personne du pluriel
Tu à nous Be badaliz
il à nous Ge gadaliz
vous à nous Bez badaliz
vous à nous Bezi badazliz
ils à nous Gez gadazliz
ou encore COI à la seconde du pluriel :
je à vous De dabali
il à vous Ge gabali
nous à vous Dez dabaliz
ils à vous Gez gabaliz
ou à la dernière du pluriel :
je à eux De dagazli
tu à eux Be bagazli
ils à eux Ge gagazli
nous à eux Dez dagazliz
vous à eux* Bez bagazli
vous à eux* Bezi bagazliz
ils à eux Gez gagazliz
* Il est temps de faire une précision importante. Dans toutes les temps, je distingue le "vous" singulier (vouvoiement) du "vous" pluriel, éléments présents dans la conjugaison du verbe basque actuel. A vrai dire, je ne devrais pas le faire car les époques différentes mentionnées dans les deux parties distinctes du livre mettent en évidence que le concept du vouvoiement n'existait pas. La seconde personne du pluriel suffirait donc.
Alan examine leurs cahiers et s'émerveille de la capacité intellectuelle de ses deux élèves, aptes aujourd'hui à inventer en toute logique les formes auxquelles personne en classe n'a pensé. Un large sourire d'admiration et de remerciement illumine le visage du professeur qui n'hésite pas à leur demander de transcrire le passé AL- ALI.
Et immédiatement ils se mettent à écrire:
j'étais De Dalat (à lui) de dalagalit
tu étais Be balat (à lui) be balagalit
il était Ge galat (à lui) ge galagalit
nous étions Dez dalazt (à lui) dez galazgalit
Zu zinen Bez balazt (à lui) bez balagalit
Zuek zineten Bezi balazit (à lui)* bezi balazgalit
Haiek ziren Bez galazt (à lui) * gez galazgalit
*Il n'est pas aisé pour un français de s'imaginer la portée de cette construction basque en NOR- NORI car elle n'existe pas en français. Il faudrait concevoir des formes qui, par exemple, pourraient exprimer un bénéficiaire d'une action, d'un geste, d'un mot et rajouter une destination.
Exemple :
-" il s'est approché à moi"( incorrect en français): hura hurbildu zait ( à moi, bénéficiaire) et pas "il s' est approché de moi",( nitaz hurbildu da), groupe de mot dans lequel le bénéficiaire n' est pas inclus dans l'auxiliaire . Les langues latines ne présentes pas ce genre de formes, seul le basque et l'alizien le contiennent.
Les deux élèves ont réussi leur application avec exactitude alors que tous les autres s’embrouillent avec ces formes multiples. Ils obtiennent avec succès toutes les autres formes du subjonctif, du potentiel et de l'impératif. C'est devenu un jeu pour eux. Logique, ce n’est qu’un puzzle.
Potentiel
Ni naiteke de dalape (je peux être)
Hi haiteke be balape(tu peux être)
Hura daiteke ge galape (il peut être)
Gu gaitezke dez dalapez(nous pouvons être)
Zu zaitezke bez balapez(vous pouvez être)
Zuek zaitezkete bezi balazpez(pluriel)
Haiek daitezke gez galazpez(ils peuvent être)
Même construction au passé correspondant à Ni nitekeen (j'aurais pu être):
de dalapeet,
be balapeet,
ge galapeet,
dez dalapezet,
bez balapezet,
bezi balapeziet,
gez galapezet
Il relit avec attention l'hypothétique, un mode irréel du potentiel situé dans un futur imaginaire.
Ni ninteke de dalapete(je pourrais être)
Hi hinteke be balapete(tu pourrais être)
Hura liteke ge galapete(il pourrait être)
Gu gintezke dez dalapete(nous pourrions être)
Zu zintezke bez balazpete(vous pourriez être)
Zuek zinatekete bez balazpezte(vous pourriez être)
Haiek litezke dez galazpezte(ils pourraient être)
Alan en est au passé de AL/ ALI
1-Présent- Ni hiri: de dalapebai, hari dalapebai,(je pouvais.. à lui, par exemple) zuri dalapebaiz, zuei dalapebazi, dalazpebaiz (une phrase explicative s' imposait: je pouvais arriver... à lui, c' est à dire qu' il m' attendait et qu' il était le bénéficiaire de mon geste)
2- Passé- Ni hiri : de dalapebain, hari dalapebain,(j'aurais pu ... à lui). Ni zuri dalapeba…..Une phrase s' imposait pour sa compréhension : j' aurais pu arriver ... à lui(c' est à dire qu' il m' attendait)
3- L'hypothétique- de dalapeis, be balapeis… (je pourrais, encore irréel)
Hura niri: ge galapedai, hiri galapebai, hari galapegai,
guri galapedaiz, zuri galapebaiz, zuei galazpebaiz, haiei galazpegaiz et ainsi de suite...
La sonnette retentit et tous sortent en récréation.
Alan me remet un livret traitant d'étymologie des mots aliziens. J'enfouis ce trésor dans ma poche. Une fois arrivé chez moi, je m'empresse de l'ouvrir. Passionné de linguistique ayant perdu la notion de la réalité, je le dévore en deux heures. J'y découvre beaucoup de nouveautés. En dehors du verbe, les similitudes ne manquent pas entre nos deux langues et j'en suis ravi.
Les aliziens ont créé leur langue à partir de AL, le feu, comme nous la notre à partir de IZ , l' eau et c' est ainsi qu' à l' image de GIZ, gu( nous) IZ( eau, vie) qui veut dire humain, GIZON ,homme en basque ils créent DAL, de D la première personne et la racine AL, phonème essentiel de leur embryon de langue. Nous avons tout construit à partir de IZ, eux l'ont fait à l'aide de AL. Je m'en réjouis immensément.
Et c'est ainsi que :
DAL devint l'homme
DALM, la femme, mot conçu à l'aide du M féminin.
DALIZ, les humains, mâle ou femelle
MADAL, la vie, du M! Impératif, du D moi et nous, puis de la racine AL
Comme en basque, il était étonnant de constater que cet impératif pourrait être interprété comme d’ordre théologique, comme si Emariz avait donné l'ordre de vivre.
ALMI, le nom
ALAI, enceinte AL+AI (la vie ici même)
ALI, la parole
ALIZ, l’eau
ALS, la mort, mot formé de AL et de S, sonorité de l'éventuel, du mystère.
ALIZAM, couler
ALALAL, la flaque, la mare
ALM, être, de AL et de M féminin et maternel.
AL + un préfixe personnel pour conjuguer le verbe être
AL + la marque suffixée de chaque personne
ALEI, la glace (de la racine AL et EI le froid)
ALZAS, le pénis (AL, a de liaison, ZA, le masculin et S l'éventuel)
ALS, la mort (AL et S, éventuel).
ALIZAL, la transpiration (AL, IZ AL)
ALZA, l'étoile, AL et ZA, masculin, vers le haut
MALM, allumer (M! marque de l’impératif, la racine AL, et le M féminin auquel est rajouté pour la première fois un suffixe marquant l'infinitif.)
ALIALS, silence (ALI, parole +ALS, mort)
ALIZAM, salive
MALIZ, Con, sexe féminin (de M, femme, ALIZ, vie et eau).
ALALO, pays, peuple, déjà aperçu à l'arrivée au port.
Aliz et Izal
Je n’ai plus de nouvelles d’Aliz. Je décide de l'appeler. – Salut, c’est moi. Qu'est-ce que tu deviens?
- Bonjour, un revenant. Qu'est- ce qui t'arrives, on ne se voit plus?
Je ne sais que répondre, je suis si absorbé par Alan. Je me sens gêné. Je lui rétorque que je suis passionné par ses enseignements que je n’ai plus le temps de sortir. Dans le fond, il me tarde de la revoir.
- Aurais-tu un instant à me consacrer cet après- midi?- lui dis-je. Malgré le ton de sa voix modifié par la contrariété, elle me répond immédiatement que oui. Serait– elle jalouse? Je présume que oui et j’en souris. Je la vois arriver à vélo à l’heure prévue. Elle l’attache à l’ endroit habituel et nous prenons le chemin de la promenade maritime et comme si de rien n'était. Elle me prend le bras. Une bonne méthode de rapprochement discret pour me reprocher mon absence à voix basse. Elle qui a tant fait pour moi et que j’abandonne pour Alan. A vrai dire je l’adore et j’aurais volontiers engagé une relation amoureuse avec elle mais le souvenir d’Emiz me perturbe encore, comme si elle appartenait à mon aventure alizienne. Je ne sais plus depuis combien de temps je l’ai perdue, des lustres, depuis mon arrivée en Alizie. J’aurais du l’oublier ou du moins ne plus la considérer comme ma compagne. C’est stupide. Aliz m’apprécie beaucoup et elle a souffert de mon absence. Après tout moi aussi j’ai pâti de la sienne lorsqu’elle avait disparu inopinément pour son reportage. Alan est convaincu qu’elle est amoureuse de moi. Il me l’a maintes fois répété. Nous longeons la jetée jusqu' au sémaphore et nous asseyons sur un banc public. La vue est splendide et le bleu de l'océan s'étire jusqu'à l'horizon en mille et une teintes bleues. Turquoise. Cobalt foncé. Outremer. Le silence règne sur le calme profond. Aucune vague ne dérange la quiétude de la mer. Sous l'ombre d'un tamaris géant, elle se blottit contre moi et me fait remarquer les montagnes lointaines qui, faute de brume, apparaissent aujourd'hui clairement sur la gauche. Je pense au mot IZKER, (izker, ezker, à gauche, à proximité de l’eau).
Le mont mythique apparaît à ma droite. On dirait la demeure des êtres mythologiques anciens, Emariz et sa famille. L’antenne rouge, symbole de la vie moderne, semble vouloir leur apporter l’adhésion de la jeunesse qui leur fait tant défaut et son adaptation à la société car pour elle, ces croyances ont perdu tout signe de noblesse. C'est la théorie d'Aliz, qui prétend rallier racines et modernité. Cela m'amuse car c'est exactement ce que je recherche. Elle me sourit et approche ses lèvres des miennes pour m’embrasser. J’adore son parfum. En entrouvrant la bouche, notre baiser s'emplit d'embrun. Je n'ai jamais ressenti une telle sensation marine en moi. Je la préfère à Alan. J’imagine les génies Subal et Izal dans les nuages. Nos cœurs fondent. Le reflux de nos langues est agréable. Notre amour platonique prend enfin corps marin.
J'ignore combien de temps nous sommes restés sur ce banc car la nuit est prête à tomber. Nous rentrons. Nous passons par le chemin du sémaphore qui conduit à la ville. Le jour de mon arrivée au pays des aliziens me revint à l'esprit. Les hommes armés et Liz et Alitxo que j'ai complètement oubliées. Nous arrivons devant chez elle mais elle hésite à me faire monter de peur de me mettre dans l’embarras. On s’embrasse à nouveau avant de se quitter.
Le lendemain matin je lui téléphone pour lui demander si elle a l'intention de se rendre à la conférence programmée à la bibliothèque dans la soirée. Le sujet linguistique m’intéresse au plus haut point et Alan m’a fortement conseillé d’y aller. D’ailleurs il y sera. Tout semble s'amonceler. Alan, ses cours, l'alizien et ses origines, la consanguinité linguistique, les théories de Subal et Izal, le reportage TV et maintenant une conférence, absolument tout sur le même sujet. C'en est trop pour elle et me répond qu’elle en a assez et qu’elle préfère aller se reposer. Elle me considère comme un volcan en éruption incapable de vivre en toute quiétude. Facile à dire. J’aimerais la voir immergée dans un bouillon de création, de découvertes et d’émotion. A chacun son caractère. L’amour passe par l’acceptation des autres. Même englouti dans un stress permanent qui pourrait la perturber. Nous sommes différents. Elle est calme et repos. Je suis un feu d'artifice sans fin, un feu de Bengale dont le bouquet final semble s'itérer et se réitérer à jamais. Mais mon objectif dans ce monde est de trouver un trésor, celui qui permettra de prouver que la théorie du IZ démontre l’origine aqueuse du basque et ceci explique raisonnablement mon dynamisme. De plus, je suis tout près du but. J'ai absolument besoin de l'alizien pour atteindre la preuve finale. Alan m’y aide déjà. La conférence pourrait s’avérer le point primordial de la réussite de mon investigation. Je ne peux pas la louper. Bien que je suppose qu’il va s’agir d’une corroboration de tout ce que j’ai déjà entendu au sujet de l’ origine des mots ALIZ et ALIZIAL, il m’est indispensable d’y assister car si le sujet annoncé concerne l'accession des langues originelles au monde alizien ainsi que les modes de vie à l’époque préhistorique, la comparaison avec IZ et mon monde aquatique pourrait combler définitivement certaines lacunes. J'appelle Alan qui me confirme sa présence. Nous nous donnons rendez- vous à vingt heures. Je me rends sur la place en avance afin de connaître le programme exact de la soirée. L'affiche présente l’intervention des spécialistes comme inédite. Le nom des intervenants ne m'est pas inconnu: Jon Nalberan, Beñat Kalpanaga et Koro Mujikal, écrivains et linguistes locaux. Mon cœur se met à battre intensément. Je rentre dans l’édifice. Tout à coup, j’aperçois Aliz qui fait la queue. Elle a changé d’avis. Elle ne peut pas se passer de relations sociales et adore être entourée de gens qu’elle considère comme importants. Elle nous rejoint et m’adresse un geste de dépit, comme si sa décision ne dépendait pas d’elle. Soudain elle décide de reprendre son attitude active et me présente à plusieurs personnes comme son ami. Elle ne fait rien pour démentir les interprétations erronées. Au contraire. D’ ailleurs nous avons été amants. Ou presque. Pour sa part, Alan est très mondain et salue à tour de bras. J'aperçois Jaltxu dans un coin.
La conférence- débat va commencer. Les cameramen, les preneurs de son, les lumières et le présentateur sont prêts. Une pile de livres négligemment abandonnée orne la table principale située entre plusieurs fauteuils déjà occupés par les intervenants. Les images zooment leurs couvertures. Parmi de nombreux livres aliziens, on peut distinguer un livre original très ancien de Hyacinthe de Tharencey et un ouvrage de Noam Chomsky environ de la même période intitulé " Le structuralisme". Ils ont été posés savamment pour que la caméra les montre en gros plan. Humboldt ne manque pas. Ferdinand Saussure non plus. On y aperçoit la thèse doctorale d'Edward Sapir ainsi que d’autres livres comme « L'âme est dans le cerceau » d’Eduardo Punset ou " L'origine de la nation alizée" de Juan de Perotxegi. « Izotzetik izanera » complète le côté basque de la présentation. Quelques feuillets de Strabon traînent également sur la table. Les images s'attardent sur d’autres livres de sismologie et de climatologie, d'ethnologie ou encore d'anthropologie. Le débat est imminent et sa présentation à l'image devient réalité. Un zoom s’attarde sur un ouvrage de linguistique appliquée. On entend le générique. Une musique antique intitulée Le Boléro de Ravel.
Hitx, le présentateur local, prend la parole et salue les invités et tous les téléspectateurs. -Mesdames, messieurs, bonsoir. De nombreuses hypothèses ont caressé le thème abordé aujourd’hui jusqu' à leur vérification absolue. Le pays des aliziens a été miraculeusement rescapé d'un big-bang solaire qui l'a entièrement calciné. Grâce à un miracle qu’on pourrait traiter de divin, le feu est devenu source de vie car l’eau ne l’a pas éteint. Il nous a permis d'exister à nouveau ainsi que de créer notre langue à partir des vestiges embrasés. Le phonème AL, le feu en alizien, a donc permis de construire une langue extraordinaire qui est devenue aujourd'hui l' emblème de notre résurrection.- Je n'en reviens pas! Je me revois sortir de la grotte inondée et recréer notre nouveau monde et sa propre langue basque à partir du ruissellement de l'eau et de sa sonorité sifflante.
- Qu'en pensez-vous professeur Vinsonal? Poursuit le commentateur.
- Effectivement, nous avons passé des années à rechercher l'origine mystérieuse de l'alizien, perdant parfois beaucoup de temps dans des hypothèses farfelues ou des théories historiques erronées. Aujourd'hui, comme vous l'avez si bien dit, son origine est avérée et sa réalité apparaît comme extraordinaire. Sachez néanmoins que ce n’est pas le seul cas. D'autre peuples anciens ont vécu des phénomènes climatiques bien avant nous et leurs langues ont été crées à partir d'éléments de la nature. Pour ce qui nous concerne, nous n'avons pas eu le choix car notre nature était calcinée. Quelle idée formidable que d'adopter la cause de notre perte à notre résurrection, d’allier les flammes à l’eau et de reconsidérer le feu comme un élément vivifiant capable de faire resurgir un peuple et sa langue. Le Basque, par exemple, est né exclusivement de l’eau et on pourrait comparer sa naissance à la notre, notre feu à leur eau, toutes deux sources de vie, naturelle pour l’une, supranaturelle pour l’alizien.-
L'audience est captivée. Le professeur Nalbaran rajoute :
- Je suis absolument d' accord avec mon collègue Vinsonal. Le monde, le leur, le nôtre, a subi des changements climatiques au cours des ères, des bouleversements qui ont transformé nos deux vies. Nous avons subi un big-bang solaire qui ne nous a pas épargnés mais dont nous avons resurgi, Nos ancêtres millénaires en avaient vécu un autre, cosmique et planétaire, bien avant leur propre apparition et celle de leur langue. Les hommes ont provoqué le notre, par leur négligence et leur manque de précaution. Ils ont terminé par percer la couche d'ozone et engendrer une catastrophe ignée qui a eu raison de notre terre. Mais nous avons resurgi grâce à de nouveaux brassages chimiques insoupçonnés qui ont transformé, grâce à l’averse divine, les flammes, la braise et la fumée meurtrières en éléments vivifiants.-
Kalpanaga prend la parole à son tour : -Il est donc évident qu'avant nous d'autres peuples ont existé et ont possédé une ou plusieurs langues. Nos recherches sont aujourd'hui axées sur leurs origines et nous essayons de percer le mystère de leur création. Il est évident qu'à l'instar de l'alizien, ils ont pris appui sur l'eau, élément essentiel de leur vie. Mais je vais aller plus loin. Je pense qu’ils nous auraient transmis leur savoir afin de valoriser nos propres éléments naturels dévastateurs. L'éventuel mécanisme de construction de leur langue aurait permis le notre, en toute virtualité bien évidemment. Le fait qu'ils aient vécu avant nous favorise cette théorie. La science a accompli de grands pas dans ce sens.-
Nalberan reprend: - D'accord, mais parmi les innombrables langues existantes auparavant n'y en aurait- il pas une ou plusieurs, selon les continents, qui en serait la mère suprême? De la même manière que nous avons réussi à dominer linguistiquement l’alizien et que des dizaines et des dizaines d'idiomes ont vu le jour à partir du nôtre, il est possible qu’à l’instar de la construction de notre verbe d’autres aient pris exemple précédemment afin de créer cette langue maternelle conceptrice de toutes les autres. Je pense que cette langue mère a pu être le basque. Combien de peuples et d'ethnies ont vécu dans cet espace situé entre les mers appelé Europe, combien ont perdu leur langue et leur civilisation alors qu’un seul idiome, un seul, le basque, a survécu depuis l'origine des langues jusqu' à la destruction définitive de leur territoire ? D’innombrables langues plus récentes, plus modernes et selon leurs propres dires plus intelligentes et plus cultivées n'ont pas subsisté, les plus grandes comme le latin ou le grec antique ainsi que leurs filles dialectales. Nous avons de nos jours de nombreux indices qui corroborent cette théorie. C’est la raison pour laquelle nous nous devons de sauvegarder notre langue sans déconsidérer celle des autres. Nous savons maintenant quelles peuvent en être les conséquences. Comme celle du basque, notre destinée est vouée à vivre à jamais. Je dirai qu’on ne renie jamais la mère qui nous fait exister éternellement.-
Une voix surgit du public pour demander si effectivement on a la preuve que l'alizien est bien la mère des autres langues parlées dans le continent igné et si le temps infini écoulé ne faciliterait pas l’éventuel oubli de son origine?-
Personne ne saisit tout à fait le fond de la question de Koral, historienne locale plongée dans la culture alizienne. Elle ajoute qu'elle a lu que l’une des langues importantes disparues utilisait le mot IGNIS pour dire feu et qu' il est étonnant de constater que sa terminaison signifie l’eau IS, IZ et que cette prémonition annonçait déjà qu’au delà de la capacité de l’eau d’éteindre le feu, il serait supra-naturellement capable un jour de vivifier la terre. En matière linguistique ces phénomènes auraient été concrétisés par les phonèmes Ign et Iz, alliant ainsi deux antagonistes traditionnels. De la même manière IZ et AL sont unis à jamais.
De mon côté, je suis heureux et fier de retrouver en alizien la terminaison aqueuse que j’ai inventée. Le silence des intervenants est éloquent. Je suis ému. L'origine de ma langue est dûment mentionnée. Qui pourrait s'imaginer que j'en suis le concepteur. Que ma vie s’est étendue sur toutes les ères et sur tous les mondes. Ma présence ici en est la preuve. Personne ne le sait, ni même Aliz ou Alan. Il m'est impossible de l'avouer car mon caractère d’extraterrestre serait évident. A la fin du débat je me réjouis de pouvoir en tirer les conclusions suivantes:
- D'autres langues ont existé avant l'alizien.
- L'alizien a effectué les même pas que le basque dans sa création.
- L'alizien est la langue mère de leur continent.
- L'origine de l'alizien est scientifiquement prouvée, le feu rallumé par l’eau.
- L'alizien serait donc la continuation du basque qui serait la langue originelle des langues occidentales du continent européen.
Ces cinq affirmations apparaissent maintenant à l'écran. Un type bizarre d'aspect brun à cheveux noirs brillants plaqués au gel manifeste son désaccord mais personne n'en tient cas car l'évidence des conclusions est implacable. Il insiste argumentant son discours par une allégation gratuite qui consiste à dire que tout ce qui a été formulé lors du débat n’est le produit d'un nationalisme exacerbé. Un autre en short le rejoint en silence car il n'ose même pas élever la voix devant se contenter d’avaler sa grandeur disparue en silence. Tous imaginent sa pensée. Il doit se dire que l'anglophonie n'a nullement besoin de cultures rétrogrades et que les aliziens patriotes ne contemplent que leur nombril. Il doit aussi penser que l'histoire des autres peuples et de leurs langues n'a aucune valeur et seule importe la légitimité de la victoire armée ou l’invasion culturelle. Il fait bien de se taire car Alan lui aurait répondu que l'ignorance n'a pas de limites et que son arrogance n'a de pair que sa propre bêtise. Heureusement, tous ont ignoré les dernières interventions.
Le présentateur connu qui a bien décelé la volonté de prise de parole d’un anglophone préfère supplanter ses propos par une affirmation sans appel : - Les langues du monde ancien telles que le latin, le grec ainsi que toutes les langues indo- européennes et leur descendantes romanes, le français, l'espagnol, l'italien, le portugais et bien d'autres ont toutes disparu. La seule qui subsiste est le basque, encore parlé dans certaines contrées du monde antique. Pour ce qui concerne notre époque, l'alizien est bien vivant et pratiqué dans notre pays ainsi que l'anglais à l’accent « chewing-gumé » dans le reste du continent.
Je m’efforce de dissimuler ma surprise car Hitx vient d’affirmer que son continent est bien le même que le mien, et implicitement que les ravins franchis appartiennent à la même planète et que ma condition de basque ne me condamne pas à être un étranger en Alizie. Toutes les vicissitudes linguistiques survenues pendant mon séjour s’expliquent maintenant. D'autres questions fusent à présent sur la disparition des langues, la création des plus anciennes, des plus nouvelles et sur la sauvegarde de l'alizien. Le problème non élucidé dans mon monde et qui me torture l'esprit depuis longtemps me pousse à poser une question :
- Excusez- moi- dis- je- j'aurais une question qui à première vue n’aurait pas un grand rapport avec le sujet traité aujourd'hui mais qui en est cependant la clef. Connaissez-vous exactement la date où l'homme se met à parler abandonnant ainsi les cris et les gestes?-
Je souhaiterais tant que ces érudits éclairent mon ignorance dans ce domaine car l’ayant vécu personnellement, cela me permettrait de dater mes péripéties et de retrouver ainsi la notion du temps si longtemps perdue.- Je vais vous révéler un secret, je suis basque et j’ai vécu tout ce qui a été relaté ici mais je suis incapable de situer mes péripéties dans le temps. – Le public me scrute en silence. Je n’aurais pas du intervenir. Toujours besoin de me faire remarquer. Je n’ai pu me retenir. Peu importe, le public ne comprend rien à mes propos et me dévisage étrangement. Ils me prennent pour un cinglé et ne tiennent pas compte de mon intervention. Le professeur Kalpanaga va prendre la parole pour me répondre en se basant sur la théorie d’Hyacinthe de Tharencey.
- Nous n'en savons rien cher ami. Ni pour ce qui concerne notre monde du AL, ni pour celui du IZ. La seule chose avérée touche à la déglaciation pour le basque et d’autres langues disparues, et au brasier pour l'alizien, situant le feu ainsi bien après l'eau. Il n’y a aucun doute qu’il s'agit de la même planète. L’homme a maltraité la nature et la course à la modernité a fait en sorte que des émissions de gaz toxiques à effet de serre ont presque annihilé le monde ancien. La civilisation connue comme celle de l’homme contemporain a eu la chance d’être assez intelligente pour trouver des solutions et éviter ainsi la destruction totale de la terre. C’est à ce moment là que l’eau déversée par une intervention soi- disant divine parvient à vivifier le feu en s’écoulant vers la mer. Nous sommes nés de ce feu aqueux. Sauvés des flammes destructrices par l’eau qui parvient à redonner la vie aux braises et aux cendres dites « Alesques ». C est ainsi que les mondes Izien et Alesque ne font qu’un, AL prenant le dessus sur IZ dont il est issu.-
Le public est envouté. Nalberan ajoute qu' il est très difficile de donner des dates à ces phénomènes, si ce n' est qu’à l’ origine de la terre, les plantes et les animaux apparaissent bien avant les humains, que ceux- ci passent de longs millénaires dans l' incapacité de s' exprimer et qu' un phénomène extraordinaire est survenu pour provoquer le passage de l’onomatopée au concept et à la langue. Il est évident que l'eau, puis ensuite le feu ont été les déclencheurs de ces phénomènes.-
L'image se fixe sur l'ouvrage de Tharencey posé sur la table, dont la couverture montre une ombrelle imperméable. Je suis le seul à savoir que son auteur a toujours eu une idée obsessionnelle de la climatologie et que le temps a été sa raison de vivre. Il n'a jamais eu tort car c’est bien le climat tempéré qui nous a permis et nous permet de survivre. Les premiers dessins pariétaux du monde antique montrent bien que les gens occupent alors la grotte pour se protéger du froid et de la glace et que le réchauffement du climat les sauve d’une disparition irrémédiable, ce qui leur a permis d’exister très longtemps.- ajoute le professeur Vinsonal.
Koral demande la parole. -Le feu transformé en souffle de vie, aurait également obligé les aliziens à se refugier dans les grottes, reproduisant ainsi les traditions des anciens. Ce n’est que l'abandon progressif de la caverne qui crée la langue alizienne fondée sur le symbole du feu vivant. Il ne s'agit pas, comme pour l’onomatopée reliée au ruissellement des eaux, IZZZZ, d’un crépitement des flammes qui serait sonorisé à la fois par un son sifflant et guttural, mais plutôt d’une idée de souvenir lié au verbe de nos ancêtres. Le son L de l'éventuel basque est apparenté à un avenir mystérieux. Ici, nous l’avons accompagné de la voyelle la plus ouverte possible, le A, symbolisant le besoin de respirer et de vivre après la calcination gigantesque. S’ils savaient qu’aujourd’hui leur trouvaille linguistique était devenue la source de notre existence. Voilà qui nous unit définitivement à eux car de forts indices nous y attachent. Par bonheur, nous connaissons notre origine. Les basques ont toujours douté de la leur. Je pense qu’à un certain moment un ou une basque a du arriver sur notre terre afin de nous procurer notre langue, à moins que, comme le pensent certains, cette transmission ne soit d’ordre divin, ce que j’écarte totalement.-
Cette affirmation transfuse mon cerveau car ma mission est absolument atteinte, aussi bien sur l'origine de nos deux langues que sur le fait que nous occupons la même planète. Comment Koral sait- elle que le L suggérait l’éventuel, le mystère…Cela me fait penser à mon ami de Saint Sébastien qui avait constaté que les caucasiens nous considéraient comme des cousins et l’enseignaient ainsi aux écoliers géorgiens. De nombreux chercheurs férus de linguistique avaient également dans mon monde émis l’idée de la langue mère que pouvait être le basque mais personne n’en avait tenu cas à cause de la suprématie du français et de l’espagnol. Je réfléchis aux dernières paroles de Koral qui émet l’hypothèse qu’un basque ait pu venir impartir ses enseignements linguistiques en terre alizenne. Quelqu’un d’autre avant moi ? Évidemment puisque on parle l’alizien avant que je n’arrive ici. Quel mystère. A moins que…
Aliz me dévisage étrangement. Elle devine mes pensées. Elle est la seule à connaître une partie de mon histoire. Celle qui m’a amené à être un étranger aussi bien dans le monde de Balu qu’ici- même tout en en étant une partie intrinsèque. Elle comprend à présent mon intérêt pour le sujet, ma passion pour Alan, mon obsession pour l'origine des langues.
Le débat se termine. Aliz pourrait témoigner de ma présence ici- bas pendant de nombreuses générations, raconter que je suis arrivé il y a très longtemps au Pays des aliziens et que mon long séjour m'a naturellement transfiguré et fait devenir des leurs. Elle pourrait témoigner que les gens d’ici en contact avec moi dès mon apparition en Alizie, ont toujours gardé le même âge et m’ont aidé à accomplir ma mission, mais elle préfère se taire. Je me sens sur les nerfs. Je lui demande si elle a les clefs de la bibliothèque qui m'avait tant impressionné à l’étage. Je ressens le besoin absolu de consulter certains ouvrages que j'ai déjà repérés. J'ai le pressentiment que la lecture de livres de géographie et de linguistique va corroborer les propos du débat. Elle me tend un passe en secret. Comme un trésor trouvé dans une île perdue, je le serre dans ma main et me met à gravir les marches trois par trois. Le siège de la gardienne est bien rangé sous le bureau. J'ouvre la porte et me dirige vers les sections d’anthropologie et d’ethnologie. Je ne trouve pas d’ouvrage qui traite de la relation étroite entre la glaciation et le brasier, ni même entre les deux big-bangs. Par contre dans la section linguistique, de nombreux livres de grammaire traitent du verbe alizien. L'un deux donne tous les détails sur sa tri- personnalité. Comme je l’ai étudié avec Alan, je vérifie que toutes les formes verbales locales correspondent à une structure basque. Cet ouvrage tout en couleur, s'intitule "Le puzzle alizien" et est édité par l'Académie de la langue alizienne. Un long frisson parcourt mon esprit. La date de parution du livre n’est pas mentionnée mais son auteur, Otalegi- Plazal a été un linguiste renommé dans le monde « alesque ». Il n’est plus depuis longtemps. A l’inverse de mes pertes successives de notion de temps, les aliziens ne connaissent pas l’évolution temporelle et leur manque de vétusté est officiel. J’étais dans l’erreur. Ce n’est pas un phénomène exclusif à ceux qui m’ont côtoyé. Nous sommes identiques. Moi aussi j’ai traversé le temps sans vieillir, de façon différente, quelque peu divine car envoyé par Emariz, mais semblable à l’absence de temps au pays des aliziens. C’est extraordinaire. L’eau et le feu ont effacé le temps sans prolonger la vie qui a le défaut de prolonger la vieillesse. Aliz est aussi jeune que moi, qu’Emiz et qu’Emariz ou Emaliz.
Je feuillette en détail le livre de grammaire et me rends compte que les formes en AL écrites en bleu englobent tous les temps et modes existants, les mêmes qu'en langue basque. Y figurent également des formes archaïques et des formes synthétiques sans auxiliaires. Hallucinant! D' après mes études avec Alan, je constate donc que les deux verbes contiennent des similitudes strictes, un véritable calque, un copié- collé littéral qui rend les deux langues jumelles. Elles ont été construites à partir d'onomatopées et de symboles de manière identique. Je comprends à présent la raison pour laquelle j’avais immédiatement saisi le sens des mots des enfants et les propos de la dame qui m’avait vendu le plan de la ville le jour de mon arrivée. Elle aussi me comprenait. Quelle sagesse que d’avoir franchi le ravin.
Je quitte l'enceinte du bâtiment et attends Alan pour lui faire part de ma découverte. Il m'écoute avec intérêt mais je ne lui apprends rien si ce n’est que IZ s'affiche ouvertement comme la mère de AL. Il diverge un peu de ce qui a été dit dans le colloque et penche plutôt pour une théorie selon laquelle le basque aurait été présent lors de la création de l'alizien, lui apportant ainsi son expérience. Je me trouve en pleine résolution de mon dilemne. Je repense à l’éventuelle présence basque avant mon arrivée. Peu importe. La voix céleste intemporelle d'Emariz m’aurait-elle envoyé Aliz et serait-elle la guide investie de la mission de me rencontrer ? Ce qui voudrait dire qu’Emiz et Aliz ne font qu’un, chacune émissaire de la déesse de son monde auprès de moi. Emariz et Emaliz. Sommes-nous à la croisée des chemins et à celle des ravins ? Tout en saisissant mes propos et absolument en accord avec eux, Alan émet un doute et me demande si je n’avais pas la sensation d’avoir récupéré la notion du temps. A vrai dire, je n’en sais rien. Comment en être sûr dans un pays où le temps n'existe pas. Par surprise il ajoute: - Tu étais bien présent ce jour-là, n’est-ce-pas ? - Je ne comprends pas bien son interrogation. Est- il en train de me demander si j’avais vécu le big-bang solaire qui incendia et revivifia l'Alizie ? Je ne m’en souviens pas. Peut- être. Je ne crois pas. Les ravins semblent postérieurs. A moins qu’Emariz me mette à l’abri de complications en me fournissant une amnésie du passé. Il me dit que quelqu’un avait alors protégé le peuple contre le feu en les poussant dans la grotte afin d’en ressortir une fois la terre revivifiée.
- Je suis sûr que c’était toi- dit-il. Je lui réponds que c’est possible mais qu’à mon arrivée ici le pays des aliziens existait déjà. Il diverge. J’en ai assez fait comme çà. Mon ordre de mission est accompli. Il n'a pas de date, la voix d'Emariz n’a pas de temps et moi- toujours le même âge.
Le livre qu’il tient à la main m’est destiné. Il s’agit d'un exemplaire très ancien d'une valeur inestimable. C'est un traité sur la relation entre peuples décimés et rescapés. Un ouvrage qui mêle philosophie, ethnologie, anthropologie, linguistique, cosmologie et théologie, un livre échu du ravin, des ravins successifs franchis par les aliziens.
Tout à coup de nouvelles formes verbales envahissent mon esprit, des formes du conditionnel passé : Si j'avais été, et d'autres identiques tirées de l'éventuel futur, je serais, j'aurais été... Composées de manière identique elles me démontrent que le passé conditionne absolument le futur. Le L qui apparaît aussi en alizien.
Ni banintz Sudala si j’étais
Hura balitz Sugasla s’il était
Gu bagina Sudalaz si nous étions
Zu bazina Badalaz si vous étiez
Haiek balira Sugaslaz s’ils étaient. Il suffirait d’opter pour une forme analytique pour former le passé, d’y rajouter un participe passé
En un laps de temps, l'éventuel futur vient les compléter:
Nintzateke en basque: dalapet, balapet, galaspet, dalazpet, balazpet,
balazpezt, galasezpet, je serais....
Nintzatekeen en basque: dalapetet, balapetet, galaspetet, dalazpetet,
batazpetet, balazpeztezt, galazpestet, j'aurais été...
Le livre affirme que toutes les formes du verbe alizien adaptées au AL- ALI et au AL- ALI- ALM représentent très exactement 1928 formes différentes, toutes synthétiques, exactement le même nombre qu'en basque.
Aliz se joint à nous. Je suis ravi d’avoir élucidé l'origine du basque qui corrobore ma théorie sur le IZ. Bien que controversée dans notre monde, elle s'avère être la seule explication raisonnée à la création de notre langue. A la différence des basques, les aliziens ont été un peuple cultivé, capable de comprendre et de transmettre leur origine et celle de leur langue aux générations futures, un peuple libre sans aucun symptôme apparent de soumission. Personne sous prétexte de faire partie d’un collectif organisé national n’a prétendu faire disparaître l’alizien, ne l’a dénigré et l’a comparé à une langue d’attardés. Ni même les anglophones. De plus, la grande majorité des habitants de l’Alizie a toujours défendu son idiome et sa tradition à outrance sans permettre à l’anglais de l’étouffer. Leur société n'a pas été vouée à la controverse, à la scission ou à la division. Tous savent où se trouve l'essentiel. La climatologie a formé l'alizien à partir du feu, source de vie de cet univers. Elle a créé le basque à partir de l'eau, du IZ source de vie antique. Éléments vitaux de l'évolution commune, IZAL est ALIZ comme ALIZ est IZAL, éternels.
L'aveu
Je suis devant mon miroir et je ne suis point mon reflet. Pure sorcellerie ou divinité absolue ? Comment comprendre que le reflet d'un miroir ne corresponde pas à ce qui se tient devant lui. Il me faut élucider ce mystère. Je lui adresse la parole au cas où il me répondrait.
- Je suis l'Alizien, lui dis-je. Si tu n'es pas moi, qui es- tu ? Explique-moi pourquoi le visage d'un autre se reflète alors que je me tiens devant toi? - Comme s'il n'avait point de réponse à fournir, le miroir demeure silencieux. Pourtant son chatoiement montre bien qu’il en connaît les raisons. J'itère ma question au cas où il ne m’aurait pas bien compris. Mon reflet me répond enfin avec des mots qui ne sont pas les miens mais dont le sens ne m’est pas étranger. Pas d’erreur, j’ai bien entendu le mot Euskara, Basque. Qui se permet ainsi de prendre ma place? Il est clair qu'une autre langue m'a mystérieusement répliqué, à fortiori une langue ancienne. Elle ne m’est pas inconnue. Alors qu’elle s’adresse à moi, des rides s'emparent de son visage. La voici qui se lance dans un monologue pédagogique.
- Surgie du réchauffement planétaire, de la glace métamorphosée en eau et destinée à t'aider à vivre, je me présente, je suis ta mère. Nous sommes nées de la nature, toi du feu, moi de l’eau. J’ai réussi à revivifier la flamme de ton cœur et aujourd'hui je te remplace sur ce miroir, sur cette nouvelle glace magique afin de te transmettre des conseils indispensables pour éviter tout ce qui m'est arrivé.-
Bien qu'ignorant le pouvoir de cet enchantement, tout hésitant, je poursuis mon interrogatoire afin d'élucider le vrai motif de cette usurpation.
- Êtes-vous réellement le basque?- dis-je timidement.
Comme une mère ayant pitié de son enfant, elle me répond affirmativement, - Tu as pu constater que ceux qui m'ont imaginée ont adopté exactement les mêmes techniques pour te concevoir. Je voudrais te démontrer par ma présence qu'un jour j'ai été comme toi, un embryon de langue et c'est la raison pour laquelle je t'aime comme une mère. Nous ne faisons qu'un mon enfant. Tu as été conçue pour élucider mon origine.-
Interloqué par ses dires, je lui coupe la parole: - Si j’ai bien compris, des phénomènes naturels nous ont crées, vous et moi, à des périodes différentes et les humains qui m’ont enfantée ont adopté les mêmes méthodes de conception que les vôtres. C est bien çà, n’est-ce- pas ? Toutefois, un point me gène car j’ai l’impression que vos créateurs m’ont inventée pour que tout le monde puisse constater la réalité de votre origine. M’auriez vous conçue uniquement pour justifier votre provenance ? –
Elle me répond alors que lorsque le pays des aliziens a eu besoin d'un idiome, elle a transmis ses conseils aux sages ignés qui étaient anxieux d’acquérir un moyen d’expression. Le feu s’est alors avéré vital pour créer l’Alizie et sa langue. J’étais donc là pour leur enseigner la méthodologie à employer. Pas moi mais une de mes filles que j'ai envoyée accomplir la mission de t’enfanter. Elle se nommait Alitz. Elle t’a édifiée en utilisant ma propre morphologie. Tu me diras que cela ressemble bien à une provocation mais, en fait, ça ne l’est point. Lorsque je me suis rendu compte que j’étais devenue le seul élément phonétique sauvegardé dans mon monde anéanti, j’ai ressenti le besoin de donner naissance à une fille à mon image et j’ai mandaté Alitz pour se rendre secrètement au Pays des aliziens. Je l’ai faite franchir le grand ravin et ai profité d’Emariz, mon éternelle alliée pour braver la notion du temps. C’est à ce moment que le dessein d’association de nos deux langues a surgi et que j’ai baptisé mon émissaire à l’aide de deux racines primordiales, celle qui a servi à me créer IZ et AL phonème correspondant au phénomène climatique igné. Dès lors AL a été adopté, à mon image, pour te concevoir. Notre corrélation est donc indissociable, mon enfant.
Je suis abasourdi d'entendre que je ne suis que le résultat d'un jeu lui permettant de consolider ses origines. Je me sens berné. La colère me gagne. Pour me calmer, elle fait réapparaître mon visage sur le miroir de manière à m’apaiser et regagner toute ma confiance. Je me mets alors à m’observer et à me parler. Néanmoins, j’ai eu l’impression que lors de cette transfiguration, des centaines de visages se sont succédé à une vitesse vertigineuse avant de se figer sur le mien, comme si elle souhaitait, au moins furtivement, me divulguer toutes les langues qu’elle aurait engendrées. Il faut qu’elle m’en dise plus. Je ne pense pas qu’elle le souhaite car elle m’en aurait donné des précisions. Je n’insiste pas. Mon image me scrute. En toute confiance et à l'image d'une petite fille implorant sa grand- mère de lui relater avec douceur les contes d'antan, je lui demande de bien vouloir me raconter des réminiscences du passé, mais plutôt que de narrer mes balbutiements linguistiques ignés, elle se lance dans un monologue relatant la période précédente, la sienne, celle du IZ, conceptrice du AL. Quel égocentrisme ! Tant pis, j’en profite pour lui poser quelques questions :
- Comment était- ce avant?, raconte- moi. La vie était dure? Où habitait ton peuple?
Je me rends compte que je me tutoie tout en sachant aussi que malgré la transformation, c’est bien elle qui me parle. Comment pourrait-il en être autrement ? Je sais maintenant qu’elle va me relater la vie antique du basque. Celle de ses ancêtres. Comme si moi- même n’en avais point. Je ne lui en veux pas.
-Tu sais, dans mon pays, la vie ne m'a pas aimée- me répondit- elle. L'amour dont on m'a entourée a fait vivre à ses adeptes de nombreux cauchemars. Malgré tout, ils ont toujours été fidèles. D’autres, ingrats, m'ont rejetée, m’ont oubliée dès qu’ils en ont ressenti le besoin. Je suis passée du rejet à l'adoration, du dégoût à la vénération, de l'oubli au souvenir, et ceux qui ont prétendu m'aimer sans me connaître ne m'ont jamais vraiment appréciée et je n'ai été qu'un prétexte pour eux.
Je perds le fil. Je ne sais plus qui parle, elle ou moi. Sous mes traits, elle parle en son nom. Sa mémoire n’est pas défaillante. Elle poursuit : - Tous ces basques géographiques ingrats ont toujours préféré la langue de circonstance, celle qui, pour eux, représentait la modernité, celle qui m’octroyait un caractère simplet et paysan pour me discréditer. Aujourd’hui, en m'unissant à toi, j'apparais telle que je suis, la langue la plus ancienne du monde, capable de surmonter les invasions et les assauts culturels successifs, la seule à subsister parmi les plus âgées, parmi les morts, parmi les rivales. Je n'ai pas d'âge.
Je m'écrie: - Mais bon sang! Où habitais-tu? Pas en Alizie quand même? Et reprend ton apparence s’il te plait, j’ai du mal à te suivre.
- Pas encore - reprend- elle et toujours empreinte de mon visage, elle me répond calmement:- Je suis née dans la montagne, j’ai vécu dans la grotte afin de protéger les hommes du froid. J'en suis sortie en voie de constitution puis j’ai été formée grâce au ruissellement des eaux. J'ai parcouru les plaines et plateaux, nagé dans les rivières et ruisseaux afin d'assouvir les besoins des humains pour finir dans l'océan. D'autres comme moi ont parcouru le même chemin, de la source vers la mer, mais s'y sont noyées. On m'appelle l'Euskara et je suis fière de mon existence mouvementée. Mes adversaires ne connaissent absolument pas mon histoire. Seule la leur les intéresse. – Je souris car elle a quand même du toupet de dire çà alors qu’elle me néglige pour ne parler que d’elle, mais bon ! – C’est dommage car ils en seraient fiers mais leur ignorance est sans limites. On a fait d’eux mes ennemis et ils l’ont accepté avec naturalité puisqu‘ils sont nés sans moi. Leur nouvelle langue leur a suffit. J'ai néanmoins eu une chance inouïe de compter sur mes vrais enfants qui m'ont toujours aidée à subsister. Ils m'ont défendue à outrance, certains sont même morts pour moi. Toutes ces vicissitudes m'ont appris à être dure mais chaque fois j'ai relevé la tête, grâce à la fidélité des bascophones mais aussi grâce à la propre nature qui a été mon alliée. Ceux qui m'ont agressée et même violée, l'ont fait par sentiment de supériorité, par intransigeance et par ignorance. Ils ignoraient leur propre ignorance. D’autres m’ont attaquée par habitude. C’est ce qu’on leur a appris. Ils s’en sont aisément accommodés. C’est comme ça…Fait attention que tout cela ne t’arrive pas car j'ai vécu de haine en haine et d'assaut en assaut.- Reprenant sa respiration elle poursuit : -Malgré tout, je te le répète, j'ai réussi à faire mon chemin grâce aux miens, en affrontant les plus grands, parfois même en négociant ma survie et en acceptant leurs apports salutaires. Les attaques ennemies n'étant pas simultanées, la mer et la montagne m'ont protégée. J'ai toujours eu l'option de choisir l'une d' entre elles comme repli. J'ai eu la tentation de tomber dans la violence mais j'ai résisté et elle n’a pas duré longtemps car j’ai toujours préféré la paix, parfois à regret. Dans le fond, çà a été la raison de la diminution de mon rayon d'action qui s'est restreint peu à peu au fil des invasions, abandonnant peu à peu le vaste monde vascoïde pour se cantonner à un petit pays appelé Euskal Herria, le Pays Basque, doté de sept provinces. Là où j’ai disparu, la toponymie est néanmoins restée comme témoin. C’est mon seul vestige.-
Je suis étonné de constater qu'elle emploie le présent pour narrer les histoires passées. Me révèle-t-elle ainsi ma destinée? Je n'en sais rien. A moins que l'influence du français ne soit toujours vivante. Il avait alors introduit l'emploi du présent de narration, le même qu’elle utilise aujourd’hui. Il aurait mieux fait de se préserver d’éventuelles agressions anglophones car sa place soigneusement réservée dans les nues visqueuses l’attend, si elle ne l’occupe pas déjà, pas loin de l'espagnol et d'autres langues offensives.
-La violence sournoise a toujours été raisonnée et intelligente, sans armes. Purement scolaire. Voilà la politique de la France. Je me suis souvent demandé la raison profonde de toute cette colonisation linguistique. Pourquoi tant d’arrogance et de haine? On a voulu m'annihiler. Les orgueils démesurés ne méritent que le mépris.
Je vais te faire un aveu. En réalité, mes pires ennemis ont été les miens, ceux qui m'ont reniée. La mort provient toujours des siens, jamais des autres. Une langue ne meurt pas parce que les gens d’ailleurs ne l’apprennent pas mais bien parce que les locaux ne la parlent pas. Je le leur ai crié: Assez ! Pour les faire réagir et qu’ils réalisent qu'on ne peut pas impunément tenter de tuer sa mère. Ils s'en sont moqué et ont perdu toutes les valeurs enseignées depuis des siècles pour gagner celles des assaillants vertueux. Ils ont assimilé et transmis leurs préceptes comme s’il s’agissait des leurs, reniant ainsi les miens. Être basque a été pour eux synonyme de présence physique et géographique, de partie prenante d’un joli pays dépourvu de langue originelle. Un matricide flagrant. Ma mort ne les a pas préoccupés. Je n’étais plus de leur monde. Une étrangère. Et ils se disaient basques. Permets-moi d’insister, j'ai toujours eu des fidèles qui m'ont accompagnée, défendue et maintenue. Ils ont toujours combattu l’homicide volontaire dont étaient coupables ceux qui m’ont toujours désavouée. Tu sais, à partir d’un moment et au nom de sa soi- disant oralité et de son absence de modernité, les jeunes générations ne m’ont plus apprise. La politique s’est chargée du reste. Mais pourtant c'est la politique qui m'a sauvée. Pas la leur.
Comme si sa souffrance suffoquait dans son cœur, elle décide de reprendre son apparence et son visage ridé me démontre sa longévité démesurée. - Des rides irriguées de chagrin- me dit-elle. Tu sais, j’ai préféré adopter ton jeune visage car je suis lasse de constater tant d’abandon et d’ingratitude. Que leur ai-je fait sinon exister ?
En pleine réminiscence, elle poursuit : - De son côté l’Espagne m’a davantage préservée que la France. Souvent par intérêt, par sauvegarde de son identité car son histoire a été jonchée d’épisodes politiques et guerriers en relation avec mon peuple et d’autres nations occupant son territoire. Malgré tout, cela n’a pas empêché la disparition de la langue castillane en Europe. Comme le français qui dans ses derniers soubresauts s’est cantonné à l’Afrique, l’espagnol s’est limité à l’Amérique du sud. Personne ne s’y attendait. Tant pis pour eux car mine de rien, moi je suis vivante, lasse et meurtrie, blessée et le sein tari, mais bien vivante. Tu constates bien sur ce miroir que je suis fière de ma survie, la tête haute et l'âme épanouie.
Le XXIème siècle de la civilisation européenne a été néfaste à leur civilisation. Le climat. L’homme. La pollution. La destruction. L’humanité a péri. Pas moi. Je suis protégée. Comme le proclamait le poète basque Gabriel Aresti, j’ai défendu la maison de mon père avec acharnement, on m’a coupé la main, puis les bras et j’ai défendu ma maison avec l’esprit. Difficile j'en conviens, car il n’est pas aisé de résister dépourvue de force et surtout de descendance.
Comment lutter contre les grands et leur immense culture officielle ?, poursuit-t- elle. Impossible. Demande à Bernard d' Etchepare*, à Matalas*, au curé de Santa Cruz*, à Txiki et Otaegi*. Certains ont réussi à m'introduire dans la cour des cultivés. Ils m'ont lu et m'ont écrit. Seuls les basques résistants m'ont parlé car ceux qui étaient à l’origine de mon existence m'ont renié et ont subi et accepté l'assaut final des plus robustes. Il fallait être des leurs. Quelle honte que de me
*Etchepare : premier écrivain basque
*Matalas, curé souletin à la tête de la révolte contre le roi de France
*Santa Cruz : prêtre carliste adepte de la révolte et contraire aux pactes avec les libéraux centralistes
* Txiki et Otaegi : derniers fusillés basques du franquisme.
parler. Partout. A l'école, dans la rue, à la maison et à la mairie. Ignares! Par bonheur, la fierté s'est rangée dans le camp de mes adeptes et la politique et le climat ont fait le reste. Je vis. Ils ont disparu. Excitée par son harangue, elle fixe mon regard essayant de trouver une alliée car rien de mieux pour survivre que d’être accompagnée.
- Et que dire de la Castille et de l'Aragon dont la monarchie unie a constitué l'Espagne, une et grande. Ne m'en parle pas! Depuis leur invasion de la Navarre en 1512, je n’ai pas été épargnée. J’ai été poursuivie et même tyrannisée, surtout en Navarre. Heureusement que les montagnes et les grottes m'ont protégée.
Comment se fait- il que tous et toutes m'aient pourchassée de la sorte, les uns hexagonaux, les autre péninsulaires. Je leur en veux! A tous! Les romains, les wisigoths, les arabes puis les espagnols qui n’ont pas eu de cesse dans leur acharnement envers moi. Les romains et les celtes l'ont fait de manière fine et intelligente et m'ont inconsciemment aidé à survivre. Ils m'ont sauvée d'une disparition irrémédiable en me modernisant et en m'enrichissant de leur vocabulaire et de leurs croyances. Les premiers grâce au latin, m'ont sortie de mon monde traditionnel et statique, les seconds, par leurs croyances en la nature, ont permis à nos dieux d’exister en les unissant aux éléments naturels qu’ils vénéraient et en créant une subtile fusion de dates, de rituels et de symboles favorisant ainsi le maintien de notre mythologie.
Mais le pire est arrivé avec Franco et sa dictature qui m'a pourchassée, a tué mes amis, a assassiné et bombardé mes défenseurs, sans se rendre compte que leurs méfaits n’étaient que transitoires et qu’ils allaient provoquer une réaction absolument opposée et faire naître une idéologie en ma faveur. La même qui était déjà née avec le carlisme et la défense de la tradition. Leur dieu a parfois été mon allié car les gens qui y ont cru sont devenus mes amis et mes défenseurs instaurant mon usage à l’église comme si j’étais l’instigatrice de leur foi. Tous ceux qui ont souhaité ma mort en ont eu pour leur compte car on ne peut s'en prendre impunément à la mère des langues. Et puis en fin de compte, Dieu existe- il ? J’en doute. Xubiltz et moi ne l’avons pas rencontré dans les nues.
En résumé, mon enfant, mille chemins ont conduit à ma disparition mais cent mille à ma résurrection. Adieu destructeurs ! Adieu assaillants! Au revoir meurtriers en tout genre ! On se reverra le jour où les hommes ne parleront plus. Là- haut. Dans les bulles. Demain. Après- demain. Qui sait ? Jamais. Vous occupez déjà votre siège. Vous suivrais-je un jour ? Peut- être à la fin des temps car je suis vouée à des lendemains victorieux. Vous vous êtes détruits vous- même. Vous avez même saccagé la terre. Heureusement que j’ai réussi à faire renaître le pays du feu, celui des aliziens. C'est par son biais que je renais. Grâce à toi mon amie, ma fille adorée. Je te souris et je t'aime. Ongi etorri!- Bienvenue!-
Elle me sourit et j'en suis émue. Elle me demande toutefois pardon pour sa façon de procéder tout en m'expliquant que c'est la seule solution pour me sauver. - Te mettre au monde, t'enfanter pour me sauver la vie. Une mère ne meurt pas. Une mère existentielle jamais. Sa fille non plus. Je t'avais appelée Alizia, de mon essence aqueuse, IZ et de ta nature ignée, AL, ALIZIA mon amour. ALIZIA-
- Merci pour tout ma maman- lui- dis-je reconnaissante.
Le retour
J’ai besoin de décompresser. Ces derniers temps se sont avérés très riches en enseignements et d’innombrables éléments essentiels sont venus corroborer ma théorie du IZ. Alan et ses connaissances, mon voyage dans les bulles célestes, la conférence et les thèses du professeur Vinsonal, l’ouvrage secret débusqué dans les rayonnages de la bibliothèque et enfin le miroitement magique du basque et l’alizien. J’ai du mal à tout ingurgiter. Surtout qu’Aliz pourrait être la descendante directe des créateurs de l’alizien, elle qui se lasse de mes recherches et qui refuse de m’aider dans mes décisions et mes agissements. Ce n’est pas par hasard que son nom ressemble étrangement à l’émissaire d’Emariz, Alitz, celle qui, d’après la déesse, avait créé l’Alizien bien avant mon arrivée. Mon expérience m’a démontré que deux enfants de la même mère peuvent s’avérer absolument différents et je crois que les sonorités de leurs noms correspondant à l’osmose entre nos deux langues pourraient faire d’Aliz une élue divine. Je lui téléphone. Je suis heureux qu’elle accepte. Elle souhaite aller au cinéma. J’avais prévu autre chose, mais bon…Devant l'entrée je l’embrasse amoureusement. Je sais maintenant que nous sommes identiques. Comme moi, fils éternel d’Emariz, elle est sœur intemporelle d’Alitz et fille d’Emaliz. En quelque sorte ma demi-sœur. Cela ne m’empêche pas de l’embrasser. Dommage car il est trop tard. Cela ressemble à un baiser d'adieu. L'ouvreuse nous installe en silence sans déranger le public qui suit le film déjà entamé. Nous nous asseyons au fond de la salle. C'est un film romantique tout à fait approprié à la situation. Je suis inquiet pour l'avenir. Je me dois de lui avouer la vérité. Je ne sais par où commencer. Je lui prends la main. Les acteurs du film se regardent dans les yeux. Ils remplacent les miens. Elle croit que je vais lui parler de nous à nouveau, de mon amour, du sien. Mais ce n'est point la raison de mon inquiétude. J'ai du mal à le lui avouer.
- Qu'est-ce-qu' il t'arrive? me dit-elle. Je te sens nerveux.
Je n'ose pas lui faire part de ma décision. Pourtant il le faut. J’ignore depuis quand j’ai ressenti le besoin absolu de rentrer. Le besoin de me libérer grandit en moi. Il est temps de retourner en Izie. Ma mission accomplie. Je détiens enfin la preuve de l'origine du son Iz. L'alizien est bien né du phonème AL témoignant ainsi du bien- fondé de l'origine aqueuse du basque. Il est donc possible de créer une langue à partir d'une onomatopée puis d'un phonème précis. Je sais pertinemment qu'il en était ainsi pour le basque puisque je l'ai créée moi- même. Il me fallait prouver son application et celle de sa morphologie par le biais de l'alizien. C’est chose faite! Je suis venu ici dans cette perspective. Il est temps de l'avouer à Aliz. Je crains qu’elle ne le sache déjà. Il n’en est rien. Elle méconnait même ses origines et ignore l’existence d’ Alitz. Tant mieux. Je comprends maintenant que rien ne l’intéresse. Peut-être moi ? Je me tais car le film l'accapare. Je lui serre la main et elle se rend compte que j'ai quelque chose à lui dire. Je préfère ne pas la regarder. Les légers pincements qu'elle appose sur ma main me montrent bien son malaise. Un baiser sur le dos de la sienne devrait l’apaiser. Pas du tout, j’ai l’impression de la perturber. Elle pense éventuellement à une déclaration d'amour. Je m'approche d'elle et lui glisse à l'oreille: - Aliz, je m'en vais, tu viens avec moi?- Elle se demande pour quelle raison je désire quitter la salle. Elle me dit d'attendre la fin du film..
- Tu veux partir maintenant?, me dit- elle.
- Non ma chérie, pas d'ici, du Pays des aliziens, lui rétorquai- je.
- De quel pays ?, dit-elle.
- Du tien, voyons, de celui- ci, du Pays des aliziens.
- Et pour aller où?, répondit- elle incrédule.
- Je ne peux pas te le dire ici, mais je m'en vais et je serai ravi que tu puisses m’accompagner. Elle ignore qu’il existe un autre monde. Le mien.
Nous restons silencieux jusqu' à l'apparition de l’intitulé " The end" à l'écran. Je suis inquiet de sa réaction. Je sais néanmoins que c'est "my end". Les lumières éclairent la salle. Mon regard lumineux lui semble protecteur. Le sien parait protégé. Comme jamais. Elle devine le long frisson qui parcourt mon corps. Nous nous embrassons à nouveau. Cette fois pour de bon. A la sortie du cinéma, nous empruntons pour la dernière fois le chemin de chez elle. Elle me demande des précisions. Je lui confesse que je suis venu sur cette terre chargé d'une mission particulière qui aujourd'hui est remplie et que je dois donc m'en aller. Elle ne comprend pas bien pourquoi ni où je dois m’en aller. J’ignore le temps qui s'est écoulé depuis mon arrivée mais je suis le seul à savoir que ma présence n’a été que transitoire. J’ai du arriver hier.
- Et c'est maintenant que tu attends pour me révéler tout cela? Maintenant que nous nous aimons ?
- Oui, peut-être, pardonne- moi. Viendrais-tu avec moi? Il est toujours temps.
- Mais où ça, bon sang?, s'écrie- t- elle à bout de nerfs. Elle n’ignore pas que je viens d’ailleurs. Elle ne supposait pas que je veuille y retourner.
Mon départ n'est plus l'essentiel à présent. Il faut qu'elle m'accompagne, me fasse confiance et me suive vers l'inconnu. Elle doit tout quitter, son pays, sa famille, ses amis, son travail, tout. Pour une aventure mystérieuse. Je ne peux pas lui en dire plus pour l' instant. Et pourtant. Nous nous blottissons l'un à l'autre. Je me décide enfin à déballer mon secret.
-Écoute bien ma chérie, un jour, il y a très longtemps, je suis arrivé en Alizie issu d'un autre monde, d'une terre décimée par le réchauffement planétaire qui m'a obligé alors à quitter ma ville, mon territoire et mon pays. La volonté de la déesse EMARIZ m’a amené ici. Elle m’a guidé de son étrange voix jusqu' à franchir un ravin en apparence inaccessible. Ayant perdu la notion du temps, je me suis réveillé sur une terre à la recherche de preuves qui pourraient corroborer la théorie linguistique du IZ, celle qui permet de retrouver officiellement l’origine du basque. Je suis comme un mercenaire linguistique. Je ne suis ni un extraterrestre, ni même un messie, mais un créateur de langues éternelles. Ma langue est la mère phonétique de la tienne qui reconnaissante m’a aidé à retrouver ma source. J’ai mis des centaines de siècles à élucider mon dessein. Aujourd'hui c'est fait et je dois m’en aller-
En pleine méditation, Aliz réfléchit. Elle a du mal à comprendre l’ordre de mission divin. Je reconnais que tout ceci est irréel. Mais elle a vécu à mes côtés et me connait bien. Elle pense que je suis le responsable de la perte du temps. A vrai dire j’en doute moi- même car il faut avoir vécu le temps pour réaliser qu’il existe. Me considère-t-elle coupable de colonisation? Par contre je suis persuadé qu’elle ignore être l’envoyée d’Emaliz. Une pensée accapare mon esprit, Aliz serait- elle la remplaçante d’Emiz en Alizie ? Comment l’élucider ? De toute façon seule Emariz pourrait me fournir le renseignement car c’est bien elle la déesse suprême, laissant à sa jumelle le seul rôle de représentation en Alizie. Elle ne peut pas m’aider, elle n’en a aucune idée, ni de son origine ni de sa destinée. Nous avons vécu ensemble une expérience formidable. Je voudrais que les siens la poursuivent. Alan, Jaltxu, Elizabeth, Mizel, Koral... Je n’ose pas lui parler d’Emiz. Elle n’existe plus. Je n'ose pas aborder le sujet. Il ne faudrait pas qu’elle réapparaisse au Pays basque. Elle pourrait revenir de nulle part. Elle aurait une bonne raison de refuser de me suivre. Je me tais et laisse agir le destin. Je voudrais lui expliquer qu'elle sera heureuse avec moi, mais comment procéder ? Je ne peux pas lui fournir de détails et lui dire que je quitte ce bas- monde pour en regagner un autre, ailleurs, que je suis un étranger ici, partout, comme l'avait assuré oncle Balu. Moi- même ne sais qu’en penser.
Elle tient sa tête toujours entre les mains et me lance des coups d'œil furtifs comme si elle tentait de vérifier mon identité. Je devine ses pensées. Elle se demande si je suis moi. Parfois ses yeux perçants me blessent froidement le cœur comme la lame d'un glaive atteignant sa cible fragile mais aujourd’hui ils me couvrent d'une douce clarté, ce qui laisse supposer qu’elle s’apprête à accéder à ma nouvelle lumière. Serait-elle lasse de ce monde et remercierait-elle mon offre de départ? Nous restons absolument muets à nous regarder. Je m'approche d'elle pour l'embrasser. Serait-ce le dernier baiser, celui de l'adieu? Encore ? Pas du tout! Elle répond amoureusement à mon câlin, ce qui me fait augurer des lendemains heureux. Elle m’avoue timidement qu'il lui faut davantage de temps et de précisions pour prendre sa décision définitive. Elle ajoute que les terribles ravins dont je lui ai parlé l’effraient. -Ils devront être franchi en sens inverse, n’est-ce- pas ?- ajoute- t- elle toute hésitante. Elle ne souhaite pas mettre sa vie en danger sur un coup de tête. Je pense qu’elle appréhende de remonter le temps. Je voudrais la rassurer et lui dire qu’un avenir limpide nous attend, un lendemain où nos deux éléments ne feront plus qu’un.
Je ne la vois plus. Elle est partie. Je ne voudrais pas la bousculer. Je suis néanmoins pressé. Entre-temps je décide de rendre visite à plusieurs personnes avant de quitter ce monde. Liz et Alitxo. Elles sont bien toujours aussi mignonnes. Je les adore. Auraient- elles vécu plusieurs fois pour conserver ainsi le même âge ? Je n'en sais trop rien. Je les attends à la sortie de l'école pour éviter leurs parents. Elles sont là, devant moi, vêtues d’une jupe à carreaux identique à celle qu’elles portaient le jour de mon arrivée, de la même chemise blanche et des longues chaussettes jusqu' aux genoux. Dès qu'elles m'aperçoivent elles se précipitent et me sautent au cou. Je sais que c'est notre dernière étreinte mais je n'en dis rien.
Une fois chez Alan, une immense nostalgie me gagne et un coup de vent tourne les pages de mon livre de prédilection posé sur la table. Il l’a ramené à sa première page, comme s’il avait le pouvoir de renverser le temps et le faire revenir en arrière. Il est ouvert au tout début de la formation morphologique du verbe. Le vent a deviné mon émotion. Il a deviné mon intention.
Alan me montre un ouvrage de géographie sur lequel apparait la carte du Pays des aliziens, bordé par l'océan au nord. Nous y sommes. J'en parcours insouciamment les noms des provinces locales Balkai, Galpur, Alad, Dalai, Alapur, Alber et la légende qui l’accompagne. Le livre est écrit en anglais. Les mots Lastfrench, Lostpanish, Desrope y figurent en lettres majuscules. La géographie ne m'ayant jamais trop intéressé, il me passe un livre d'histoire. Son contenu évoque la préhistoire et la théologie. Il évoque une belle déesse qui aurait crée l’alizien et la période où des pluies incessantes de cellules en forme de bulles se seraient abattues sur la terre afin d'éteindre l'Incendie. Les expériences vécues me font penser à la mort qui vient restaurer la vie. BIZIL. Je maîtrise l'histoire de Subal et d'Izal. J’ai oublié que leur progéniture s'appelle AL destinée à regagner le pays des aliziens, à la recherche d'une langue originelle, issue de l'eau. Pas mon ennemi, celui qui nous avait quitté au pied de la grotte. Le son AL, le feu. Il est étrange de constater la similitude de leurs noms. L’eau et le feu. Malgré tout, il n’existe point de vie sans eau. Ni d’enfants sans femmes. Las de tous ces propos répétitifs et pressé de quitter ce monde je ferme le livre. A quoi bon me torturer l'esprit puisque ma mission est accomplie et j'ai fermement décidé de partir.
Tout à coup Alan me dit adieu. Il a effectivement deviné. A moins qu’Aliz l'ait appelé. Je réalise que lui aussi m'a accompagné pendant toute mon aventure, notion du temps égarée. Il ne le sait même pas car le temps n’existe pas ici. Il a du sentir mon départ au fond de lui. Il s'excuse et s’absente un instant. Il réapparait un petit livre de poche à la main et me l'offre en me faisant jurer de ne pas l'ouvrir avant d'atteindre mon destin final. Il ajoute qu'Aliz en sera témoin. Je ne peux qu’acquiescer. Il vient de m’apprendre qu’Aliz lui a fait part de sa décision. Je souris de bonheur et le remercie de tout cœur. Je le prie de devenir le témoin essentiel de mon séjour parmi eux. Il me le promet. Il est le mieux placé puisque Aliz sera à mes côtés.
Je lui demande de dire au-revoir de ma part à Jaltxu, à Elizabeth et à Mizel. Je pense à Aber. Nos bras se serrent dans une étreinte extraordinaire. Nos larmes versent une eau de vie. Mon cœur est béant. J'appelle Aliz qui ne répond pas. Au bout d’un instant je vais la retrouver. Nous y sommes. Je lui en demande confirmation. J’espère qu’elle n’a pas changé d’avis. En effet, elle a bien pris sa décision. Mieux vaut oublier tout le reste car l'essentiel est acquis. Elle rentre prendre ses affaires et nous nous donnons rendez- vous devant la bibliothèque. Je revois par la fenêtre de chez moi la montagne mythique et j'imagine son antenne rouge enfouie dans le brouillard. J'enfile mon K.way sans réfléchir. Prémonition. Personne ne peut m'empêcher de penser à une éventuelle nouvelle transformation climatique prédite par ce chapeau nuageux sur la crête du mont. J'en ressens une crainte démesurée. Pour les autres. Pas pour moi. Mon départ augure-t-il de nouveaux changements de milieu? C’est la première fois que la montagne est ainsi couverte ce qui laisse augurer que les plus hautes le sont aussi. Il est temps de partir. Nous prenons le chemin du retour lorsque tout à coup le tonnerre se met à gronder et une forte averse nous contraint à nous réfugier sous un chêne. Alors que je scrute le ciel, des génies mythologiques surgissent parmi les ténèbres. Pas les habituels. Pas les miens. Ceux du pays des aliziens. Aliz lève son regard mais elle ne remarque rien. Cette apparition m’est destinée. Elle me scrute étrangement. Je décide de me taire. Je suis le seul à pouvoir les distinguer. SUBAL et IZAL se tiennent par la main. Ils nous attendent. INKO, détenteur des lieux élevés domine le paradis, une crosse en forme de serpent à la main sur un cumulo-nimbus étrange. Il existe ! Impossible ! Ce doit être un simple géniteur. Sa physionomie me l’indique. A ses côtés IZKAL, le dieu de l'eau. Plus bas parmi les stratus, ZUBIZAL et son fils IZLANARAL. A gauche KALIZ, le dieu du mal assis entre les flammes issues de son nuage noir particulier. Il est habituellement envoyé sur terre pour sévir et punir les méchants. J'ai du mal à distinguer la partie haute du ciel où doivent sûrement se terrer les jumelles EMALIZ et EMARIZ. Elles devraient se passer le relais car la correspondante alizienne n’est plus dans son domaine.. Comme d’autres dieux, elles se cachent. Je m’en étonne. J'aurais aimé entendre sa voix et la connaître enfin. Je suis à la fois heureux et effrayé car je n'ai jamais vu de dieux ainsi voués à eux- même. De quoi sont- ils capables ? Il me faut disparaître au plus tôt. Le destin en hèle un nouveau. Ailleurs.
La présence de la déesse suprême que j’ai pressentie m’émeut. Je me mets à penser à sa cachette qui a toujours été une grotte située sur une cime élevée. Mais heureusement qu’elle est femme et que la tradition mythologique la situe proche de son peuple. Sa caverne occulte est tangible et même si Emariz est divine et s’envole parfois dans les airs, sa vie est matérielle et les gens gravissent les montagnes pour s’entretenir avec elle. C’est ainsi qu’a subsisté la croyance chez les basques. Je me refuse d’imaginer qu’elle soit homme. On assisterait probablement à un déicide de la part des basques et notre peuple ne le mériterait. La vengeance, la menace et la violence ne font pas partie de la panoplie de la déesse. Le peuple le sait. En somme la plupart des hommes ne sont que des reproducteurs. L’expérience me l’a montré.
Je viens d’entrevoir à nouveau Inko. Certains aliziens le prennent pour Dieu, faute d’admettre la féminité divine. Machos ! Si cette croyance virile s’avérait réelle, il se serait abstenu d’apparaitre et resterait caché comme tous les dieux. Seuls les hommes sont ainsi imbus de leur personne et ont pour pratique de faire les intéressants, la plupart du temps devant une femme. Une question de charme et de séduction. Le cas échéant Inko préfèrerait envoyer son fils propager la bonnenouvelle et le bien fondé de son existence. Un peu comme Emariz et moi- même ou encore Emiz ou Aliz san aucune connotation religieuse. Malgré tout, une solution de facilité que de n’être pas soi- même martyr. En bref, un dieu masculin n’aurait aucune raison d’être en Alizie. Il serait immédiatement accusé d’infanticide, jugé et dûment crucifié. Le peuple alizien n’a pas de mémoire précise des réminiscences dont l’origine lui est inconnue. Difficile de leur imaginer un messie qui meure et ressuscite d’entre les morts. Bon, admettons… Mais juste provisoirement, juste le temps que de nouveaux hébreux alesques aient la capacité d’inventer un nouveau conte. D’ ailleurs ils ne perdraient pas leur temps à cela. Sur quelles bases ? Ils n’ont point de religion, pas de bible, pas d’églises, rien. Ce qui est sûr c’est qu’au Pays basque et en Alizie, Emariz et Emaliz ne tuent pas. Elles envoient leurs émissaires pour redresser les gens qui se sont détournés du droit chemin. Elles ne les assassinent pas. Elles ne les noient jamais. Elles n’organisent pas de croisades. Elles ne disloquent jamais leur langue lorsqu’ils gravissent des montagnes avides de connaissance divine.* Elles auraient pu affirmer qu’elles étaient secrètes et punir ainsi les hommes qui prétendraient les rechercher sur les sommets. Même plus haut. Mais non. Elles n’auraient jamais accepté que l’idiome de leurs ancêtres disparaisse et n’auraient pas agi comme un dieu masculin destructeur. Elles ont du cœur. Un cœur maternel. Il faut être homme pour agir avec violence. Une femme déesse n’aurait nullement réduit ses congénères à des êtres soumis à la merci des mâles. Elle n’aurait pas inventé un récit où la femme serait dénigrée et accusée de tous les maux pour avoir manger une pomme soi- disant interdite. La grande différence est là.
La tempête a cessé et j’entends Aliz chuchoter. -On y va? - Il ne m'en faut pas plus avant qu'elle ne change d'avis. Nous empruntons le chemin de la sortie, celui qui mène à toutes les directions. Partout. Même ailleurs. Je salue le temps avec effusion. Pas le climatique, le temps tout court, celui que j'ai si longtemps égaré, celui qui n’existe pas ici- bas. Nous prenons le chemin du littoral. Je ne le reconnais pas. Des milliers de constructions nouvelles jonchent le sentier. On a du mal à voir la mer. Je sais qu’elle me salue. L'épouvantail serait-il à sa
*Voir La Genèse. Déluge et Tour de Babel
place ? Nous marchons plus vite qu’à l’aller, comme si les vents s’élevaient derrière nous et nous poussaient vers le destin final. Liz et Alitxo me sourient. La fin de ce monde approche. Emaliz et Emariz le savent. En fin de compte « Déesse seul le sait ». La leur, la mienne, la nôtre.
Les oiseaux regagnent leurs nids. Je revois l’arbre à la croisée des chemins. Le pantin désarticulé est balancé par le souffle marin. Il a perdu son écriteau. A part cela, rien n'a changé. Tapies derrière le chêne, les fillettes m’ont fait la surprise et tiennent à me dire adieu. Elles ont deviné mon départ. Le ciel se noircit. Un éclair frappe le grand arbre. Ouf ! Elles sont saines et sauves. Elles s’enfuient affolées en me saluant. Les montagnes s'éclaircissent d'un rayon phosphorescent. D'un bond magique je m'agrippe aux branches de l'arbre sacré, au sommet du ravin. Aliz s'accroche à moi. Il replie ses ramures comme une ventouse qui nous projette vers le haut. Nous traversons les nuages gorgés d’eau. Et puis, le vide, l’ombre. Le temps passe et la tempête qui a repris de plus belle nous précipite sur l’autre flanc. Le vent souffle fort. Il nous projette sur le sol détrempé imprégné de couleur verte. La neige, la grêle, et la pluie ont fait leur travail. J'entends un ruisseau couler.
C’est la fin du monde. Du leur. Aliz a bien fait de m’accompagner. Mon regard cloué vers le bas ne distingue plus que du rouge, un parterre de flammes et de braises destructeur. Son monde n’existe plus. Plus d’eau pour l’éteindre. L’Alizie brûle. Je suis parti. Cependant j’aurais aimé le vivre pour en réchapper et rejouer les mercenaires. Elle ne voit rien et me signale que toutes ces images ne se succèdent que dans mes rêves ou sont l’objet d’un mirage. En franchissant le ravin à l’ envers, nous avons perdu à nouveau la notion du temps. Je constate qu’au loin les flammes s'éteignent définitivement et un sol de cendre noirâtre surgit de l'enfer. Encore une hallucination ? La lumière ne l'atteint plus. J’étais sa lumière. Sur la crête, le soleil se réjouit de notre arrivée et se met à illuminer tous les parages d'un scintillement extraordinaire. Un halo singulier nous trace le chemin à suivre. Plus de pierres ni de ronces et d'orties. Je les reconnais. L’Alizie est déjà loin. Aliz pleure de nostalgie. Elle ne sait pas ce qui l’attend. Moi j'en ai l'habitude. Elle va plonger dans l'inconnu. Derrière nous, le ciel noir augure la mort. Adieu Pays des aliziens.
Nous sautons de rocher en rocher, de collines en collines. Toutes celles que j'ai abandonnées à l'aller. Les sources et ruisseaux abondent. Nous traversons des forêts par des sentiers humides. La boue nous réconforte. Aliz me tient toujours par la main. Elle a peur de glisser. La géographie lui paraît comparable à la sienne, des plaines, des plateaux, des montagnes, des cours d’eau. La plaine s’étend à présent devant nos yeux. Nous nous y engageons et nous distinguons au loin enfin la mer. Elle nous hèle. Nous y sommes. Ce n’est pas le même océan. Il est plus salé. Surprise ! Il s’est asséché. Un désert de sel s'étend devant nous. Tout blanc. En prolongement de la plage. Arrivés au bord de cette saline aride, le fond de la cuvette abandonnée par l’océan évaporé se met à verdir, laissant entrevoir de belles prairies accueillantes. Encore un mirage. Le temps se moque de nous et les phénomènes géologiques établissent un nouvel ordre des choses. Les ères se sont succédé en un laps de temps. Nous nous allongeons et nous endormons paisiblement. Un léger vent balance nos rêves. Le climat vient de changer et notre vie renaît. Je voudrais la rassurer. C’est traditionnel. Les phénomènes se succèdent à une vitesse extraordinaire. Nous n’avons pas le temps d’ingurgiter les événements. La fatigue ne nous atteint pas malgré le manque de sommeil. Nous n’en avons pas eu le temps de nous reposer. Mon bonheur est extrême. Je suis rentré chez moi. Il est trop tôt pour lui avouer que je proviens d'ici-même, mais elle s’en doute. Elle est perturbée par ces précipitations climatiques. Elle se demande si c’est bien elle à mon bras. Elle n’imaginait pas un tel voyage. Ce qui la déstabilise le plus est le regain de la notion du temps. Elle aurait préféré demeurer dans son oubli. Elle dort profondément. Son sommeil est agité. Pas le mien.
A son réveil, je lui explique que nous devons escalader des cimes rocheuses qui mènent à la nouvelle crête qui se dresse devant nous. Sur son flanc j’aperçois le trou béant d'une caverne. Nous sommes bien chez moi. La température est agréable. C’est le moment et le lieu idéal pour faire l’amour. C’est la première fois. J'apprécie. Son espace vaginal humide et visqueux est semblable au lieu céleste inter –cellulaire. La même sensation de bonheur. Je la pénètre en douceur. Elle apprécie. Au moment d'éjaculer, je l’imagine déjà enceinte, son enfant dans les bras, puis les siens ou plutôt les siennes devenues mamans, encore et encore. J’éprouve une vive joie de constater l’écoulement accéléré du temps dans cette grotte aqueuse. Je suis à nouveau plongé dans le IZ. Je remonte les âges, mon âge, de la jeunesse vers l'enfance, de l'expérience vers l'innocence, de la naissance à la conception. Je flotte dans l’eau de vie d’Emariz. Je suis issu de son ventre. Je comprends maintenant l’avidité maternelle que j’ai toujours ressentie. Je n’ai pas connu ce bonheur. J’ai toujours été à sa recherche. A la recherche d'une nouvelle vie. J'entends sa voix céleste qui me souhaite la bienvenue. Je l'aperçois dans le ciel un peigne à la main se regardant dans un miroir. Elle coiffe sa chevelure resplendissante enveloppée dans les nuages. J’admire pour la première fois son visage sur le reflet de la glace des cieux. Je remarque qu’elle aussi est enceinte. Décidemment ! Qui lui a fait l’amour? On ne peut pas engrosser une déesse. Il faudrait être un dieu suprême. Il n’y en a pas dans le secteur. Inko le géniteur est resté chez lui. Pourtant. A moins que ce soit une nouvelle vierge immaculée et que le mâle s’avère inutile dans les cieux. Histoires divines…Le retour dans mon monde me ramène à présent à la vie journalière et j’ai du mal à avoir des considérations philosophiques et théologiques. Je l’observe une dernière fois. Elle souffre. Ses contractions la font souffrir. Une Déesse pourrait être victime de maux ? Je divague.
Emariz nous observe. Elle protège sa fille. Comme jadis Emiz. Mes demi- sœurs. Je regarde vers le ciel et je crains le pire. L’ombre d’Emiz se profile derrière sa mère. Elle se tient à la porte de son domaine prête à descendre et à m’accompagner de nouveau sur terre. Mais la vie va de l’avant et Aliz est enceinte. Que faire? La déesse, lucide, décide de ne pas m’en encombrer et la garde à ses côtés. Elle la destine sûrement à d’autres missions.
Le temps passe. Les générations se succèdent encore. Aliz a déjà eu plusieurs enfants dont je suis le père. Nous faisons souvent l’amour. C’est la dernière fois avant d’atteindre mon objectif final. Elle a déjà le ventre bien arrondi. J’ai l’impression d’avoir remonté le temps car nous sommes assis sur le flanc d’une colline où s’ouvre une cavité caverneuse. Je reconnais vaguement cet endroit. Nous nous enfonçons dans la grotte et j’entends l’eau qui coule. Emariz sourit. Un dessin pariétal attire mon attention. Sur la paroi blanchâtre, un enfant monte un poney tout près d’un homme face à lui. Je m’interroge sur la date d'exécution de cette œuvre d’art, sur sa longévité, sur sa postérité. Sans réponse, je scrute à nouveau le tracé et crois entrevoir un sourire sur le visage de l'homme. Emariz jubile. Aliz ne la distingue pas.
Tout à coup la déesse me demande de lui montrer le livre confié par Alan enfoui dans la poche. Il traite de la morphologie de l'alizien et lui est destiné. Je n’en savais rien. Aliz a des nausées. Des contractions. Des poussées. Encore. Enfin. Elle accouche de jumelles. Cette fois chez nous. Le temps est à présent une réalité. Emariz me souffle de les appeler IZORAL et ALORIZ Je ne vois plus la déesse qui est redevenue une voix. Elle doit être bien coiffée. J’ai la sensation qu’elle a eu besoin d’une émissaire pour accoucher elle- même. Elle aurait donc fait enfanter sa fille à sa place pour éviter de créer des précédents. En somme, une mise au monde collective. Tapie dans les nuages, Emariz a perdu ses eaux. Top-secret. Les eaux qui ont quitté simultanément les deux femmes se sont rejointes et commencent à couler pour former un beau ruisseau dont le ruissellement me rappelle le passé. Des eaux divines. Divines de paganisme. C’est ce que diront les spécialistes plus tard. Balivernes.
IZZZZ. Je l’entends. Une rivière s'en forme. Elle nous a engloutis. Nous parvenons malgré tout à poursuivre son lit à la nage. Une nage dorsale, qui nous permet de scruter le passé tout en avançant vers l’avenir. Le destin inexorable nous hèle. La mer. Les eaux dévalent la pente entre les rochers. Des torrents se forment. L’eau stagne. Des miroirs apparaissent. Peu à peu l’écoulement des eaux devient fleuve. La mer approche. La marée a atteint son plus haut degré. Nous avons du mal à avancer. Les deux forces s’affrontent. L’eau douce tente une ouverture qui est immédiatement stoppée par l’eau salée. Le combat s’est amorcé. Il ne dure qu’un instant. Le temps que la marée ait atteint son paroxysme. Enfin ! Nous progressons peu à peu et l’eau qui nous emmène devient amère. Nous parvenons à l’embouchure. Le fleuve qui nous emporte arrive à terme. Ah ! Les revoilà ! Une cuvette sablée apparaît. C’est bien du sel. Nos eaux limpides s’y engouffrent et la transforment en océan. Gigantesque. Admirable. Un arc-en-ciel surgit. Personne ne l’attendait. Il manifeste son bonheur. Garni de couleurs extraordinaires, il constate qu’il a été formé de l’évaporation des nouvelles eaux qui ont gorgé les nuages. Quelques gouttes de pluie. De la source de vie traditionnelle je parviens enfin à l’exaltation de son origine aqueuse, une mer jeune, inédite, originale et moderne.
Nous nous sommes échoués et nous endormons sur la plage de sel blanc encore indemne. Les vagues caressent le rivage retrouvé. Aliz tient ses jumelles dans les bras et leur donne le sein. Chacun le sien. On s’endort. Emariz m’adresse un clin d’œil. Elle sait que sa fille est en de bonnes mains. Ses autres enfants nous attendent dans le nouveau monde. Le temps passe. L’éternité est devenue éphémère. Je l’ai vécue en un instant. Un instant éternel. Je pense au petit monde qu’est l’humain et au grand humain qu’est le monde. La nuit a obscurci les parages. On entend les vagues. Au petit matin et sous le chant criard des mouettes affolées, nous nous réveillons sur une plage du Pays Basque et les personnes qui nous entourent parlent l’euskara. Aliz est ahurie de voir tous ces gens autour de nous. Le monde qui avait disparu m'accueille à nouveau. Ma mission s’est achevée. Le chemin de nos enfants est tout tracé. Le temps est retrouvé et nous sommes heureux d’avoir fondé une famille. Izoral et Aloriz vont maîtriser nos deux langues. Celle de leur mère et la mienne. Celle d’Emariz et celle d’ Emaliz. Elles évoluent déjà dans la connaissance totale de leurs origines et de celles de leur idiome. Je me mets à raconter mon périple intemporel aux gens qui nous regardent ébahis. Ils me prennent pour un fou. Je leur réponds que je ne suis qu’un étranger dans les mondes mais que celui-ci est le mien. Je leur parle en basque. Mes enfants aussi. C’en est bien la preuve. Izoral, Aloriz et bien d'autres garantiront la survie de l'euskara. Ce sont des filles. Leur descendance vivra un bonheur victorieux. Basque, mais aussi alizien. Aliz s’est chargée de sa transmission. Le troisième monde surgit. Un monde de femmes et d’hommes issus du feu et de l’eau. Leurs langues sont fondées sur le IZ et basées sur le AL. Les jumelles en seront définitivement les garantes. Dépositaires également d’une mission d’amour, d’amour de leur terre, de leur planète afin que les phénomènes antérieurs ne se reproduisent jamais.
De leur monde visqueux et entre deux nuages tous les spectateurs nous regardent en riant penchés sur un balcon suspendu. Les bulles renaissent. Saussure, Sapir, De Perochegi, Oihartzabal, Punset, Webster, Lafitte, Lizardi, Vinson, Humboldt, Txilardegi, Otaegi, D’Abadie, Haritschelhar, Artze,Txema Larrea, Noam Chomsky, Hyacinte de Tharencey, Estrabon, Sabino, Izludal, Cézanne, Van Gogh, Mugica, Barandiaran, Mizel, Elizabeth, Jaltxu, Koral et Alan. Naberan et Kapanaga nous souhaitent la bienvenue. Alex s’écrie : Quel animal !
Comme s’il s’agissait d’un séminaire culturel, je suis heureux de les retrouver et leur promets d'écrire un essai sur le l’origine du basque. Son horreur des yankees pousse Aliz à renier définitivement l'anglais. Dorénavant, il sera perdu et aura définitivement rejoint l’alvéole qui lui était réservée. Elle réfléchit alors à la raison qui aurait pu jadis les pousser à choisir le phonème AL plutôt que celui de SU. Elle réalise que parmi les deux synonymes qui signifient feu en alizien, le rejet des lettres U et S en aurait été le motif essentiel, U.S. L'alizien a naturellement préféré le son AL grâce de la présence du L éventuel et mystérieux du basque qui augurait ainsi la maîtrise totale du réchauffement climatique ravivé par la pluie. Le basque en avait fait de même avec son IZ et sa soif de vivre.
Emiz et Aliz n’ont jamais su qu’elles étaient bien les filles d’Emariz. La déesse et moi étions les seuls à détenir le secret. Je suis heureux car le franchissement du ravin définitif a restitué la mémoire intemporelle de ma chérie.
Je me réveille en sursaut. Un big-bang extraordinaire a éteint le feu de mes rêves. Un tsunami Izien. Mon rêve prend fin. Je souris à Aliz. Les petites dorment.
Final
Livre d'or de l'alizien destiné à Emariz ou comment créer une langue à base d'onomatopées.( Alan)
Formes verbales
-AL: la racine, le feu
-D: je 1ere personne
-B: tu.
-G: elle, il 3ème personne
-D+ z: nous
-B+ z: vous (vouvoiement)
-B+ z+ i: vous pluriel
-G+ z: ils, elles
-M: infinitif
-AL, ALI, IL: (formes verbales sujet, COI, COD)
-SU: éventuel
-PE: potentiel
-N: subjonctif
-T: passé
-M: impératif
-ALI: à qui(COI)
- IL: qui, quoi, qu’est- ce que (sujet)
Suffixes nominaux primordiaux
-A: absolutif, défini
-AZ: absolutif pluriel
-IL: ergatif (sujet + COD); ILZ: pluriel
-AI: inessif (position, dans)
-AIK: elatif (provenance, de,du )
-AIG: adlatif (direction, à, au)
-ALI: datif, (attribution à , au)
-DALG: associatif, (avec)
-ILALI: destinatif, (il, cod, a, qq chose, li à qui)
-AF: instrumental (par le biais de)
-EI: sur
Suffixes verbaux
Relatif: T substantif
Conjonctif: TT (adverbe, aditza)
Completif: TAT (que...)
Causal: TATT (car)
Temporel: TATA (quand)
Marqueurs
-Z: pluriel
-M: infinitif
-M: Féminin
-M!: Impératif
-AI: lieu
-EI: froid
-ALS: mort, mystère
-B: autre
-ZA: mâle.
-MA: femelle
-S: éventuel
-AL: qui (sujet)
-ALI: à qui- COI
-IL: qui, quoi, qu'est ce que (COD)
-AIO: mouvement
-P: vers le bas
-U: vers le haut
Vocabulaire
AL: non
UAL: Oui
ALAI (al, ai): parole, mot
ALM (al, m): être
ILM (il, sujet ergatif-m verbe) : avoir
MAL (m, al) : vie
ALS : mort
ALA: eau
DALD (d, je-al-d, nous;) : nom
SAL(s éventuel, al) : avenir, futur
AMA (m femme) mère
ALMAD : femme
ALIZTES : cuisse
ALEI : lèvre
IZBI : accoucher
SAL : moisi, luxurieux
ALAI : enceinte
ZAL: homme
DALB : (d, je-al-b, tu;) enfant
AION : En haut, vive!
ALPON : En bas, meure!
AIONIZ: arbre
ZAL: chêne
SALZA: fresne
ALALI : noisetier
ALALO : alisier
ALDAZAI: chêne vert
SAZA: ronce
SAZAIP: herbe
ALPA : rivière, fleuve
ALPAZ : mer
ALPAZA : ver de terre
ALTZA : ombre
BEALA : bois
DEALA : petit bois, bûches
SEALA : neige
UBEALA : os
ALALA : source
UAL : roche
ALU : vent
SIZA : mouillé, humide
SIUZA : sec
AIONA : petit
ALPONA : grand
DAIALS : rouge, cru
IZALAZ : bleu
DAIALI : corps
NALZA : barbe
Concepts et sentiments
LUIZNA : cœur
LUALARI : sentiment
LULUI : frisson
ZALUI : jalousie
ZALU : jaloux
DEALUIZI : cœur lourd, sensation amoureuse
OJ : beau
JO : laid
EZO : écœurant
BAIO ::agréable
USBI : sperme
BUSAILAM : naître
MEASLUDUI : sein
MEASLI : lait
LUIZALO : sans amour
ALUIZI : enfant
ALZA : fils
LUME : fille
GAZALU : jeune
ZABALAI : vieux
DAZARILIM : finir
BEDAZALIM : commencer
ALALO : peuple, ville
DAIALIZA : gens
Verbes
RAIM : venir
RAXIM : aller
DAZOM : rester
ZAM : prendre
MEXAM : donner
DAZAL : faire
ALAM : boire
ALUDUM : manger
ALAD : avoir soif
ALULUD : avoir faim
RALAIME : forniquer
NALAM : faire pipi
NALAUDUM : faire caca
MLATEM : ouvrir
EMATEM : fermer
ALADA : penser
Quelques phrases
ALID ALID ALIZI: je parle Alizien
AL GILED : je bois de l'eau
ALUEI!: quel vent froid
DALIL GILEG DEALI : l'homme a fait du bois
TEIL GILEG ALAI TEAL : Emuk a copulé avec Emiz
ALZALAI DARAXI : je vais à la mer
ALZAIL DARAI : je suis dans la mer
ALZALO DAZO : l'eau de mer
ALZILO ALI : l’eau de mer (synonyme)
MELAL ALI : l' eau féminine (effluves utérines)
GAL ZE AL : y a- il de l'eau?
ME DO DAZA : il m'a pris pour une femme
ALZ MI DARAI : je suis venu par la mer.
Prénoms
EMUK
UKEME
BUK
UKIZ
UKAT
LUK
IZUK
URAT
LIZOR
IZAR
EMIZ
MEIL
ILME
NIL
IAL
ILED
SIL
ALIL
LUD
SALAI
ALZA
MAL, la mère de la langue Alizia
Voici à titre de résumé l'ensemble des formes verbales regroupées mais déjà énoncées dans ce roman.
ALM (être) verbe complet alizien
(aux trois formes AL, AL-ALI, AL-IL et A-ALI-IL )
AL (sujet)
Indicatif
Présent
De Dal
Be Bal
Ge Gal
Dez Dalaz
Bez Balaz
Bezi Balazi
Gez Galaz
Passé
De Dalat
Be balat
Ge galat
Dez Dalazt
Bez balazt
Bezi balazit
Gez galazt
Eventuel 1 et 2
Be subala
De Sudala
Ge sugala
Dez sudalaz
Bez subalaz
Bezi subazlaz
Bez sugalaz
Futur 1 et présent 2
Dalape(t)
Balape(t)
Galape(t)
Dalazpe(t)
Balazpe(t)
Balazpezt(t)
Galazpet(t)
Potentiel
Présent
De dalape
Be balape
Ge galape
Dez dalape
Bez balapez
Bezi balazpez
Gez galapez
Passé
De dalpet
Be balpet
Ge galpet
Dez dalpezt
Bez balpezt
Bezi balzpezt
Gez galpezt
Hypothétique (marqué par le S éventuel)
De dalspe
Be balspe
Ge galspe
Dez dalspez
Bez balspez
Bezi bals(a)zpez
Gez galspez
Subjonctif
Présent (N )
Dalan
Balan
Galan
Dalazn
Balazn
Balaznez
Galazn
Passé
Dalant
Balant
Galant
Dalanzt
Balanzt
Bazlanzt
Galanzt
Impératif (M)
Be maba !
Ge maga !
Bez mabaz !
Bezi mazbaz !
Gez magaz !
AL-ALI (sujet - COI)
Indicatif
Présent
AL ALI
D AL (a) DI
B AL (a) BI
G AL (a) GI
D A (a) Z DI
B AL (a) Z BI
B AL (a) Z (a) Z BI
G AL (a) Z GI
Passé
AL ALI
D AL (a) DI T
B AL (a) BI T
G AL (a) GI T
D AL (a) Z DI T
B AL (a) Z BI T
B AL (a) Z(a) Z BI T
G AL (a) Z GI T
Éventuel
Présent
AL ALI
SU D AL DI
SU B AL BI
SU G AL GI
SU D AL(a)Z DI
SU B AL(a)Z BI
SU B AL(a) Z BIZ ( Z pluriel)
SU G AL(a)Z GI
Futur
AL ALI
D AL DI(t)
B AL BI(t)
G AL GI(t)
D AL(a)Z DI(t)
B AL(a)Z BI(t)
B AL(a) Z BIZ(t)
G AL(a)Z GI(t)
Le second futur pend un T final
Potentiel
Présent
AL ALI
D AL PE DI
B AL PE BI
G AL PE GI
D ALZ PE DI
B ALZ PE BI
B ALZ PEZ BI
G ALZ PE GI
Passé
AL ALI
D AL PE DI T
B AL PE BI T
G AL PE GI T
D ALZ PE DI T
B ALZ PE BI T
B ALZ PEZ BI T
G ALZ PE GI T
Hypothétique
AL ALI
D AL S PE DI
B AL S PE BI
G AL S PE GI
D ALZ(a) S PE DI
B ALZ(a) S PE BI
B ALZ(a) S PEZ BI
G ALZ(a) S PE GI
Subjonctif
Présent
AL ALI
D AL DIN
B AL BIN
G AL GIN
D ALZ DIN
B ALZ BIN
B ALZ BIZN
G ALZ BIN
Passé
AL ALI
D AL DINT
B AL BINT
G AL GINT
D AL DIZNT
B AL BIZNT
B AL BIZNT
G AL GIZNT
Impératif
AL ALI
MA B AL BI
MA G AL GI
MA B ALZ BI
MA B ALZ BIZ
MA G ALZ GI
AL-IL (Sujet- COD)
Indicatif
Présent
AL IL
D L (e) D
B L (e) B
G IL (e) G
D IL (e)Z D
B IL (e) Z B
B IL (e) Z B(e)Z
G IL (e) Z G
Passé
AL IL
D IL(e) D(a) T
B IL(e) B(a) T
G I(e) G(a) T
D IL(e) Z D(a) T
B IL(e) Z B(a) T
B IL(e) Z(a)Z B(a) T
G IL(e) Z G(a) T
Éventuel
Présent
AL IL
SU D IL D
SU B IL B
SU G IL G
SU D IL(a)Z D
SU B IL(a)Z B
SU B IL (a) Z B (a) Z (Z pluriel)
SU G IL (a) Z G
Futur
AL IL
D IL D(t)
B IL B(t)
G IL G (t)
D IL(a) Z D(t)
B IL(a) Z B(t)
B IL(a) Z BaZ(t)
G IL(a) Z G(t)
Le second futur prend un T final.
Potentiel
Présent
AL IL
D IL PE D
B IL PE B
G IL PE G
D ILZ PE D
B ILZ PE B
B ILZ PEZ B
G ILZ PE G
Passé
AL IL
D IL PE Da T
B IL PE Ba T
G IL PE Ga T
D ILZ PE Da T
B ILZ PE Ba T
B ILZ PEZ Ba T
G ILZ PE Ga T
Hypothétique
AL IL
D IL S PE D
B IL S PE B
G IL S PE G
D ILZ (a) S PE D
B ILZ (a) S PE B
B ILZ (a) S PEZ B
G ILZ (a) S PE G
Subjonctif
Présent
AL IL
D IL Da N
B IL Ba N
G L Ga N
D ILZ Da N
B ILZ Ba N
B ILZ BaZa N
G ILZ Ba N
Passé
AL IL
D IL Da N T
B IL Ba N T
G IL Ga N T
D IL Da Za N T
B IL Ba Za N T
B IL Ba Za N T
G IL Ga Za N T
Impératif
AL IL
MA B IL B
MA G IL G
MA B ILZ B
MA B ILZ BaZ
MA G ILZ G
AL-ALI-IL( sujet – COD- COI)
Indicatif
Présent
AL ALI IL
AL(z) DI(a) D
AL(z) BI(a) B
AL(z) GI(a) G
AL(z) DI(a) D(a)Z
AL(z) BIZ(a) B(a)Z
AL(z) BIZ(a) B(a)Z
AL(z) GIZ(a)z(a) G(a)Z
Passé
AL ALI IL
AL (z) DI (a) De T
AL(z) BI(a) Be T
AL(z GI(a) Ge T
AL(z) DI(a) D(a)Ze T
AL(z) BIZ(a) B(a)Ze T
AL(z) BIZ(a) B(a)Ze T
AL(z) GIZ(a)z(a) G(a)Ze T
Éventuel
Passé 1
AL ALI IL
SU AL (z) DI(a) D
SU AL (z) BI(a) B
SU AL (z) GI(a) G
SU AL (z) DIZ(a) D (e)Z
SU AL (z) BIZ(a) B (e)Z
SU AL (z) BIZ(a) B (e)Z
SU AL (z) GIZ(a) G (e)Z
Passé 2
AL ALI IL
SU AL (z) DI (a) D (e) T
SU Al (z) BI (a) B (e) T
SU AL (z) GI (a) G (e) T
SU AL (z) DIz (a) D (e) T
SU AL (z) BIz (a) B (e) T
SU AL (z) BIz (a) B (e) Z T
SU AL (z) GIz (a) G (e) T
Hypothétique 3
AL ALI IL
AL(z) DI(a) D
Al(z) BI(a) B
AL(z) GI(a) G
AL(z) DIZ(a) D(e)Z
AL(z) BIZ(a) B(e)Z
AL(z) BIZ(a) B(e)Z
AL(z) GIZ(a) G(e)Z
Potentiel
Présent
AL ALI IL
AL(z) DI(a) PE D
Al(z) BI(a) PE B
AL(z) GI(a) PE G
AL(z) DIZ(a) PE D(e)Z
AL(z) BIZ(a) PE B(e)Z
AL (z) BIZ (a) PE B (e) Z
AL (z) GIZ (a) PE G (e) Z
Passé
AL ALI IL
AL(z) DI(a) PE D T
Al(z) BI(a) PE B T
AL(z) GI(a) PE G T
AL(z) DIz(a) PE D(e)Z T
AL(z) BIz(a) PE B(e)Z T
AL(z) BIz(a) PE B(e)Z T
AL(z) GIz(a) PE G(e)Z T
Hypothétique
AL ALI IL
AL(z)aS DI(a) PE D
Al(z)aS BI(a) PE B
AL(z)aS GI(a) PE G
AL(z)aS DIz(a) PE D(e)Z
AL(z)aS BIz(a) PE B(e)Z
AL(z)aS BIz(a) PE B(e)Z
AL(z)aS GIz(a) PE G(e)Z
Subjonctif
Présent
AL ALI IL
AL(z) DI(a) D aN
AL(z) BI(a) B aN
AL(z) GI(a) G aN
AL(z) DI(a) D(a)Z aN
AL(z) BIZ(a) B(a)Z aN
AL(z) BIZ(a) B(a)Z aN
AL(z) GIZ(a)z(a) G(a)Z aN
Passé
AL ALI IL
AL(z) DI(a) De T aN
AL(z) BI(a) Be T aN
AL(z) GI(a) Ge T aN
AL(z) DI(a) D(a)Z T aN
AL(z) BIZ(a) B(a)Z T aN
AL(z) BIZ(a) B(a)Z T aN
AL(z) GIZ(a)z(a) G(a)Z T aN
Impératif
AL ALI IL
MaB AL BI B
MaG AL GI G
MaB ALZ BIZ B
MaB ALZ BIZ BaZ
MaG ALZ GIZ G
Potentiel
Présent et passé( t final)
AL ALI IL
AL I+D+I(a) D(a) PE (t)
AL I+B+I (a) B(a) PE (t)
AL I+G+I(a) G(a) PE (t)
AL(z) I+D+I(z)(a) D(a) PE (t)
AL I+B+I(z)(a) B(a) PE (t)
AL(z) I+B+I(z)(a) Be) PE (t)
AL(z) I+G+I(z)(a) G(a) PE (t)
Hypothétique: La même conjugaison sans T final/
Subjonctif
AL ALI IL
AL I+D(a) D(a) T(a) N
AL I+B(a) B(a) T(a) N
AL I+G(a) G(a) T(a) N
AL I+D(a)z D(a)z T(a) N
AL(a)z I+B(a)z B(a)z T(a) N
AL(a)z I+B(e)z B(e)z T(a) N
AL(a)z I+G(a)z G(a)z T(a) N
Impératif
AL ALI IL
D(a) -
B(a) B
M(a) G(a) G(a) G
D(a)z D(a)z
B(a)z B(a)z
B(e)z B(e)z
M(a) G(a)z G(a)z G(a)z.
Le verbe alizien complet contient 1928 formes, exactement le même nombre qu’en euskara.
Épilogue
Faculté de Bayonne 1983
Après avoir obtenu une maitrise d’espagnol à la faculté de Bordeaux III en 1978, je me suis inscrit en licence de lettres basques à Bayonne en 1983. C’est à ce moment-là que j'ai eu l'intuition du son IZ et que j’en ai écrit un poème intitulé BIZIL, B!IZ (vie) IL (mort), comme si Emariz, en me fournissant ce B impératif, m'avait donné un ordre de prospection.
Petit à petit la théorie présentée dans ce livre a gagné mon esprit. Bien qu’ayant étudié la linguistique appliquée et en étant un passionné, comme je l’explique dans la préface de cet essai littéraire, je ne suis pas pour autant un linguiste et je ne me suis jamais senti la force de poursuivre mes études littéraires qui m’auraient éventuellement amené à soutenir une thèse doctorale sur le sujet sur l’origine du basque et le son IZ. Je ne regrette rien car la science m’aurait éloigné de l’interprétation artistique de mon œuvre. Je suis donc heureux d’avoir écrit ce roman qui me permet de dévoiler à la fois le contenu de ma théorie tout en me soustrayant de la rigueur scientifique d’une thèse doctorale. La liberté de parole que donne une création poétique est immense et elle permet des digressions conscientes d’ordre humoristique. D'autres linguistes comme Bittor Kapanaga et Josu Naberan ont approché ce genre de démonstration linguistique et pourraient être proches de ma théorie. J’aimerais pouvoir en discuter avec eux.
Cet éloignement responsable m’a néanmoins permis de créer une langue, l’Alizien, issu de la morphologie du verbe basque. Cette invention a été extraordinaire car inédite et très enrichissante.
Merci au personnage clef du roman, Xubiltz, à sa guide Emariz, à Emaliz, déesse des aliziens, à tous les basques et aliziens réels ou fictifs, à Emiz et à Aliz, aux séminaristes et au professeur qui me ressemble beaucoup mais surtout à la force qu'ils m'ont donnée pour créer l’alizien qui j’espère ne rejoindra pas les nues visqueuses avant même de parcourir les lèvres d’éventuels pratiquants. Milesker.
Table des matières
1 IZ Source de vie
Préface…………………………………p 3
Avant- propos…………………………..p 6
IZ source de vie (passages correspondant à la lettre A)
Séminaire à Arizkun (passages correspondant à la lettre B)
Le professeur devant ses élèves (passages correspondant à la lettre C)
2- Le pays des aliziens- Alizia
Avant- propos ……………………… p 94
Préface …………………………………p 95
1- La fuite …………………………… p 96
2- Précipité d’un monde à l’autre … p 101
3- Le pays des aliziens……………….. p 108
4- Le trajet …………………………… p 116
5- La mort ……………………………. p 125
6- Art et science ……………………… p 134
7- Aliz.…………………………………..p 138
8- Alan ………………………………….p 145
9 Alizia………………………………….p 149
10- Subal et Izal, enfants d’ Emaliz ……p 161
11- Aliz et Izal……………………….... p 174
12- L’aveu…………………………….. p 188
13- Le retour…………………………. p 196
14- Final…………………………...... p 210
15- Épilogue ……………………………p 240
Table des matières……………………..p 241